Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 31 mai 2021, M. A..., représenté par Me Huard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet du Rhône du 11 mars 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;
- il est intervenu au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'il n'a pas reçu les informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 et à l'article 29 du règlement UE n° 603/2013, qu'il n'a pas bénéficié de l'entretien individuel et confidentiel, dont il n'a pas reçu copie, mené par un agent qualifié et spécialement habilité, dans les conditions prévues à l'article 5 du règlement n° 604/2013, et qu'il n'est pas justifié de la remise des brochures ;
- l'autorité préfectorale n'a pas justifié de la nécessité de recourir à un interprète par téléphone à l'occasion de la notification de l'arrêté attaqué, en méconnaissance des articles L. 111-8 et L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'il entendait faire valoir des craintes en cas de retour dans son pays d'origine, où règne un état de violence généralisée, et qu'il ne pourra pas bénéficier en Roumanie de la protection subsidiaire ;
- il a droit à la communication de l'intégralité du dossier le concernant détenu par la préfecture ;
- l'application mécanique du règlement dit " Dublin III " sans mettre en œuvre son article 17.1 implique un risque élevé d'éloignement vers l'Afghanistan en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'autorité préfectorale a méconnu l'article 33 de la Convention de Genève et entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire des articles 16 et 17 du règlement n° 604/2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2021, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés
- le règlement UE n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant d'Afghanistan né le 5 mai 1995, a déclaré être entré irrégulièrement en France en novembre 2020. Sa demande de protection internationale a été enregistrée en préfecture le 4 décembre 2020. A l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande, le préfet du Rhône a décidé, le 11 mars 2021, son transfert aux autorités roumaines. M. A... relève appel du jugement du 31 mars 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 11 mars 2021 :
2. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
4. En l'espèce, l'arrêté du 11 mars 2021 vise notamment le règlement, notamment son article 18, rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque M. A... s'est présenté aux services de la préfecture du Rhône, relève, en précisant la date et le numéro de la demande, que M. A... a demandé l'asile le 2 novembre 2020 auprès des autorités roumaines, et indique que ces dernières ont été saisies d'une demande de reprise en charge ayant donné lieu à un accord implicite. Contrairement à ce que soutient le requérant, à supposer même que sa demande d'asile ait été rejetée en Roumanie, aucune obligation de " motivation renforcée " ne s'imposait à l'autorité préfectorale pour ce motif. L'arrêté attaqué est, par suite, suffisamment motivé.
5. En deuxième lieu, M. A... reprend en appel les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de son article 5, lequel n'exige pas que le résumé de l'entretien mentionne le nom et la qualité de l'agent qualifié ayant effectué l'entretien, de son droit à l'information préalable à la prise et à la comparaison de ses empreintes, prévu à l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, ainsi que de son droit à la communication de l'intégralité de son dossier dans le cadre de l'instance contentieuse. Il y a lieu pour la cour d'écarter ces moyens par les motifs retenus à bon droit par le premier juge.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 : " Toute décision de transfert (...) est notifiée à l'intéressé. (...) Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ". En vertu de l'article L. 111-8 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, ces informations peuvent être communiquées à l'étranger soit au moyen de formulaires écrits soit par l'intermédiaire d'un interprète, dont l'assistance peut, en cas de nécessité, se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication.
7. Toutefois, les conditions de notification d'une décision de transfert, si elles peuvent faire obstacle au déclenchement du délai de recours, sont par elles-mêmes sans incidence sur sa légalité. Par suite, M. A..., qui a valablement exercé un recours juridictionnel, ne peut utilement, pour demander l'annulation de la décision de transfert, soutenir qu'il ne serait pas justifié de la nécessité de recourir à un interprète par téléphone, ou qu'il n'aurait pu faire valoir ses craintes de retour en Afghanistan en cas de transfert en Roumanie.
8. En dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". L'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais repris aux articles L. 571-1 et 573-1, dispose que : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".
9. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
11. En l'espèce, il n'est ni établi, ni même allégué, qu'il existerait de sérieuses raisons de croire en des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Roumanie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, la seule circonstance qu'à la suite de l'examen de sa demande de protection, M. A... serait susceptible d'être éloigné à destination de l'Afghanistan ne peut caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations, ni la méconnaissance par la France des obligations résultant des articles 3 de la convention européenne des droits de l'homme, des articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés. Elle ne suffit pas davantage à caractériser une erreur manifeste d'appréciation dans le refus de faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 précité du règlement, alors au surplus que la France n'est pas le seul Etat susceptible d'accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Il résulte en effet de l'article 2 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, auquel renvoie le b) de l'article 2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qu'une demande de protection internationale au sens de ces dispositions, également applicables en Roumanie, est une demande visant à obtenir le statut de réfugié ou bien le statut conféré par la protection subsidiaire.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de M. A... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021.
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N° 21LY01733