Par une requête enregistrée le 21 novembre 2018, M. A..., représenté par Me Djinderedjian, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 22 octobre 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté susmentionné ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de l'autoriser à déposer une demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, au profit de son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a commis une erreur de droit en saisissant les autorités allemandes sur le fondement du b) au lieu du c) du 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 ;
- la France est responsable de l'examen de sa demande d'asile en application de l'article 13 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du paragraphe 1 de l'article 17 du même règlement ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les dispositions des articles 31 et 32 du règlement du 26 juin 2013.
En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, l'affaire a été dispensée d'instruction.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
M. A... ayant été régulièrement averti du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Dèche, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité malienne, né le 1er janvier 1973, est entré en France le 9 septembre 2017. Il a présenté une demande d'asile le 17 avril 2018. Ayant relevé ses empreintes digitales, le préfet de l'Isère a constaté, en consultant le fichier Eurodac, que l'intéressé avait auparavant sollicité l'asile notamment auprès des autorités allemandes. Celles-ci, saisies sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, ont accepté la reprise en charge de l'intéressé. A la suite de cette procédure, le préfet de la Haute-Savoie a décidé son transfert aux autorités allemandes par arrêté du 8 août 2018. M. A...relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; /d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ".
3. Le préfet a saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge de M. A... sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et ces autorités ont expressément donné leur accord. Il ressort des pièces du dossier que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge sur le fondement du c) du même texte, dès lors qu'il a retiré sa demande d'asile dans ce pays. Toutefois, dans ce cas, le préfet pouvait décider son transfert sur ce fondement, la substitution de cette base légale à celle du b) n'ayant pas pour effet de priver M. A... d'une garantie et l'administration disposant du même pouvoir d'appréciation. Par suite, la circonstance que l'intéressé a retiré sa demande d'asile présentée auprès des autorités allemandes reste sans incidence sur la légalité de la décision de transfert en litige.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. / 2. Lorsqu'un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l'entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d'au moins cinq mois, l'État membre du dernier séjour est responsable de l'examen de la demande de protection internationale ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a présenté une demande d'asile en Allemagne le 29 mai 2016. Les autorités allemandes ont été saisies d'une demande de reprise en charge, à laquelle elles ont donné leur accord explicite, en application des dispositions du c) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il résulte des dispositions précitées que, alors que M. A... n'allègue pas avoir quitté le territoire des États membres, l'Allemagne demeure l'État responsable et le requérant ne saurait utilement invoquer les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour contester son transfert vers l'Allemagne.
6. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".
7. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1. de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
8. Il ressort des mentions de l'arrêté en litige que le préfet a examiné la possibilité de faire usage, en l'espèce, des dispositions du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permettent à un État d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement. Le requérant ne fait valoir aucun argument pertinent qui permettrait de considérer que le préfet de la Haute-Savoie a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la faculté que prévoient ces dispositions.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "
10. M. A... soutient qu'en cas de transfert en Allemagne, où il a retiré sa demande d'asile, il serait renvoyé au Mali, où il ne pourrait trouver un traitement adapté à son état de santé et où il encourrait le risque d'être persécuté en raison de son homosexualité. D'une part, la décision de transfert ne prescrit pas son retour au Mali, mais en Allemagne. D'autre part, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier qu'une décision de retour au Mali aurait été prise à son encontre par les autorités allemandes, ni qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir devant ces autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle. Ainsi, la décision de transfert contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En dernier lieu, les dispositions de l'article 31 du règlement (UE) n° 604/2013 sont relatives à l'" Échange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert " et celles de l'article 32 à l'" Échange de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert ". De telles dispositions, qui concernent l'exécution de la décision de transfert, sont sans incidence sur sa légalité.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 14 février 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
Mme Dèche, premier conseiller,
Mme Beytout, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
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N° 18LY04180