Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 mai 2019, ainsi qu'un mémoire non communiqué enregistré le 16 octobre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me de la Grange, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1705893 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de condamner les HCL et la SHAM à lui rembourser les sommes versées aux consorts A... à hauteur de 384 763,15 euros et lui verser celle de 700 euros au titre des frais d'expertise ;
3°) de condamner les HCL et la SHAM à lui verser la somme de 57 714,56 euros au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
4°) d'assortir les sommes précitées des intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2017 ;
5°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
6°) de condamner les HCL et la SHAM à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté la responsabilité pour faute des HCL et de la SHAM au vu des conclusions de l'expert mandaté par la CRCI de Rhône-Alpes retenant un retard de diagnostic et de prise en charge fautif ;
- il est en droit de réclamer à l'hôpital et à son assureur le remboursement des sommes qu'il a versées à Mme A..., son époux et ses enfants au titre de protocoles transactionnels pour un montant global de 384 763,15 euros ;
- une nouvelle expertise serait nécessaire en cas de remise en cause de l'expertise.
Par un mémoire enregistré le 30 juin 2020, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, représentée par Me C..., agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de condamner les hospices civils de Lyon, et leur assureur, la société hospitalière des assurances mutuelles, à lui verser la somme de 318 188,16 euros et de mettre à leur charge la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et celle de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'expert a conclu à une prise en charge non conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science ;
- elle a donc droit au remboursement des débours définitifs versés au titre des dépenses de santé et des indemnités journalières ;
- elle ne s'oppose pas à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée.
Par deux mémoires, enregistrés les 29 juin et 6 juillet 2020, les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Ils font valoir que :
- le tribunal administratif de Lyon a écarté l'existence d'une faute, notamment compte tenu du caractère exceptionnel de la pathologie en cause, de la difficulté pour en poser le diagnostic et au vu des diligences effectuées par les médecins de l'établissement conformes aux règles de l'art ;
- les préjudices indiqués par l'ONIAM devront être justifiés s'agissant des frais de fauteuil électrique (part pris en charge par une mutuelle) et des frais de logement limités aux aménagements rendus nécessaires par le handicap de la victime ;
- ils ne peuvent être condamnés à rembourser des frais hospitaliers ou des indemnités journalières qui auraient été nécessairement exposés en raison de l'état de santé de Mme A... ; les frais médicaux, pharmaceutiques et d'appareillage ne sont pas détaillés ; les soins futurs de kinésithérapie évalués à trente séances annuelles sont excessifs ; tous les frais futurs seront remboursés seulement sur justificatifs.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public,
- et les observations de Me Demailly, avocat des hospices civils de Lyon et de la société hospitalière des assurances mutuelles.
Considérant ce qui suit :
1. Le 26 octobre 2010, vers treize heures, Mme A..., née le 4 juillet 1963, a été admise aux urgences de l'hôpital Edouard Herriot pour des douleurs dorsales avec dérobement du membre inférieur gauche. Après un examen neurologique et un scanner normal, elle a regagné son domicile avec une prescription pour une IRM cérébrale et a travaillé la journée suivante. Le matin du 28 octobre suivant, elle s'est réveillée en souffrant d'un dérobement des deux jambes. A l'initiative de son médecin traitant, un avis d'un neurologue libéral a été pris et une IRM cérébrale a été réalisée en fin de journée. L'intéressée a de nouveau été admise aux urgences de l'hôpital Edouard Herriot pour une suspicion de myélite. Dans la nuit du 28 au 29 octobre, une paraplégie complète est survenue et Mme A... a été transférée en matinée vers l'hôpital neurologique Pierre Wertheimer où une ponction lombaire a été réalisée. Le diagnostic de cavernome intramédullaire a été posé le 30 octobre 2010 et une intervention chirurgicale pour exérèse a été réalisée le 1er novembre suivant. Mme A... a ensuite fait de la rééducation du 10 novembre 2010 au 25 mars 2011 mais elle conserve une paraplégie sensitivo motrice massive avec position assise instable, associée à un syndrome déficitaire du membre supérieur gauche, nécessitant des déplacements en fauteuil roulant et provoquant des douleurs et des troubles sphinctériens.
2. Le 23 mai 2012, Mme A... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes qui a diligenté une expertise confiée au Dr Chazal, neurochirurgien, qui a remis son rapport le 24 juin 2013. Selon avis établi le 11 septembre 2013, la commission précitée a retenu la responsabilité pour faute des hospices civils de Lyon tenant à un retard de diagnostic et de prise en charge à l'origine d'une perte de chance d'éviter la paraplégie séquellaire évaluée à 75 %. Par lettre du 12 décembre 2013, la société hospitalière d'assurances mutuelles, assureur des HCL, a indiqué son refus d'indemnisation. En application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a versé à Mme A..., à son époux et à leurs deux enfants la somme globale de 384 763,15 euros au titre de quatre protocoles transactionnels des 11 et 13 décembre 2015, et 9 janvier 2016. Après avoir vainement présenté une demande préalable aux hospices civils de Lyon le 11 mai 2017, l'ONIAM a saisi le tribunal administratif de Lyon selon requête enregistrée le 1er août 2017, afin de condamner les HCL et la SHAM à lui verser la somme précitée mais aussi une somme de 700 euros au titre des frais d'expertise et une pénalité de 57 714,56 euros sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par jugement du 26 mars 2019, sous le n° 1705893, dont l'ONIAM relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie tendant au remboursement des débours à hauteur de 424 250,88 euros.
Sur le bien- fondé du jugement :
3. Le I de l'article L. 11421 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Il résulte des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique que lorsque l'ONIAM s'est substitué à la personne estimée responsable du dommage et que la victime a accepté son offre d'indemnisation, l'office est subrogé dans les droits de la victime à concurrence des sommes versées et est ainsi investi, dans cette limite, de tous les droits et actions que le subrogeant pouvait exercer. Il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office.
4. Il résulte de l'instruction que Mme A... a été victime d'un cavernome intramédullaire, malformation vasculaire congénitale, jusque là non diagnostiqué, localisé dans la moelle épinière au niveau T1 - T2 qui s'est brutalement révélé à compter du 26 octobre 2010 pour aboutir en l'espace de cinq jours à une paraplégie sensitivo-motrice massive haute associée à un syndrome déficitaire du membre supérieur gauche. Il n'est pas sérieusement contesté que cette pathologie revêt un caractère exceptionnel avec très peu de cas rapportés dans la littérature médicale et que son diagnostic, principalement par IRM cérébrale, est difficile à distinguer d'autres lésions médullaires, particulièrement en cas de saignement.
5. En premier lieu, l'ONIAM soutient que dès l'admission aux urgences de l'hôpital Edouard Herriot le 26 octobre 2010, la prise en charge de Mme A... n'était pas conforme aux règles de l'art avec un examen sommaire et un simple scanner conduisant le médecin des urgences a posé un diagnostic erroné de pathologie encéphalique et non médullaire et a laissé repartir la patiente malgré un tableau clinique inquiétant. D'une part, si l'expert a estimé qu'il manquait à l'examen neurologique le détail de l'examen sensitif et l'absence de certains réflexes, il n'en conclut pas que cet examen aurait manqué les signes révélateurs d'une lésion médullaire. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les signes hémicorporels gauche ont logiquement amené le médecin des urgences à poser un diagnostic de pathologie cérébrale controlatérale ne nécessitant aucun geste en urgence. Si le Dr Sharma, médecin référent de l'ONIAM estime que la symptomatologie suggérait d'emblée une compression médullaire, tel n'a donc pas été l'avis de l'expert, ni des neurochirurgiens auxquels les HCL ont demandé leur avis, le Professeur Fischer et le Dr Baroncini, la survenance brutale de douleurs dorsales avec troubles de la sensibilité pouvant aller jusqu'à la paraplégie constituant des signes cliniques évocateurs d'une myélite. Si l'ONIAM reproche enfin au médecin des urgences d'avoir laissé Mme A... regagner son domicile, celui-ci a toutefois prescrit la réalisation d'une IRM cérébrale. L'expert conclut au final que : " jusqu'à la date du 28 octobre, après trois jours d'évolution d'un tableau clinique qu'on peut qualifier d'atypique, on peut raisonnablement admettre qu'il n'y a pas eu de manquement aux règles de l'art et à la déontologie ".
6. En deuxième lieu, il est constant que Mme A... a travaillé la journée du 27 octobre 2010 sans évolution notable de son état de santé. L'ONIAM fait valoir que le 28 octobre 2010 au matin, des troubles sphinctériens et un déficit sensitivo-moteur des deux membres inférieurs ayant apparu, le médecin traitant de Mme A... avait directement contacté l'hôpital neurologique qui lui a conseillé de retourner aux urgences de l'hôpital Edouard Herriot. Il rappelle que le médecin traitant a alors contacté lui-même un neurologue libéral et obtenu une IRM dans un cabinet de radiologie pour exploration de la moelle cervico-dorso-lombaire. Il soutient que le radiologue aurait vainement contacté les urgences de l'hôpital Edouard Herriot qui n'auraient pas demandé les clichés ou contacté un neurochirurgien de garde pour avis. D'une part, la circonstance qu'une procédure interne aux hospices civils de Lyon prévoirait un passage aux urgences pour les patients atteints de troubles neurologiques en lieu et place d'une admission directe à l'hôpital neurologique n'est pas, par lui-même, constitutif d'une faute. D'autre part, il ne saurait être reproché aux hospices civils de Lyon la décision prise par le médecin traitant de Mme A... de prendre un avis d'un neurologue libéral et de faire effectuer l'IRM cérébrale dans un cabinet de radiologie, examen d'ailleurs prescrit par le médecin urgentiste. Enfin, les allégations selon lesquelles le radiologue libéral aurait vainement alerté le service des urgences ne sont nullement établies, un compte-rendu de ce service du 28 octobre 2010 faisant seulement état que le neurologue de garde aurait indiqué à ce radiologue l'absence de place à l'hôpital neurologique.
7. En troisième lieu, l'ONIAM reproche au service des urgences de l'hôpital Edouard Herriot de n'avoir procédé au transfert de Mme A... à l'hôpital neurologique que le matin du 29 octobre alors que celle-ci voyait sa situation se dégrader avec l'apparition d'une paraplégie dans la nuit. Il résulte de l'instruction qu'après avoir recueilli des avis de praticiens libéraux pendant la journée du 28 octobre, la victime a été admise aux urgences en soirée et que le diagnostic de myélite ne pouvait être écarté au vu des signes cliniques et alors que le compte rendu de l'IRM indiquait : " l'aspect peut faire évoquer une myélite même si on n'explique pas l'image kystique associée ". Si l'expert a estimé qu'au vu des clichés, une lésion médullaire ne pouvait être exclue, il n'en demeure pas moins que le diagnostic précis de cavernome intramédullaire ne pouvait être posé à ce stade, même en cas d'appel à un avis spécialisé. Si l'ONIAM souligne qu'une ponction lombaire n'a pas été réalisée dès l'admission aux urgences mais seulement le lendemain matin, il résulte de l'instruction que les résultats immédiatement interprétables n'auraient pas davantage permis de conclure un diagnostic précis mais seulement d'écarter le diagnostic erroné de myélite de quelques heures sans incidence sur la suite donnée par l'hôpital neurologique et alors que la paraplégie était déjà constituée.
8. En quatrième lieu, l'ONIAM soutient qu'au vu de cette paraplégie survenue dans la nuit du 28 au 29 octobre 2010, Mme A... aurait dû être opérée en urgence le jour même et non le 1er novembre suivant. Il résulte de l'instruction que ce n'est que le 30 octobre 2010 qu'a pu être posé le diagnostic de cavernome intramédullaire après la réalisation d'une seconde IRM et à l'issue d'une concertation pluridisciplinaire. L'expert ne retient pas expressément de faute dans le délai de réflexion et de préparation pris par l'opérateur compte tenu du caractère exceptionnel de la pathologie à laquelle il était confronté pour la première fois dans sa carrière. Dans son avis, le professeur Fischer estime également qu'il était préférable d'attendre que l'hémorragie s'estompe pour éviter d'ajouter un traumatisme chirurgical à une moelle déjà en souffrance extrême. Si le Dr Sharma conteste ce point de vue en soutenant que le saignement ne serait survenu que lors de l'hospitalisation, de telles allégations sont contredites par l'IRM effectuée le 28 octobre. Si le Dr Sharma fait valoir que l'étude produite par le Pr Fischer indique qu'en cas d'hématomyélie avec déficit évolutif, l'indication d'une intervention chirurgicale doit être retenue précocement, cette étude n'indique toutefois pas la nécessité d'une réalisation du geste opératoire en urgence.
9. En dernier lieu, si l'ONIAM reprend en appel les moyens selon lesquels les hospices civils de Lyon ont commis une faute tenant à l'abord chirurgical médian intercordonal postérieur choisi pour l'intervention du 1er novembre 2010 et à la mauvaise tenue du dossier médical, il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Lyon.
10. Il découle de tout ce qui précède que, dans les circonstances particulières de l'espèce, notamment celles rappelées au point 2, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a écarté l'existence d'une faute médicale tenant à un retard de diagnostic et de prise en charge de Mme A... à l'origine d'une perte de chance pour cette dernière d'éviter sa paraplégie séquellaire. Si l'ONIAM sollicite à titre subsidiaire qu'une nouvelle expertise soit diligentée, une telle demande ne revêt pas un caractère utile compte tenu du rapport d'expertise réalisé sous l'égide de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes et des rapports critiques produits en première instance et en cause d'appel. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par l'ONIAM, ainsi que ses conclusions tendant au versement de sommes sur le fondement des quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, doivent être rejetées. Pour les mêmes motifs, les conclusions incidentes de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône doivent également être rejetées, y compris celles tendant au paiement d'une indemnité forfaitaire de gestion en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les hospices civils de Lyon et la société hospitalière d'assurances mutuelles, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, versent une somme à l'ONIAM et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône au titre de leurs frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône sont rejetées.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, aux hospice civils de Lyon, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, aux caisses primaires d'assurance maladie du Rhône et de l'Isère et à la société MTRL.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
N° 19LY02019 2