Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 janvier 2018, et un mémoire complémentaire enregistré le 14 juin 2019, Mme B... et M. H..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 novembre 2017 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leur demande ;
2°) de condamner la commune de Saint-Michel-les-Portes à leur verser la somme de 56 450 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Michel-les-Portes la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- dans la mesure où la commune n'a pas sollicité, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en son article 1er, elle n'est pas fondée à solliciter la mise à leur charge des frais d'expertise ;
- l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales impose aux communes une obligation d'entretien des voies communales ; malgré les démarches engagées en ce sens, la commune n'a pas respecté son obligation d'entretien du chemin ; la responsabilité de la commune est engagée à raison de sa carence fautive pour n'avoir pas engagé des dépenses obligatoires d'entretien de la voie ainsi que sur le fondement du défaut d'entretien de l'ouvrage public ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le chemin de la Batie d'Ambel ne constituait pas une voie communale à la suite de son déclassement par la délibération du 19 février 1988 ; la commune n'est pas en mesure de rapporter la preuve d'un déclassement effectif de la voie dès lors que sur le plan en couleur joint, il est précisé que la voie ferait partie des voies communales à déclasser ; les pièces versées par la commune ne permettent pas de déterminer si la voie a effectivement été déclassée en 1988 du domaine public communal ; le plan en couleur et le tableau de classement des voies communales indiqué comme étant incomplet selon la délibération du 19 novembre 1987 ne permettent pas de confirmer l'analyse retenue par le tribunal ; l'expert a considéré que le plan ne semble pas avoir été suivi d'effet dès lors que l'acte authentique du 15 janvier 2007 ne fait pas mention d'une parcelle privative desservant le bien ou d'une servitude de passage et l'arrêté de permis de construire concernant la terrasse délivrée le 8 septembre 2011 précise que la " parcelle 952 support de la maison et la parcelle 917 support de la terrasse sont séparées par la voie communale " ; en présence d'une affectation matérielle, un déclassement purement formel est sans effet ; dans la mesure où la collectivité a continué d'entretenir et d'ouvrir la voie au public et donc de l'affecter à la circulation générale, la désaffectation matérielle n'étant pas intervenue, le déclassement du domaine public est sans effet sur la qualification de la voie qui demeure une voie communale au sens de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales ;
- il n'en demeure pas moins que le mur de soutènement de ce chemin est un ouvrage public dont le défaut d'entretien normal est de nature à engager la responsabilité de son propriétaire ; c'est à tort que le tribunal a retenu que la commune n'avait pas accepté d'assumer l'entretien de cette voie dans la mesure où depuis 1988 la collectivité en assure la viabilité et procède à son déneigement régulier ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'ils auraient commis une faute exonérant la commune à hauteur de 25% de sa responsabilité en faisant circuler des véhicules de fort tonnage sans précaution particulière au ras de la tête de ce mur de soutènement ; le passage des engins de chantier a été extrêmement limité au droit de la zone sinistrée ; dès l'origine, un nouvel accès a été aménagé pour le passage d'engins de chantier uniquement à l'arrière de la maison au droit d'un terrain ; l'expert souligne qu'aucune limitation de poids des véhicules n'était imposée quant à l'usage de la voie ; la cause déterminante de l'effondrement ne réside pas dans le passage des engins mais dans la conception et l'absence d'entretien du mur de soutènement ;
- le coût d'évacuation des gravats se trouvant sur la parcelle sera évalué à 500 euros ; le préjudice résultant de la destruction de l'abri de jardin sera estimé à 4 000 euros sans abattement de vétusté ; le préjudice résultant de la perte de jouissance de l'abri de jardin sera évalué à 1 950 euros ; le préjudice lié à la modification de la configuration des lieux sera évalué à 50 000 euros compte tenu de ce qu'ils ne peuvent plus accéder à l'entrée principale de leur habitation eu égard à l'instabilité affectant le chemin ; les difficultés d'accès générées par l'effondrement de la voie communale sont avérées ; ils sont recevables à demander l'indemnisation du préjudice résultant du refus de la commune d'exécuter les travaux de reprise de la voie concourant à la dépréciation de la valeur vénale de leur propriété.
Par un mémoire enregistré le 3 mai 2019, la commune de Saint-Michel-les-Portes, représentée par Me K..., conclut à la confirmation du jugement et, à titre subsidiaire, au rejet de la demande présentée par les consorts B... et H... et à ce que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens soient mis à la charge des consorts B... et H....
Elle soutient que :
- elle s'en rapporte à l'analyse du tribunal quant à ses obligations d'entretien ; du fait de sa configuration, il n'y a aucune circulation sur le chemin litigieux qui ne dessert que trois propriétés et se termine en cul-de-sac ; la qualification d'ouvrage public retenue par le tribunal du mur de soutènement est erronée ;
- le fait que l'acte authentique du 15 juin 2007 ne fasse pas allusion à une parcelle privative ou à une servitude de passage et que l'arrêté de permis de construire du 8 septembre 2011 mentionne une voie communale est sans conséquence sur la nature de la voie ; la voie n'appartient plus au domaine public communal depuis 1987 et constitue un chemin rural appartenant au domaine privé de la commune ; par suite, la commune n'a pas d'obligation d'entretien de ce chemin ; elle n'a pas procédé à l'entretien de cette voie ;
- l'effondrement du mur de soutènement de la voie desservant la propriété résulte principalement de l'utilisation par les requérants d'engins de chantier dont les passages répétés ont déstabilisé le mur de soutènement ;
- les consorts B...-H... bénéficient d'un autre accès ; lors des opérations d'expertise, il n'a pas été constaté d'impossibilité d'accès à l'entrée principale de leur domicile ; les sommes évaluées par l'expert à 4 000 euros pour la destruction de l'abri de jardin et de 1 950 euros pour la perte de jouissance de ce même abri apparaissent excessives ; la demande d'indemnisation au titre de la valeur vénale du tènement à la suite de la modification de la configuration des lieux apparaît incompatible avec la demande principale qui vise à obtenir une indemnisation destinée à rétablir la voie dans sa partie endommagée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la voirie routière ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. et Mme H... et B... Grégory et Laurence, et de Me D..., représentant la commune de Saint-Michel-les-Portes.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... et M. H... sont propriétaires, depuis 2007, d'une maison d'habitation située au lieu-dit " La Bâtie d'Ambel " dans la commune de Saint-Michel-les-Portes (département de l'Isère). Cette maison d'habitation est desservie par le chemin dit de la Bâtie d'Ambel qui est soutenu par un mur donnant sur le jardin (parcelle 917), situé en contrebas, appartenant aux consorts B... et H.... Le 5 janvier 2012, le mur de soutènement du chemin s'est effondré sur une longueur de 14 mètres emportant une partie de la voirie et détruisant l'abri de jardin implanté en contrebas. Par ordonnance du 3 juin 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise afin de déterminer la cause des désordres et a désigné M. G... en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport en avril 2015. Les consorts B... et H... relèvent appel du jugement du 9 novembre 2017 en tant que le tribunal administratif de Grenoble, qui a retenu que la responsabilité de la commune de Saint-Michel-les-Portes était engagée sur le terrain des dommages de travaux publics, a limité le montant de la condamnation mise à sa charge à la somme de 4 500 euros.
Sur la responsabilité de la commune de Saint-Michel-les-Portes sur le fondement de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales :
2. Aux termes de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales, " Les dépenses obligatoires comprennent notamment :(...) 20° Les dépenses d'entretien des voies communales ". Aux termes de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière : " Le classement et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal ". Aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les dépenses obligatoires pour les communes incluent les dépenses d'entretien des seules voies communales, dont ne font pas partie les chemins ruraux.
3. Il résulte de l'instruction que, par délibération du 19 février 1988, le conseil municipal de la commune de Saint-Michel-les-Portes a approuvé le tableau de classement des voies communales " conformément au plan soumis à l'enquête et qui restera annexé " à la délibération. Si ce tableau de classement des voies communales de la commune ne comporte pas le chemin de la Bâtie d'Ambel et si le plan soumis à l'enquête publique précise que le chemin de la Bâtie d'Ambel est une " voie communale à déclasser ", ce chemin ne peut être regardé comme ayant cessé de constituer une voie communale appartenant au domaine public de la commune en l'absence de tout acte exprès produit par la commune prononçant effectivement le déclassement de cette voie. Par suite, le chemin de la Bâtie d'Ambel doit être regardé comme étant demeuré une voie communale. Il s'ensuit que la commune de Saint-Michel-les-Portes était tenue de l'entretenir, ainsi que le mur de soutènement qui en constitue l'accessoire indispensable, en application des dispositions de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales.
4. Il en résulte que Mme B... et M. H... sont fondés à soutenir que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, la responsabilité de la commune de Saint-Michel-les-Portes est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'obligation d'entretien de la voie litigieuse découlant des dispositions précitées de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que " le mur de soutènement qui s'est effondré en janvier 2012 était en maçonnerie de pierres jointoyées non appareillées et ne présentait pas de fruit. Il était donc très sensible aux sollicitations de poussées en particulier en tête. Aucun revêtement de chaussée ne venait limiter les infiltrations d'eaux pluviales à l'arrière de l'ouvrage. Aucun matériau drainant n'assurait une décompression des eaux en face arrière du mur de soutènement. Aucune barbacane n'était mise en place en pied de mur pour un drainage en pied. Aucune limitation de poids et de gabarit n'était imposée quant à l'usage de la voirie. ". L'expert indique encore que " les causes principales des désordres proviennent de la vétusté de l'ouvrage, de sa conception sommaire et de l'absence d'entretien de la voirie ne comportant plus que ponctuellement de revêtement de chaussée ". Par suite, les dommages subis par les consorts B... et H... ont pour origine un défaut d'entretien de ce chemin et de son mur de soutènement. En s'abstenant de procéder à l'entretien du chemin de la Bâtie, le maire de la commune de Saint-Michel-les-Portes a méconnu l'obligation d'entretien des voies communales pour en assurer une utilisation normale résultant des dispositions de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales. En conséquence, les consorts B... et H... sont fondés à rechercher sur ce fondement la responsabilité de la commune de Saint-Michel-les-Portes en raison des conséquences dommageables de l'effondrement du mur de soutènement du chemin dès lors qu'ils établissent le lien de causalité entre les désordres affectant leur propriété et le défaut d'entretien du chemin en cause.
6. Le tribunal administratif a retenu l'existence d'une faute imputable aux consorts B... et H... à hauteur de 25 % des conséquences dommageables résultant du passage occasionnel d'engins de chantier sur leur propriété en vue de réaliser des travaux en se fondant sur le rapport d'expertise qui indique que " certaines photographies produites par la commune montrent que des engins ainsi qu'un camion de fort tonnage circulant au ras de la tête de ce mur de soutènement. Ces circulations ont contribué à la déformation de la voirie et à la formation d'ornières favorisant l'accumulation d'eaux pluviales à l'arrière du mur de soutènement " et que " les dégradations du chemin ont été accélérées du fait du passage de camions créant des rigoles propices à l'infiltration des eaux pluviales à l'arrière du mur de soutènement ". Toutefois, eu égard aux caractéristiques propres de ce chemin qui a pour fonction de desservir la propriété des requérants, et alors qu'aucune interdiction ou limitation de circulation n'avait été mise en place, la commune de Saint-Michel-les-Portes n'établit pas que les requérants auraient commis une faute en décidant de faire réaliser des travaux nécessitant le passage d'engins de chantier sur le chemin litigieux ou que les conducteurs d'engins n'auraient pas pris les précautions nécessaires. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute de leur part et leur ont imputé 25% des conséquences dommageables de l'effondrement du mur de soutènement du chemin.
7. Il s'ensuit qu'il incombe à la commune de Saint-Michel-les-Portes de réparer entièrement les conséquences des dommages subis par les consorts B... et H....
Sur l'évaluation des préjudices :
8. Les premiers juges ont évalué, en se fondant sur le rapport d'expertise, le coût d'évacuation des gravats à la somme de 500 euros, le préjudice résultant de la destruction de l'abri de jardin à la somme de 4 000 euros et les troubles dans les conditions d'existence liés à la destruction de l'abri de jardin et au caractère dangereux de la voie à la somme de 1 500 euros. L'appréciation des préjudices ainsi effectuée par les premiers juges n'apparaît pas excessive et c'est à juste titre qu'ils n'ont pas retenu d'abattement de vétusté, compte tenu de l'usage fait par les intéressés de leur bien.
9. En revanche, les consorts B... et H..., qui n'apportent aucun élément nouveau en appel, n'établissent pas que l'effondrement du mur de soutènement du chemin serait la cause d'une perte de valeur vénale de leur propriété, alors qu'ils disposent d'un autre accès à leur propriété dont il n'est pas établi qu'il serait difficilement praticable. Par suite, cette prétention indemnitaire, ne peut qu'être rejetée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts B... et H... sont seulement fondés à soutenir que l'indemnité de 4 500 euros que la commune de Saint-Michel-les-Portes a été condamnée à leur verser par le jugement attaqué doit être portée à la somme de 6 000 euros. Les conclusions d'appel incident de la commune de Saint-Michel-les-Portes doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur les dépens :
11. Il y a lieu de maintenir à la charge de la commune de Saint-Michel-les-Portes les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 990,80 euros par ordonnance du 2 juin 2015.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Saint-Michel-les-Portes le versement aux consorts B... et H... d'une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des consorts B... et H..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Saint-Michel-les-Portes demande au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 4 500 euros que la commune de Saint-Michel-les-Portes a été condamnée à verser aux consorts B... et H... par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 novembre 2017 est portée à la somme de 6 000 euros.
Article 2 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 990,80 euros sont maintenus à la charge de la commune de Saint-Michel-les-Portes.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La commune de Saint-Michel-les-Portes versera la somme globale de 1 500 euros aux consorts B... et H... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Les conclusions d'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par la commune de Saint-Michel-les-Portes sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... B..., à M. F... H... et à la commune de Saint-Michel-les-Portes.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 novembre 2019.
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N° 18LY00157