Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 décembre 2016 et 22 août 2017, les consortsD..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1402258 du 8 novembre 2016 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a limité l'indemnisation de Mme D...à la somme de 1 891,50 euros et en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de MM. E...et C...D... ;
2°) d'allouer à Mme D...à titre provisionnel :
- 167 422,66 euros au titre des préjudices patrimoniaux ;
- 38 046,25 euros eu titre des préjudices extra-patrimoniaux ;
- 100 000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination ;
3°) d'allouer à M. E...D... :
- 10 000 euros en réparation du préjudice moral ;
- 4 000 euros en réparation du préjudice sexuel ;
4°) d'allouer à M. C...D... :
- 8 000 euros en réparation du préjudice moral ;
l'ensemble de ces sommes étant assorti des intérêts au taux légal à compter du jour du recours amiable devant l'ONIAM ;
5°) de déclarer l'arrêt à intervenir commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes ;
6°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de l'ONIAM en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- il résulte de l'instruction, notamment de l'enquête transfusionnelle, que Mme D...a fait l'objet d'une transfusion sanguine et que la contamination de Mme D...par le virus de l'hépatite C résulte de cette contamination ; en conséquence, il appartient à l'ONIAM de réparer les préjudices en lien avec ladite transfusion ;
- si l'état de santé de Mme D...n'est pas consolidé, l'ONIAM doit indemniser les préjudices qui peuvent déjà être évalués, soit s'agissant de MmeD..., les dépenses de santé restées à sa charge, les pertes de revenu, l'incidence professionnelle, les frais divers, l'assistance par une tierce personne, le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le préjudices spécifique de contamination, s'agissant de M. E...D..., le préjudice moral et le préjudice sexuel, et s'agissant de M. C...D..., le préjudice moral ;
Par des mémoires en défense enregistrés les 14 mars 2017 et 27 mars 2018, l'ONIAM, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise que Mme D...présente une activité virale et une fibrose minime et souffre par ailleurs d'un lupus traité par corticoïde depuis 1996 ;
- la réalité des dépenses de santé dont elle demande le remboursement n'est pas établie dès lors, d'une part, qu'elle bénéficie d'une prise en charge à 100 % pour le Vhc et d'autre part, qu'elle est couverte par une mutuelle ; il n'est pas établi que les soins reçus en mars 2003 soient en lien avec l'hépatite C ;
- les pertes de revenu dont la requérante se prévaut sont en lien non avec l'hépatite C mais avec le lupus dont elle souffre par ailleurs ;
- l'incidence professionnelle est un préjudice permanent qui s'évalue à la consolidation ; en outre, ce préjudice est en lien avec le lupus dont elle souffre ;
- l'hépatite C dont est atteinte MmeD..., eu égard à l'activité minime du virus, ne nécessite pas l'assistance par une tierce personne ;
- selon l'expert, Mme D...n'a subi aucune période de déficit fonctionnel temporaire partiel ; en conséquence, les conclusions tendant à l'indemnisation d'une telle période ne peuvent qu'être rejetées ;
- le tribunal a fait une exacte évaluation du déficit fonctionnel temporaire total et des souffrances endurées ;
- Mme D...ne peut obtenir l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence alors qu'elle a déjà obtenu l'indemnisation des souffrances endurées et du déficit fonctionnel temporaire total ; elle ne peut obtenir l'indemnisation du préjudice spécifique de contamination ;
- le préjudice moral et le préjudice sexuel de M. E...D...et le préjudice moral de M. C...D...doivent être rejetés, eu égard au stade de l'évolution de l'hépatite C de MmeD... ; le préjudice sexuel de M. E...D...n'a pas été relevé par l'expert ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 26 avril 2018 :
- le rapport de M. Carrier,
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
1. Considérant que Mme A...D..., née en 1965, a, à la suite d'un grave accident de la circulation survenu en novembre 1986, fait l'objet d'une transfusion de produits sanguins ; que sa sérologie au virus de l'hépatite C a été diagnostiquée en 1992 ; que, le 22 août 2011, elle a présenté une demande indemnitaire à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qui lui a fait une offre transactionnelle ; que Mme D...a refusé cette offre en raison de son caractère insuffisant ; que MM. E...et C...D...ont formulé une demande indemnitaire à l'ONIAM qui a été implicitement rejetée ; que, par jugement du 8 novembre 2016, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné l'ONIAM à verser à Mme D...la somme de 1 891,50 euros, assortie des intérêts au taux légal, et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires ; que, par leur requête, les consorts D...demandent la réformation de ce jugement en tant seulement qu'il a limité à la somme susmentionnée l'indemnisation accordée ;
Sur la déclaration de jugement commun :
2. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes a été régulièrement mise en cause et s'est abstenue de produire avant la clôture de l'instruction ; qu'il y a lieu, ainsi que le demande MmeD..., de lui déclarer commun le présent arrêt ;
Sur l'évaluation du préjudice :
En ce qui concerne le préjudice de MmeD... :
S'agissant des préjudices temporaires à caractère patrimonial :
Concernant les dépenses de santé :
3. Considérant, d'une part, que Mme D...sollicite le remboursement d'une somme de 242,52 euros correspondant à des frais d'hospitalisation exposés du 13 au 26 mars 2003 ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces frais seraient en lien avec l'hépatite C dont elle souffre ; que, d'autre part, la requérante demande le remboursement de frais médicaux qui seraient demeurés à sa charge pour un montant global de 1 390,93 euros en se fondant sur les relevés de prestations de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes ; que, toutefois, il résulte de l'instruction, notamment de ces relevés et des déclarations qu'elle a faites à l'ONIAM, que la requérante est affiliée à une mutuelle complémentaire de santé ; que, malgré la demande expresse formulée en ce sens par l'ONIAM, Mme D...n'a produit aucun justificatif concernant les remboursements dont elle a pu bénéficier de sa mutuelle de santé ; qu'ainsi, en l'état du dossier, la requérante n'établit pas la réalité de sa créance ; qu'il s'ensuit que les conclusions tendant à l'indemnisation du poste de préjudice susmentionné doivent être rejetées ;
Concernant les pertes de revenu :
4. Considérant que Mme D...demande l'indemnisation des pertes de revenu résultant des arrêts de travail causés par son hépatite C en 1993, 1994 et 1996 ; que, toutefois, dès lors qu'elle n'apporte pas davantage en appel qu'en première instance d'éléments suffisants permettant d'établir l'existence des pertes de revenu invoquées, les conclusions tendant à la réparation de ce poste de préjudice ne peuvent être accueillies ;
Concernant l'incidence professionnelle :
5. Considérant que, dans le cas d'une pathologie évolutive insusceptible d'amélioration, l'absence de consolidation, impliquant notamment l'impossibilité de fixer définitivement un taux d'incapacité permanente, ne fait pas obstacle à ce que soit mise à la charge du responsable du dommage la réparation des préjudices matériels et personnels dont il est d'ores et déjà certain qu'ils devront être subis à l'avenir ; qu'en revanche, l'existence de traitements rendant possible une guérison fait obstacle à l'indemnisation des préjudices futurs, qui ne peuvent être regardés comme certains ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise susmentionné que l'état de santé de la requérante en lien avec son hépatite C n'est ni consolidé, ni stabilisé et que la requérante est susceptible de bénéficier de nouveaux traitements rendant possible sa guérison ; qu'il n'est par ailleurs pas établi ni même allégué que Mme D...serait opposée à la prise de ces nouveaux traitements ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice futur d'incidence professionnelle ne peut être regardé comme présentant un caractère certain ; qu'en tout état de cause, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise amiable produit au dossier, que Mme D...est non seulement porteuse du virus de l'hépatite C mais souffre également d'un lupus érythémateux disséminé sévère ; que cette dernière pathologie est de manière exclusive à l'origine de sa mise en invalidité en 2007 alors que son infection par le virus de l'hépatite C s'est caractérisée, depuis son diagnostic, par son caractère peu actif, la requérante n'ayant fait l'objet que d'un suivi sans traitement antiviral ; qu'il s'ensuit que les conclusions tendant à l'indemnisation de ce poste de préjudice ne peuvent être accueillies ;
Concernant l'assistance par une tierce personne :
7. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, notamment des termes du rapport de l'expertise susmentionné, que l'hépatite C dont souffre Mme D...aurait requis l'assistance d'une tierce personne ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce poste de préjudice ;
Concernant les frais divers :
8. Considérant que, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, Mme D... justifie suffisamment avoir exposé des frais à hauteur de la somme de 131,50 euros afin de se rendre à la réunion d'expertise fixée le 16 juillet 2014 ;
S'agissant des préjudices temporaires à caractère personnel :
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'hépatite C dont la requérante est atteinte est modérément active ; que, toutefois, l'asthénie dont elle a souffert peut être considérée en partie en lien avec cette infection ; que l'hépatite C a nécessité la réalisation de plusieurs biopsies et des bilans biologiques réguliers, qu'elle a eu des répercussions sur sa vie de famille et a entraîné des arrêts de travail en 1993, 1994 et 1996 ; qu'il en est résulté un déficit fonctionnel temporaire, entraînant divers troubles dans ses conditions d'existence, dont il sera fait une juste appréciation en allouant à l'intéressée une somme de 3 000 euros ;
10. Considérant que les souffrances physiques endurées par Mme D...du fait de l'hépatite C ont été évaluée par l'expert à 2 sur 7 ; qu'elles seront indemnisées de manière adéquate par l'octroi d'une somme de 2 000 euros ;
11. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, la requérante est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice moral certain qu'elle a subi résultant notamment de la conscience d'être atteinte d'une maladie grave alors même qu'elle n'est pas consolidée ; que depuis la révélation de sa contamination par le virus de l'hépatite C en juillet 1992, et alors même que son infection est toujours demeurée modérément active, qu'aucun traitement ne lui a été administré et qu'une guérison est envisageable grâce aux nouvelles thérapies existantes, Mme D...a pu légitiment éprouver des inquiétudes du fait de sa contamination par la maladie qui avait été diagnostiquée et des conséquences graves qui pouvaient en résulter ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice qu'elle a subi de ce fait en lui allouant une somme de 5 000 euros ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le montant de l'indemnité provisionnelle qui doit être mise à la charge de l'ONIAM au profit de Mme D...s'élève à la somme de 10 131,50 euros ;
En ce qui concerne le préjudice de MM. E...et C...D... :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique, qui mettent à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des victimes des dommages résultant notamment de la contamination par le virus de l'hépatite C, ne font pas obstacle à ce que les victimes indirectes de cette contamination puissent également être indemnisées au titre de la solidarité nationale ; que, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice moral et le préjudice sexuel de M. E...D...consécutif à la contamination de son épouse par le virus de l'hépatite C sera justement indemnisé en lui allouant à ce titre la somme globale de 3 000 euros ; que, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice moral subi par M. C...D..., du fait de la contamination de sa mère sera justement réparé en lui allouant la somme de 1 000 euros ;
Sur les intérêts :
14. Considérant que Mme D...a droit aux intérêts au taux légal sur l'indemnité de 10 131,50 euros à compter du 22 août 2011, date non contestée de la réception de sa demande par l'ONIAM ; que MM. D...ont droit quant à eux aux intérêts au taux légal sur l'indemnité perçue à compter du 11 décembre 2014, date à laquelle a pu être reçue au plus tôt par l'ONIAM leur demande indemnitaire datée du 10 décembre 2014 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande des requérants tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'ONIAM une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en première instance et devant la cour ;
DECIDE :
Article 1er : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Article 2 : La somme de 1 891,50 euros que l'ONIAM a été condamné à verser à Mme D... par le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 8 novembre 2016 est portée à 10 131,50 euros. L'ONIAM est en outre condamné à verser à M. E...D...la somme de 3 000 euros et à M. C...D...la somme de 1 000 euros. Les desdites sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 22 août 2011 s'agissant de l'indemnité versée à MmeD..., et à compter du 11 décembre 2014 s'agissant des indemnités versées à MM.D....
Article 3 : L'ONIAM versera aux consorts D...une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 8 novembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts D...est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D..., à M. E...D..., à M. C... D..., à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des maladies nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 26 avril 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Carrier, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 mai 2018.
N° 16LY04218 7