Par un jugement n° 0805476 du 20 septembre 2016, le tribunal a rejeté les demandes de Mme D... et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 octobre 2016 et 30 mars 2018 sous le n° 16LY03362, Mme A...D..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentante légale de ses enfants Tom et Théo B...et de M. C... B..., représentée par Me Gerbi, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 0805476 du 20 septembre 2016 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à réparer 95% des préjudices causés par la prise en charge de M. C... B...au service d'aide médicale urgente dudit établissement ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente dépendant du centre hospitalier universitaire de Grenoble qui a pris en charge le 13 mai 2007 l'appel de Mme D..., a commis une faute en se bornant à procéder à un entretien incomplet et insuffisant qui n'a pas permis de poser le bon diagnostic de la pathologie dont souffrait M. C... B...et de bénéficier d'une prise en charge adaptée à son état de santé ; il a perdu une chance d'échapper aux séquelles dont il demeure atteint qui peut être évaluée dans les circonstances de l'espèce à 95% ; le choix du patient de se faire hospitaliser ou pas ne constitue pas un élément pertinent pour évaluer le taux de perte de chance.
Par des mémoires en défense enregistrés le 5 décembre 2017 et le 26 juin 2018, le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le moyen présenté par la requérante n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
II. Par une requête enregistrée les 22 novembre 2016 sous le n° 16LY03955, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, représentée par Me Simonotto, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 0805476 du 20 septembre 2016 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à lui verser la somme de 1 753 640,77 euros correspondant aux débours qu'elle a exposés en faveur de son assuré, M. C... B..., avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2016 et la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 047 euros prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le médecin régulateur du service d'aide médicale urgent dépendant du centre hospitalier universitaire de Grenoble a commis une faute médicale et qu'il appartient au centre hospitalier de réparer les conséquences dommageables en lien avec cette faute.
Par des mémoires en défense enregistrés les 5 et 13 décembre 2017 et 22 juin 2018, le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le moyen présenté par la requérante n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 septembre 2018 :
- le rapport de M. Drouet, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Gerbi, avocat, pour Mme D... ;
1. Considérant que les requêtes susvisées n° 16LY3362 et n° 16LY03955, présentées respectivement pour Mme D... et pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, concernent le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que, le 13 mai 2007 en début d'après-midi, M. C... B..., né en 1964, a été victime d'un malaise suivi de céphalées intenses associées à des vomissements ; que ces symptômes ont persisté jusqu'à son retour à son domicile à 23 heures avec en outre des douleurs à la nuque ; que sa compagne, Mme D..., s'est mise en relation à 23 heures 08 avec le médecin régulateur du service d'aide médicale d'urgence (SAMU) dépendant du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble, qui a décidé, à la suite de l'entretien téléphonique réalisé et de l'analyse des symptômes décrits, d'envoyer sur place un médecin généraliste de garde ; que ce dernier, arrivé au domicile de M. C... B...à 23 heures 28, a, après l'avoir ausculté, procédé à une injection d'antalgiques et lui a proposé sans succès une hospitalisation ; que, le 14 mai 2007, vers 6 heures du matin, face à la dégradation de l'état de santé de M. B... qui tenait des propos incohérents, sa compagne a appelé à nouveau le SAMU ; que le médecin régulateur a décidé d'envoyer une ambulance non médicalisée, puis devant l'aggravation de l'état de santé du patient devenu comateux, une ambulance médicalisée du SMUR ; que le scanner pratiqué après l'arrivée de M. B... aux urgences du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble a révélé une hémorragie cérébro-méningée avec inondation ventriculaire ; que M. B... a fait l'objet dans l'après-midi du 14 mai 2007 d'une intervention chirurgicale consistant en une embolisation ; qu'il demeure atteint de lourdes séquelles neurologiques et neuro-orthopédiques ; que Mme D..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentant légal de M. B... et de leurs enfants, et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ont recherché la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ; que, par jugement du 20 septembre 2016 dont Mme D... et la caisse primaire relèvent appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 6311-2 du code de la santé publique : " (...) les services d'aide médicale urgente : /1° Assurent une écoute médicale permanente ; /2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les SAMU, qui comportent un centre de réception et de régulation des appels, sont chargés d'assurer une écoute médicale permanente, de déterminer et déclencher la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, de s'assurer de la disponibilité des moyens d'hospitalisation, publics ou privés, adaptés à l'état du patient, d'organiser, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires, de veiller enfin à l'admission du patient ; qu'en outre, le médecin régulateur placé auprès de chaque SAMU est chargé d'évaluer la gravité de la situation et de mobiliser l'ensemble des ressources disponibles, en vue d'apporter la réponse la plus appropriée à l'état du patient et de veiller à ce que les soins nécessaires lui soient effectivement délivrés ; qu'il doit, pour ce faire, se fonder sur une estimation du degré de gravité avérée ou potentielle de l'atteinte à la personne concernée, ainsi que de l'état et des délais d'intervention des ressources disponibles ; que ces appréciations reposent sur un dialogue entre le médecin régulateur et la personne concernée, ou, le cas échéant, son entourage ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge de première instance, que l'entretien auquel a procédé le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente dépendant du centre hospitalier universitaire de Grenoble le 13 mai 2007 n'a pas été réalisé de façon totalement optimale, dès lors que les consignes du " guide d'aide à la régulation au SAMU centre 15 " n'ont pas été complètement respectées, le médecin régulateur qui a pris en charge l'appel de Mme D... ne l'ayant pas interrogée sur les antécédents et les facteurs de risque de son compagnon et n'ayant pas analysé de manière suffisamment combinée les différents symptômes présentés ; que, toutefois, l'expert précise que le guide susmentionné ne présente pas de caractère obligatoire, qu'il n'est qu'une aide mise à la disposition des médecins régulateurs pour faciliter leur travail, que le déroulement exacte d'un entretien est variable selon l'expérience et la culture du médecin régulateur, que le processus suivi présente un caractère essentiellement intuitif et peut différer selon les circonstances ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'entretien du 13 mai 2007 en litige a eu une durée adaptée, qu'au cours de celui-ci le médecin a questionné Mme D... et M. B... pour connaître précisément les symptômes présentés, qu'il a apprécié la gravité de la situation compte tenu de ces symptômes, établi le diagnostic le plus probable et proposé en conséquence l'offre de soins la plus adaptée ; que si le diagnostic retenu s'est révélé a posteriori erroné, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas du rapport de l'expert, que l'entretien du 13 mai 2007, compte tenu notamment de sa durée et des échanges qui ont eu lieu, aurait été manifestement réalisé en méconnaissance des règles de l'art, alors que la rupture d'anévrysme est une pathologie qui, d'un point de vue statistique, ne se produit que très rarement et que le médecin libéral de garde qui a ausculté M. B... à 23h28 n'a pas davantage posé ce diagnostic, tout en prodiguant des soins conformes aux règles de l'art ainsi que l'a jugé la cour d'appel de Grenoble par arrêt du 22 avril 2014 ; que, dans ces conditions, si le médecin régulateur lors de l'entretien du 13 mai 2007 ne s'est pas strictement conformé au " guide d'aide à la régulation au SAMU centre 15 " et n'a pas suffisamment procédé à une analyse combinée des symptômes présentés par M. B..., le même médecin régulateur, qui n'a pas mis en oeuvre des moyens insuffisants en décidant l'envoi d'un médecin libéral de garde au domicile de M. B..., ne peut être regardé comme ayant commis une négligence fautive de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées leurs conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions de la caisse primaire tendant au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 047 euros prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 16LY03362 de Mme D... et la requête n° 16LY03955 de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 27 septembre 2018.
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N° 16LY03362,...