Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 janvier 2017 et le 5 juin 2018, Mme C...L..., M.A... J..., Mme I...J..., Mme K... D..., M. E... D... et M. F... H..., représentés par Me Hussar, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1402026 du 8 novembre 2016 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand à payer :
- à Mme G... et à M. J... une indemnité de 3 206,77 euros en remboursement des frais d'obsèques de leur fille, Mme B...J... ;
- à Mme G... une indemnité de 35 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa fille, Mme B...J..., survenu le 5 février 2014 ;
- à M. J... une indemnité de 35 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa fille, Mme B...J... ;
- à Mme I... J...une indemnité de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa soeur ;
- à Mme D... une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa nièce ;
- à M. D... une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa nièce ;
- à M. H... une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de la soeur de sa compagne ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale sur la prise en charge de Chloé J...au sein du centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré d'un défaut de surveillance de la patiente ;
- la responsabilité pour faute du centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand est engagée en raison d'un défaut de surveillance de Mme B... J...au centre médico-psychologique Berlioz ; en effet,
à la suite de son admission au service des urgences de ce centre hospitalier le dimanche 2 février 2014 à 17 h 40 pour tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire, le médecin psychiatre de ce service a relevé chez la patiente le 3 février 2014 une tristesse de l'humeur, des idées suicidaires verbalisées le samedi soir 1er février 2014, des difficultés d'endormissement, des ruminations anxieuses, une perte d'appétit, un repli sur soi, des idées d'infériorité et une incapacité à se projeter dans l'avenir ; le 4 février 2014, le même praticien a noté en conclusion sur l'état de Mme B... J...une tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire, une absence de critique du geste suicidaire et un épisode dépressif majeur avec crise suicidaire ;
à l'arrivée de l'intéressée au centre médico-psychologique Berlioz du même établissement le 4 février 2014 vers 15 h, le médecin psychiatre de ce service a mal évalué l'état de sa patiente et son risque suicidaire en relevant un risque suicidaire moyen et une absence d'urgence et de dangerosité ;
l'antécédent de tentative de suicide de Mme B...J..., son suivi psychologique régulier, son comportement dans la journée qui a précédé son geste et son comportement dans le service dans la soirée précédant le passage à l'acte - une crise de larmes ayant nécessité la délivrance d'un traitement médicamenteux - nécessitaient une surveillance accrue, alors que deux rondes ont été effectués à 1 h et 3 h seulement en méconnaissance de la fiche d'organisation du travail de nuit du centre médico-psychologique prévoyant en outre une ronde à 2 h pour les patients à risque ;
- ils ont droit aux sommes suivantes :
Mme G... et M. J..., à une indemnité de 3 206,77 euros en remboursement des frais d'obsèques de leur fille, Mme B...J..., qu'ils ont engagés ;
Mme G..., à une indemnité de 35 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa fille, Mme B...J..., survenu le 5 février 2014 ;
M. J..., à une indemnité de 35 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa fille ;
Mme I...J..., à une indemnité de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa soeur ;
Mme D..., à une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa nièce ;
M. D..., à une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de sa nièce ;
M. H..., à une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'affection subi du fait du décès de la soeur de sa compagne.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 octobre 2017, le centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré d'un défaut de surveillance n'est pas fondé ;
- à titre subsidiaire, il ne pourrait être déclaré responsable que d'une perte de chance de 20 % maximum ; les conclusions indemnitaires des requérants devraient être ramenées à de plus justes proportions ; il n'est pas justifié d'un lien affectif particulier entre Mme B...J..., d'une part, et sa tante, l'époux de sa tante et le compagnon de sa soeur, d'autre part.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
- et les observations de Me Gilbert, avocat (cabinet Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation), pour le centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand.
1. Considérant que, le dimanche 2 février 2014 à 17 h 40, Mme B...J..., née le 24 juin 1993, a été admise au service des urgences psychiatriques du centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand à la suite d'une tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire le même jour à 2 h 30 du matin ; que, le 4 février 2014 vers 15 h, elle a été transférée à l'unité Berlioz du centre médico-psychologique du service de psychiatrie de l'adulte A du même établissement public de santé sous le régime de l'hospitalisation libre ; que, le 5 février 2014 entre 1 h et 3 h du matin, la patiente s'est suicidée par pendaison au moyen d'un drap et de la ceinture de son peignoir dans la chambre qu'elle occupait au sein de cette unité ; que Mme G..., sa mère, M. J..., son père, Mme I...J..., sa soeur, Mme D..., sa tante, M. D..., son oncle, et M. H..., le compagnon de sa soeur, relèvent appel du jugement n° 1402026 du 8 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de Mme B... J...survenu dans cet établissement le 5 février 2014 ;
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. " ;
3. Considérant, d'une part, que si, à la suite de l'admission au service des urgences psychiatriques de Mme B... J...le dimanche 2 février 2014 à 17 h 40 pour tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire le même jour à 2 h 30 du matin, l'un des médecins psychiatres de ce service a relevé chez la patiente le lundi 3 février 2014 une tristesse de l'humeur, des idées suicidaires verbalisées le samedi soir 1er février 2014, des difficultés d'endormissement, des ruminations anxieuses, une perte d'appétit, un repli sur soi, des idées d'infériorité et une incapacité à se projeter dans l'avenir et si, le mardi 4 février 2014, le même praticien a noté en conclusion sur l'état de Mme B... J...une tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire, une absence de critique du geste suicidaire et un épisode dépressif majeur avec crise suicidaire, il résulte de l'instruction, et notamment du compte-rendu d'hospitalisation de l'intéressée à l'unité Berlioz, que le docteur Goutain, médecin psychiatre assistant spécialisé au service de psychiatrie de l'adulte A, s'est entretenu sur l'état de Mme B... J...avant son arrivée à l'unité Berlioz avec le docteur Geneste, chef du service des urgences psychiatriques, lequel avait décidé le transfert de l'intéressée en service de psychiatrie ; qu'il ressort du compte-rendu de l'entretien d'entrée dans l'unité Berlioz de la patiente avec le docteur Goutain, que ce dernier a confirmé les observations précitées faites au service des urgences psychiatriques et tenant à un épisode dépressif majeur et à une crise suicidaire caractérisée par une tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire non critiquée ; qu'il ressort du compte-rendu de cet entretien d'entrée et du compte-rendu d'hospitalisation à l'unité Berlioz que Mme B... J...présentait à son arrivée dans cette unité, le mardi 4 février 2014 vers 15 h, un état clinique identique à celui relevé au service des urgences psychiatriques, avec une humeur triste, des pleurs, des ruminations anxieuses, une aboulie et des troubles de l'appétit et du sommeil et que le docteur Goutain a estimé que la persistance de l'absence de critique par la patiente de son geste d'intentionnalité létale constituait un critère de gravité sans présenter de caractère d'urgence ni de dangerosité à défaut de verbalisation de l'élaboration d'un scénario de passage à l'acte et qu'ainsi, le risque suicidaire devait être qualifié de moyen ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le docteur Goutain aurait mal évalué l'état de l'intéressée et son risque suicidaire à son arrivée à l'unité Berlioz en début d'après-midi du mardi 4 février 2014 ;
4. Considérant, d'autre part, qu'il ressort du dossier médical de Mme B... J...et des procès-verbaux d'audition par les services de police judiciaire de l'infirmière et de l'aide soignant du service présents dans l'unité Berlioz le soir du 4 février 2014 et la nuit du 4 au 5 février 2014, que la patiente a été installée dans une chambre à proximité du poste de soins, qu'a été organisée une surveillance régulière dans les chambres à 20 h 35, à 23 h, à 1 h et à 3 h du matin et qu'entre ces rondes, l'aide soignant est resté dans le couloir à l'écoute " des bruits du service " ; que, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent sur l'évaluation du degré de risque suicidaire chez Mme B...J..., cette surveillance ne révèle pas une méconnaissance de la fiche d'organisation du travail de nuit du centre médico-psychologique prévoyant en outre une ronde à 2 h pour les " patients à risque, contentionnés ou isolés " ; qu'il ressort du même dossier médical et des mêmes procès-verbaux que si, durant la soirée et le début de la nuit du 4 au 5 février 2014, la patiente a manifesté de l'anxiété qui a justifié l'administration d'un anxiolytique à 0 h 15, elle n'avait alors pas un comportement pouvant suggérer un passage à l'acte en l'absence d'évocation d'idée suicidaire et qu'elle était endormie dans sa chambre lors de la ronde effectuée à 1 h du matin ; que, dans ces conditions, et alors même que Mme B... J...bénéficiait d'un suivi psychologique régulier depuis plus d'un an et avait fait en janvier 2013 une première tentative de suicide, également par intoxication médicamenteuse volontaire, avant celle de la nuit du 1er au 2 février 2014 ayant justifié son hospitalisation, ni ces antécédents ni son comportement depuis son hospitalisation au centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand le dimanche 2 février 2014 en fin d'après-midi, et plus particulièrement dans les heures qui ont précédé son geste, ne révélaient une situation d'urgence suicidaire nécessitant des mesures de surveillance plus importantes que celles qui ont été mises en place ; que, par suite, l'absence de mise en place d'une surveillance constante de la patiente ne constitue pas une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée par les requérants, que ceux-ci ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 17LY00002 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...L..., à Mme I...J..., en son nom propre et en sa qualité d'héritière de M. A... J..., décédé le 11 août 2018, à Mme K... D..., à M. E... D..., à M. F... H..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et au centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Caraës, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 novembre 2018.
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N° 17LY00002