Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 18 décembre 2020, présentée pour M. A..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2005940 lu le 3 novembre 2020 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée et ne précise pas la base légale ;
- il n'est pas justifié de l'existence d'une décision explicite des autorités allemandes ni de ce que la demande de prise en charge auprès des autorités allemandes a été faite dans les délais prescrits par l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il appartient au préfet de démontrer que les informations et documents prévus par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 lui ont été remis dans un langue qu'il comprend ;
- la décision méconnaît le principe du contradictoire ;
- l'arrêté méconnaît le 2° de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que la notification ne précise pas les informations sur les personnes ou les entités susceptibles de fournir une assistance juridique ;
- l'arrêté méconnaît l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 en l'absence d'un entretien individuel et confidentiel et à défaut de la communication d'un résumé de cet entretien à l'intéressé ;
- il appartient au préfet de démontrer que l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 s'est effectivement déroulé dans une langue qu'il comprend, par une personne identifiée et habilitée et qu'il a eu accès à un résumé de cet entretien en temps utile ;
- il sollicite la communication de l'intégralité du dossier préfectoral ;
- un renvoi dans un contexte de tension sanitaire des pays européens amènera à un risque de contamination par le coronavirus sans perspective suffisante de prise en charge pour que ce renvoi risqué puisse être réalisé.
Par mémoire enregistré le 11 février 2021, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 9 décembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité guinéenne, né le 2 octobre 1977 à Kankan (Guinée Conakry), entré en France le 20 mars 2020, selon ses déclarations, a déposé une demande d'asile enregistrée à la préfecture de l'Isère le 3 août 2020. Le système Visabio a révélé que les autorités allemandes lui avaient délivré un visa valable du 19 février au 2 avril 2020, qui lui avait permis de pénétrer sur le territoire des États membres. Les autorités allemandes, saisies d'une demande de prise en charge de M. A..., le 19 août 2020, ont fait connaître leur accord explicite pour sa réadmission le 31 août 2020. Par un arrêté du 1er octobre 2020, le préfet du Rhône a ordonné son transfert aux autorités allemandes, responsables de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 3 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du préfet du Rhône du 1er octobre 2020.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 3 août 2020, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue française, que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités allemandes méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 et les garanties du droit d'asile.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, M. A... a bénéficié d'un entretien le 3 août 2020 avec un agent du service compétent de la préfecture de l'Isère, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené. M. A... a signé le résumé qui a été fait de cet entretien, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne lui a pas été remis. Il ne peut, dès lors, se prévaloir de ce qu'il n'aurait pas été informé du droit de consulter la copie de ce résumé. Dès lors qu'il a pu faire valoir lors de cet entretien ses observations, le requérant ne peut soutenir que la décision en litige ne serait pas intervenue au terme d'une procédure contradictoire.
5. En deuxième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, qui sont substantiellement identiques à celles prévues par l'article 18 du règlement (CE) n° 2725/2000 auxquelles elles se sont substituées, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Par suite, le requérant ne peut utilement faire valoir, pour contester la décision litigieuse, qu'il n'aurait pas reçu les informations concernant l'application du règlement " Visabio ". En conséquence, le moyen tiré de ce que M. A... n'a pas reçu ces informations avant le relevé de ses empreintes est inopérant.
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des copies des accusés de réception DubliNet produites par le préfet que les autorités allemandes ont effectivement été saisies, le 19 août 2020, d'une demande de prise en charge de M. A... et qu'elles ont accepté leur responsabilité le 31 août 2020.
7. En troisième lieu, l'article 21 du règlement Dublin III fait obstacle à ce qu'une requête aux fins de prise en charge puisse être valablement formulée plus de trois mois après l'introduction d'une demande de protection internationale, même si cette requête est formulée moins de deux mois après la réception d'un résultat positif Eurodac, au sens de cette disposition.
8. Il ressort du 4° de l'article R. 741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, pour la détermination de l'État responsable conduite en application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le demandeur d'asile doit, au cours de l'entretien organisé en préfecture en vue de l'enregistrement de sa demande, produire un certain nombre de pièces permettant son identification et, en outre, se prêter à une prise d'empreintes digitales de tous ses doigts, tandis que les services préfectoraux sont seuls à même, en vertu de l'article L. 741-1 du même code de délivrer, à la suite de cette présentation personnelle, un récépissé constatant la volonté de l'intéressé de présenter une demande de protection appuyée de toutes les pièces utiles. Dans la mesure, d'une part, où la détermination de l'État responsable est tributaire du résultat de la consultation du fichier Visabio qui elle-même ne peut se faire que par comparaison des empreintes digitales collectées lors de la présentation personnelle en préfecture avec celles qui sont enregistrées dans cette base de données et où, d'autre part, l'administration ne dispose des renseignements indispensables au traitement de la demande qu'à compter de la présentation de l'intéressé, le délai de trois mois ouvert au préfet par le 1 de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour adresser à un autre État une requête de reprise en charge du demandeur sur la foi du résultat de la consultation du fichier Visabio ne peut commencer à courir qu'à partir de la présentation personnelle du demandeur en préfecture sanctionnée par l'enregistrement de son dossier, sans égard à la date de recueil de la pré-demande par un prestataire extérieur qui, en vertu de l'article L. 744-1 du code, n'agit qu'en qualité de délégataire de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, établissement public chargé de servir les prestations sociales dues aux demandeurs d'asile admis à séjourner en France, dépourvu de compétences dans le traitement même des demandes d'asile et qui, de ce fait, ne saurait engager l'État dans l'exercice des attributions ressortissant à la compétence du préfet.
9. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 1, le système Visabio a révélé, le 3 août 2020, que M. A... avait bénéficié d'un visa de court séjour délivré par les autorités allemandes. La demande de prise en charge de M. A... devait donc être adressée aux autorités allemandes dans un délai de trois mois à compter de la date de sa demande de protection internationale. Il ressort des pièces produites par le préfet du Rhône que la demande adressée aux autorités allemandes, le 19 août 2020, est intervenue dans le délai de trois mois suivant la date d'enregistrement de sa demande d'asile, le 3 août 2020. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté et, en l'absence de résultat positif du système Eurodac, le requérant ne peut utilement invoquer le non-respect du délai spécifique de deux mois applicable dans ce seul cas.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
11. En application de l'article L. 742-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
12. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
13. La décision de transfert en litige vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 12. Elle indique que la consultation du fichier européen VIS a révélé que M. A... était en possession d'un visa délivré par les autorités allemandes et que les autorités de ce pays, saisies le 19 août 2020 sur le fondement de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont donné leur accord explicite à sa prise en charge le 31 août 2020. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et comporte la base légale sur laquelle elle est fondée.
14. En cinquième lieu, si M. A... soutient que la décision litigieuse ne lui a pas été notifiée conformément à l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité. Les conditions d'exécution de la mesure de transfert, à raison de la situation sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, demeurent également sans incidence sur la légalité de cette décision, qui s'apprécie à la date de son édiction.
15. En dernier lieu, aux termes du troisième alinéa du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin (...) la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise ". Il ressort des pièces du dossier que le préfet a produit en première instance les pièces relatives à la situation administrative de M. A... et que l'ensemble de ces productions a été communiqué au conseil de ce dernier. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et aux fins de mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.
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N° 20LY03750