Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2019, M. C... D... représenté par la SCP Mendel-de Vogüe et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 28 mai 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 6 août 2018 du ministre du travail autorisant son licenciement ;
3°) mettre à la charge de la société Meubles Ikéa France et de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le recours hiérarchique de la société Meubles Ikéa France à l'encontre du refus d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail du 5 février 2018, n'a été présenté que le 6 avril 2018 soit au-delà du délai de deux mois ;
- le silence gardé pendant plus de quatre mois vaut décision de rejet et la décision du ministre n'a été postée que le 7 août 2018 et ne lui est parvenue que le 8 août 2018 soit au-delà du délai de quatre mois ;
- s'agissant du motif d'annulation de la décision de l'inspecteur par le ministre, le défaut de contradictoire n'est pas constitué à son égard dès lors qu'il avait accès aux éléments de badgeage en tant que délégué du personnel et que ces informations lui ont été transmises par un courrier du 26 décembre 2017 ;
- le ministre du travail ne pouvait se fonder sur des éléments postérieurs à la décision de l'inspecteur du travail pour autoriser son licenciement ;
- le rapport d'enquête du 9 juillet 2018 ne lui a pas été communiqué en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- les faits reprochés ne justifiaient pas une mesure de licenciement ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec son mandat.
Par mémoire enregistré le 6 septembre 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête de M. D... en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par mémoire enregistré le 24 septembre 2019, la société Meubles Ikéa France, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. D... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me B..., substituant Me A... pour la société Meubles Ikéa France ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Meubles Ikéa France a demandé par un courrier du 12 décembre 2017 à l'inspection du travail, l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. D..., investi des mandats de délégué du personnel, de représentant syndical au comité d'établissement, de conseiller du salarié et de délégué syndical. Par décision du 5 février 2018, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. Sur recours hiérarchique, la ministre du travail, par décision du 6 août 2018, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M. D.... Ce dernier relève appel du jugement lu le 28 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur (...) / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet ".
3. D'une part, en imposant un délai de deux mois au recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail, ces dispositions ont entendu se référer à la règle générale du contentieux administratif selon laquelle un recours hiérarchique contre une décision administrative doit être exercé avant l'expiration du délai de recours contentieux pour en interrompre le cours. Par suite, le délai de deux mois dans lequel doit s'exercer le recours qu'elles mentionnent est, comme le délai de recours contentieux que ce recours est susceptible d'interrompre, un délai franc. Pour les mêmes motifs, le respect de ce délai s'apprécie à la date à laquelle le pli contenant le recours hiérarchique est présenté par les services postaux au ministre chargé du travail. Or, il ressort des pièces du dossier que le recours hiérarchique formé par la société Meubles Ikéa France contre de décision de l'inspectrice du travail du 5 février 2018, a été réceptionné par le ministère du travail, le 6 avril 2018, soit dans le délai franc de deux mois mentionné à l'article R. 2422-1 du code du travail.
4. D'autre part, suite au recours hiérarchique de la société Meubles Ikéa France, le ministre chargé du travail a, le 6 août 2018, dans le délai de quatre mois qui lui était imparti, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. D.... Est sans incidence sur le décompte de ce délai de retrait, la date de notification à l'intéressé.
5. En deuxième lieu, la circonstance que M. D... ait eu connaissance des pièces issues du badgeage relatives aux retards lors de sa prise de poste préalablement à la décision de l'inspecteur du travail refusant l'autorisation de le licencier est sans incidence sur la décision du ministre du travail dès lors que le motif retenu par le ministre pour annuler la décision de l'inspecteur relève du défaut de contradictoire à l'égard de l'employeur.
6. En troisième lieu, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. Par suite, la prise en compte des faits postérieurs à la date à laquelle s'est prononcé l'inspecteur du travail, particulièrement la circonstance que " le comportement du salarié a persisté avec trente-deux retards sur la période du 30 novembre 2017 au 6 mai 2018 ", n'entache pas d'illégalité la décision du ministre.
7. En quatrième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que le rapport de l'enquête réalisée par les services du ministre du travail dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique soit communiqué au salarié qui a, d'ailleurs, été invité à présenter ses observations, alors que le déroulement de la procédure juridictionnelle relative à la légalité de l'autorisation de licenciement ne peut affecter l'instruction du recours hiérarchique qui lui est antérieure. Par ailleurs, la production de ce rapport d'enquête en première instance, au cours de l'instruction plus d'un mois avant l'audience, a permis à M. D... de prendre connaissance de ce rapport et, s'il l'estimait nécessaire, de le contester devant le tribunal administratif.
8. En cinquième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
9. Il ressort des pièces du dossier, que la demande d'autorisation de licenciement de M. D... par la société Meubles Ikéa France portait sur la persistance de nombreux retards à son poste de travail et une absence injustifiée à son poste de travail, le 17 novembre 2017, sans autorisation ni justification ni prévenance de ses responsables, la réitération de la violation des règles internes à l'entreprise et de l'irrespect à l'égard des collaborateurs. Si le ministre a considéré que l'absence de M. D... à son poste, le 17 novembre 2017, ne constituait pas une faute dès lors que l'intéressé était en réunion préparatoire au comité d'établissement, il a toutefois retenu que M. D... avait, en octobre et novembre 2017, pris son poste avec retard à quatorze reprises. Si l'intéressé soutient que ses retards étaient tolérés par l'employeur et n'ont pas eu de conséquences sur l'organisation du travail, il ressort toutefois des pièces du dossier que la société Meubles Ikéa France a sanctionné M. D... pour de tels faits en 2015 et 2016, ce qui démontre qu'un tel comportement n'est pas admis dans l'entreprise et que M. D... en était averti.
10. Par ailleurs, plusieurs attestations de témoins établissent que M. D..., le 7 octobre 2017, au sein du restaurant d'entreprise et afin de bénéficier de la remise collaborateur, s'est permis d'ouvrir la veste d'une salariée sans son accord et de prendre son badge pour bénéficier de cette remise. De tels faits, qui constituent une méconnaissance des règles de procédure interne relatives aux remises sur les achats des collaborateurs caractérisent également un comportement déplacé de M. D... vis-à-vis d'une collègue, comportement qui avait déjà fait l'objet de sanction disciplinaire.
11. Compte tenu de ces circonstances, du caractère réitéré et permanent des retards de M. D... et des nombreux comportements contraires à la vie en entreprise qui ne permettent pas le maintien de ce collaborateur au sein de l'entreprise, des précédentes sanctions disciplinaires infligées à l'intéressé pour des motifs de même nature, M. D... n'est pas fondé à soutenir que ces faits ne seraient pas suffisamment graves pour justifier l'autorisation de le licencier.
12. En dernier lieu, le lien avec le mandat n'est pas établi.
13. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 28 mai 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Les conclusions de la requête présentées aux mêmes fins doivent être rejetées.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. D... la somme que demande la société Meubles Ikéa France au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Meubles Ikéa France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la société Meubles Ikéa France.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2020.
N° 19LY02878
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