Procédure devant la cour
Par requête, enregistrée le 17 juillet 2020, présentée pour Mme B..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2001484 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon lu le 29 juin 2020 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt, au préfet du Doubs lui délivrer une attestation de demande d'asile " procédure normale " subsidiairement, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas la signature du greffier, en ce qu'il est insuffisamment motivé s'agissant d'une demande de saisine de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- il n'est pas établi que l'entretien individuel a été effectué par une personne " qualifiée " de la préfecture, conformément à l'article 5 du règlement UE n° 604/2013, les initiales de l'agent ne suffisant pas à établir cette circonstance ;
- il n'est pas non plus établi que l'agent ayant consulté le fichier Visabio aurait été spécialement habilité et désigné à cet effet ;
- il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne s'agissant de la conformité du courant jurisprudentiel qui fait peser la charge de la preuve d'un " agent qualifié " ;
- la décision méconnaît l'article 16 du règlement UE n° 604/2013 et les points 15 à 18 de son préambule, dès lors que la France doit être l'Etat responsable, dès lors qu'elle est dépendante de ses enfants résidant régulièrement en France.
Par mémoire enregistré le 24 septembre 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme B... n'est fondé.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 14 octobre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante du Kosovo, née le 1er janvier 1950 à Lupc Ereme (Kosovo), entrée en France le 5 janvier 2020, selon ses déclarations, a déposé une demande d'asile à la préfecture du Doubs le 24 janvier 2020. Le système Visabio a révélé qu'elle avait bénéficié d'un visa délivré le 13 septembre 2019 par les autorités suisses, valable du 1er octobre 2019 au 30 septembre 2022. Les autorités suisses, saisies d'une demande de prise en charge le 7 février 2020, ont donné leur accord le 10 février 2020. Le 22 juin 2020, le préfet du Doubs a ordonné son transfert en Suisse et, par un arrêté du même jour, l'a assignée à résidence. Mme B... relève appel du jugement du 29 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet du Doubs du 22 juin 2020.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort de la minute du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient la requérante, elle a été signée par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon ainsi que par le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature de la minute par le greffier ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.
4. En second lieu, le jugement attaqué, par lequel le magistrat désigné a, en particulier, estimé se trouver en capacité d'appliquer par lui-même le règlement européen de sorte qu'il n'était pas nécessaire de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, est suffisamment motivé.
Sur la légalité de la décision de transfert :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vu remettre, le 24 janvier 2020, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue albanaise, que l'intéressée a déclaré comprendre. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités suisses méconnaît l'article 4 du règlement n° 604/2013 et les garanties du droit d'asile.
7. Ainsi qu'il a été dit au point 6, Mme B... a bénéficié d'un entretien le 24 janvier 2020 avec un agent du service compétent de la préfecture de la Côte d'Or, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 611-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Les destinataires des données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé prévu à l'article R. 611-8 sont : (...) 2° Les agents des préfectures (...) et ceux chargés de l'application de la réglementation relative à la délivrance des titres de séjour, au traitement des demandes d'asile et à la préparation et à la mise en oeuvre des mesures d'éloignement individuellement désignés et spécialement habilités par le préfet (...) ". L'accès aux fichiers Visabio et VIS implique que les agents des préfectures affectés au traitement des demandes d'asile disposent de codes personnels d'identification valant habilitation personnelle de l'autorité préfectorale. Mme B... se bornant à remettre en cause, par principe, l'habilitation de l'agent qui a consulté ces fichiers, n'appuie sa contestation d'aucun élément objectif. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) En vue d'appliquer les critères visés aux articles 8, 10 et 16, les États membres prennent en considération tout élément de preuve disponible attestant la présence sur le territoire d'un État membre de membres de la famille (...) du demandeur, à condition que lesdits éléments de preuve soient produits avant qu'un autre État membre n'accepte la requête aux fins de prise ou de reprise en charge de la personne concernée (...) ". Aux termes de l'article 16 du même règlement : " 1. Lorsque, du fait (...) d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant (...) résidant légalement dans un des États membres (...), les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant (...), à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant (...) soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit. / 2. Lorsque l'enfant (...) visé au paragraphe 1 réside légalement dans un État membre autre que celui où se trouve le demandeur, l'État membre responsable est celui dans lequel l'enfant (...) réside légalement, à moins que l'état de santé du demandeur ne l'empêche pendant un temps assez long de se rendre dans cet État membre. Dans un tel cas, l'État membre responsable est celui dans lequel le demandeur se trouve (...) ".
10. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et, en particulier, des déclarations de Mme B... lors de l'entretien individuel du 24 janvier 2020, que l'un de ses trois enfants, qui résidait alors en Suisse, était la personne invitante à l'origine du visa délivré à la requérante le 13 septembre 2019 par les autorités consulaires helvètes au Kosovo. Si la requérante, née en 1950 et âgée de soixante-dix ans à la date des décisions qu'elle conteste, fait état de ce qu'après le décès de son mari elle a quitté le Kosovo où elle n'avait plus de famille, et de ce qu'elle réside de façon habituelle chez sa fille et son gendre à Nevers où elle est suivie médicalement, elle ne justifie pas, par les pièces médicales qu'elle produit, qu'à raison d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse, elle serait dépendante de sa fille résidant en France, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, mais se borne à exposer que son fils résidant en Suisse ne souhaitait pas la prendre en charge et qu'il a quitté par la suite ce pays. D'autre part, il n'est ni justifié ni même allégué par la requérante qu'elle aurait, comme le prévoient les dispositions précitées de l'article 16, demandé par écrit à bénéficier de ces dispositions. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision de transfert des dispositions de cet article 16 doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle proposée par Mme B... au soutien de ses moyens tirés de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 et de l'article R. 611-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles de son avocat tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2021.
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N° 20LY01897
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