Par requête enregistrée le 31 mai 2021, présentée pour M. B..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2102118 lu le 20 avril 2021 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée et ne précise pas la base légale ;
- il n'est pas justifié de l'existence d'une décision explicite des autorités allemandes ;
- il appartient au préfet de démontrer que les informations et documents prévus par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 lui ont été remis dans un langue qu'il comprend ;
- l'arrêté méconnaît l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 en l'absence d'un entretien individuel et confidentiel et à défaut de la communication d'un résumé de cet entretien à l'intéressé ;
- il appartient au préfet de démontrer que l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n 604/2013 du 26 juin 2013 s'est effectivement déroulé dans une langue qu'il comprend, par une personne identifiée et habilitée et qu'il a eu accès à un résumé de cet entretien en temps utile ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article 9 du règlement eu égard à la résidence en France de sa concubine, qui s'est vu délivrer le statut de réfugiée, et de sa fille en France, qui sont des éléments permettant de considérer la France responsable de la demande d'asile du requérant, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine ; elle méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision méconnaît le principe de non refoulement prévu par les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève ;
- il sollicite la communication de l'intégralité du dossier préfectoral.
Par mémoire enregistré le 15 juillet 2021, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 12 mai 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité nigériane, né le 21 septembre 1980 à Ibadan, Oyo State (Nigéria), entré en France le 25 décembre 2020, selon ses déclarations, a déposé une demande d'asile enregistrée à la préfecture de l'Isère le 27 janvier 2021. La comparaison de ses empreintes digitales avec celles enregistrées dans le fichier européen Eurodac a révélé que M. B... avait été identifié en Italie, où il avait demandé l'asile le 16 avril 2014, et en Allemagne, où il avait demandé l'asile le 15 mars 2016. Les autorités allemandes, saisies d'une demande de reprise en charge de M. B... le 19 février 2021, ont fait connaître leur accord explicite pour sa réadmission le 24 février 2021. Par un arrêté du 29 mars 2021, le préfet du Rhône a ordonné son transfert aux autorités allemandes, responsables de sa demande d'asile. M. B... relève appel du jugement lu le 20 avril 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du préfet du Rhône du 29 mars 2021.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 27 janvier 2021, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue anglaise, que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités allemandes méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et les garanties du droit d'asile.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, M. B... a bénéficié d'un entretien le 27 janvier 2021, avec l'assistance d'un interprète, avec un agent du service compétent de la préfecture de l'Isère, qui est un agent qualifié au sens du 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené. M. B... a signé le résumé qui a été fait de cet entretien, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne lui a pas été remis. Il ne peut, dès lors, se prévaloir de ce qu'il n'aurait pas été informé du droit de consulter la copie de ce résumé.
5. En deuxième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, qui sont substantiellement identiques à celles prévues par l'article 18 du règlement (CE) n° 2725/2000 auxquelles elles se sont substituées, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Par suite, le requérant ne peut utilement faire valoir, pour contester la décision litigieuse, qu'il n'aurait pas reçu les informations concernant l'application du règlement Eurodac. En conséquence, le moyen tiré de ce que M. B... n'a pas reçu ces informations avant le relevé de ses empreintes est inopérant.
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des copies des accusés de réception DubliNet produites par le préfet que les autorités allemandes ont effectivement été saisies, le 19 février 2021, d'une demande de reprise en charge de M. B... et qu'elles ont accepté leur responsabilité le 24 février 2021.
7. En troisième lieu, aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
8. En application des dispositions alors codifiées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
9. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
10. La décision de transfert en litige vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 18. Elle indique que la consultation du fichier européen Eurodac a révélé que M. B... avait été identifié en Italie, où il avait demandé l'asile le 16 avril 2014, et en Allemagne, où il avait demandé l'asile le 15 mars 2016 et que les autorités de ce dernier pays, saisies le 19 février 2021 sur le fondement de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont donné leur accord explicite à sa reprise en charge le 24 février 2021. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et comporte la base légale sur laquelle elle est fondée.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre (...) ". Aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ".
12. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que c'est seulement au moment où le demandeur d'asile a introduit pour la première fois sa demande de protection internationale auprès d'un État membre que peut être prise en compte, pour la détermination de l'État membre responsable de la demande d'asile, la présence dans un État membre d'un membre de la famille du demandeur admis à y résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale, en vertu de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
13. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date à laquelle M. B... a sollicité, pour la première fois, une demande de protection internationale auprès des autorités italiennes, le 16 avril 2014, non plus d'ailleurs qu'à la date de sa demande d'asile en Allemagne, le 15 mars 2016, un membre de sa famille était admis à résider en France en tant que bénéficiaire d'une protection internationale, alors qu'il ressort, au contraire, des propres écritures de M. B... qu'il n'a rencontré qu'après son entrée en France sa concubine, également de nationalité nigériane, présente sur le territoire français depuis 2016, à laquelle le bénéfice d'une protection a été accordé en 2019, et alors que la fille de cette dernière, qu'il a reconnue le 18 juin 2020, est née en France le 30 mai 2020. M. B..., qui au demeurant ne fait pas état d'un souhait exprimé par écrit d'en bénéficier par l'ensemble des intéressés, ne peut, dès lors, se prévaloir utilement des dispositions précitées de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) - 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) au bien-être économique du pays (...) ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
15. M. B... fait état de la présence en France de sa concubine, qui bénéficie du statut de réfugiée, et de la fille de cette dernière, née en France le 30 mai 2020 et qu'il a reconnue le 18 juin 2020. Toutefois, à l'exception de ses propres déclarations lors de sa demande d'asile et des actes de naissance de l'enfant et de reconnaissance de celle-ci, le requérant, pas plus en appel qu'en première instance, ne justifie, par aucune pièce, émanant en particulier de la personne qu'il mentionne comme sa concubine, de l'existence d'une communauté de vie ni même de relations entre cette dernière, sa fille, et lui-même, alors au demeurant qu'à la date de la décision en litige M. B... n'était présent en France, où résidait la mère de son enfant depuis 2016, que depuis trois mois. Dès lors, la décision en litige n'a pas porté au droit au respect de la vie familiale et privée de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et elle n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle. En l'absence de démonstration de liens effectifs avec l'enfant qu'il a reconnue, M. B... ne peut soutenir que cette décision méconnaîtrait l'intérêt supérieur de cet enfant mineur, au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
16. En sixième lieu, le principe de non-refoulement, énoncé à l'article 33 de la convention de Genève, est inopérant à l'encontre d'une mesure de transfert, qui n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet de contraindre M. B... à regagner son pays d'origine
17. En dernier lieu, aux termes du troisième alinéa du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin (...) la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise ". Il ressort des pièces du dossier que le préfet a produit en première instance les pièces relatives à la situation administrative de M. B... et que l'ensemble de ces productions a été communiqué au conseil de ce dernier. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.
18. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et aux fins de mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 7 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.
1
2
N° 21LY01732
ar