Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 3 août 2020, M. E... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal ainsi que les décisions susvisées le concernant ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de supprimer son signalement Schengen ;
3°) de mettre à la charge de l'État d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par cette même requête M. A... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que l'arrêté du 8 juillet 2020 en tant qu'il l'interdit de retour pendant deux ans ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de supprimer son signalement Schengen ;
3°) de mettre à la charge de l'État d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. E... D... soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il a omis de statuer sur le moyen tiré du défaut de motivation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français ;
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne les moyens soulevés à l'encontre de la décision portant assignation à résidence ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne mentionne pas notamment la présence de son frère et sa soeur, son intégration en France, la situation de pandémie, et n'examine pas l'intérêt supérieur de son fils ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise sans qu'il ait été entendu en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le refus de délai de départ volontaire est disproportionné et entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus d'accorder un délai de départ volontaire ;
- elle méconnaît l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui exige une motivation spécifique ; elle ne prend pas en compte tous les critères légaux pour décider d'une interdiction de retour de deux ans ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et est disproportionnée ;
- l'assignation à résidence est entachée d'illégalité dès lors qu'elle repose sur une obligation de quitter le territoire français elle-même illégale ;
- la motivation de cette décision est insuffisante ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès que lors que son éloignement ne constitue pas une perspective raisonnable en raison de la situation de crise sanitaire, de la réduction des vols et de la fermeture des frontières ;
- l'arrêté d'assignation est entaché d'un défaut d'examen de sa situation.
M. A... D... soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il a omis de statuer sur le moyen tiré du défaut de motivation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est disproportionnée et entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de la Savoie qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Djebiri, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D... et M. A... D... ressortissants albanais nés respectivement le 1er mars 1987 et le 26 mai 1988, déclarent être entrés en France pour le premier le 3 septembre 2019 et le second le 12 février 2020. Le 8 juillet 2020, le préfet de la Savoie leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et pour M. E... D... l'a assigné à résidence. M. E... D... et M. A... D... relèvent appel chacun en ce qui le concerne du jugement du 17 juillet 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 8 juillet 2020.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal a expressément indiqué, au point 15 et 16 de son jugement, les motifs qui le conduisait à ne pas retenir comme fondés les moyens qu'il avait présenté à l'encontre de l'arrêté du 8 juillet 2020 assignant à résidence M. E... D.... Il suit de là que le jugement attaqué est suffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative.
3. Il résulte de la lecture du jugement que le tribunal a expressément répondu au moyen tiré du défaut de motivation de l'interdiction de retour sur le territoire français. Ainsi que le font valoir les requérants, le tribunal a omis de se prononcer sur le moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dirigé contre l'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer sur ce point et doit être annulé.
4. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les demandes d'annulation des interdictions de retour sur le territoire français et de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les conclusions tendant à l'annulation des obligations de quitter le territoire français et de l'assignation à résidence.
En ce qui concerne M. E... D... :
Sur le moyen commun à l'arrêté contesté :
5. L'exigence de motivation instituée par les articles L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les articles L. 211-2 et L. 211-4 du code des relations entre le public et l'administration s'entend de l'énoncé des seuls motifs sur lesquels l'administration entend faire reposer sa décision. Il suit de là que l'arrêté attaqué n'est pas entaché d'un défaut de motivation pour ne pas comporter le rappel d'éléments que M. D... regarde comme lui étant favorables et sur lesquels l'auteur de la décision ne s'est pas fondé.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. Il y a lieu d'écarter par adoption des motifs du tribunal les moyens tirés de la méconnaissance du droit d'être entendu, de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de celles des stipulations de l'article 3-1 de convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation, que M. D... se borne à reproduire en appel.
Sur l'absence de délai de départ volontaire :
7. M. D..., dont le visa est expiré, fait valoir qu'il vit en en France avec son épouse albanaise et leur enfant. Toutefois, la demande d'asile de sa compagne ayant été rejetée le 17 juin 2020 par la Cour nationale du droit d'asile, cette dernière n'a pas vocation à s'installer durablement sur le territoire français et rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue en Albanie. Compte tenu de la situation du requérant, cette décision n'est ni disproportionnée ni entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. En premier lieu, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français n'ayant été prise ni en application ni sur le fondement de la décision portant refus de délai de départ volontaire, M. D... ne saurait utilement exciper de l'illégalité de ce refus de délai de départ volontaire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'interdisant de retour sur le territoire français.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
10. D'une part, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans prise sur le fondement du premier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est régulièrement motivée en droit par le visa de ces dispositions. Elle est suffisamment motivée en fait, quant à son principe, par l'indication qu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à M. D... pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre et, quant à sa durée, par l'indication en particulier qu'il a déjà fait l'objet d'une interdiction de retour d'un an. Si le préfet de la Savoie n'a pas rappelé des éléments que M. D... regarde comme lui étant favorables et sur lesquels il ne s'est pas fondé il n'était pas tenu de le préciser expressément. Le moyen tiré du défaut de motivation révélant un défaut d'examen de la situation du requérant doit dès lors être écarté.
11. D'autre part, M. D..., auquel le préfet de la Savoie a refusé d'accorder un délai de départ volontaire, se trouve dans le cas prévu au premier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel, en l'absence de circonstances humanitaires, l'administration est tenue de prononcer une interdiction de retour sur le sol français. La circonstance que sa femme et son fils se trouvent sur le territoire français ne saurait être regardée comme constitutive de circonstances humanitaires au sens des dispositions précitées. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que la durée de deux ans dont l'interdiction est assortie serait disproportionnée, au regard de la situation de M. D..., alors qu'il a déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour d'une durée d'un an le 25 mai 2018. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
Sur l'assignation à résidence :
12. Il y a lieu d'écarter par adoption des motifs du tribunal les moyens tirés de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, du défaut de motivation et du défaut d'examen particulier que M. D... se borne à reproduire en appel.
13. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) Les trois derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve que la durée maximale de l'assignation ne puisse excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois. "
14. Il n'est pas contesté que les liaisons aériennes vers l'Albanie étaient autorisées à la date de la décision contestée. Dès lors, le préfet de la Savoie a pu légalement estimé que l'éloignement de l'intéressé demeure une perspective raisonnable et n'a ainsi pas a méconnu les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. Il résulte de ce qui précède que M. E... D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français prise le 8 juillet 2020 par le préfet de la Savoie et n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays destination et l'assignant à résidence. Ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et de condamnation de l'État au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
En ce qui concerne M. A... D... :
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
16. Le moyen de légalité externe concernant la décision portant obligation de quitter le territoire français est inopérant en ce qui concerne la décision attaquée portant interdiction de retour sur le territoire français.
17. D'une part, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français de deux ans prise sur le fondement du premier alinéa du III de l'article L. 511-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est régulièrement motivée en droit par le visa de ces dispositions. Elle est suffisamment motivée en fait, quant à son principe, par l'indication qu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à M. D... pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre et, quant à sa durée, par l'indication en particulier qu'il a déjà fait l'objet d'une interdiction de retour d'un an. Si le préfet de la Savoie n'a pas rappelé des éléments que M. D... regarde comme lui étant favorables et sur lesquels il ne s'est pas fondé il n'était pas tenu de le préciser expressément. Le moyen tiré du défaut de motivation révélant un défaut d'examen de la situation du requérant doit dès lors être écarté.
18. D'autre part, M. D..., auquel le préfet de la Savoie a refusé d'accorder un délai de départ volontaire, se trouve dans le cas prévu au premier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel, en l'absence de circonstances humanitaires, l'administration est tenue de prononcer une interdiction de retour sur le sol français. La circonstance que trois de ses soeurs résident sur le territoire de l'union européenne ne saurait être regardée comme constitutive de circonstances humanitaires au sens des dispositions précitées alors que sa femme et ses quatre enfants résident en Albanie. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que la durée de deux ans dont l'interdiction est assortie serait disproportionnée, au regard de la situation de M. D..., qui a déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement le 27 novembre 2017 assortie d'une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
19. Il résulte de ce qui précède que M. A... D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français prise le 8 juillet 2020 par le préfet de la Savoie. Ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et de condamnation de l'État au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2003675, 2003681 lu le 17 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il a rejeté les demandes d'annulation des décisions d'interdiction de retour sur le territoire français opposées par arrêtés du 8 juillet 2020 du préfet de la Savoie.
Article 2 : La demande de M. E... D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2020 du préfet de la Savoie et le surplus de ses conclusions sont rejetés.
Article 3 : La demande de M. A... D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2020 portant interdiction de retour sur le territoire français du préfet de la Savoie et le surplus de ses conclusions sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et M. E... D... époux B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2021.
N° 20LY02140 2
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