Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 24 juin 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour d'annuler ce jugement lu le 23 avril 2019 en tant qu'il a annulé la décision du 9 mars 2018, et la décision implicite de rejet du recours de M. B..., et l'a enjoint de verser à M. B... la retenue de traitement opérée au titre du mois de janvier 2018.
Il soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la retenue d'un trentième correspondant au jour de carence était fondée et a méconnu le principe du contradictoire ;
- en application des dispositions de l'article 115 de la loi du 30 décembre 2017, il convient d'effectuer une retenue sur traitement au titre du jour de carence ;
- l'administration n'était pas en mesure de procéder à une contre visite-médicale ;
- l'arrêt de travail n'était pas dûment justifié par des raisons médicales, il s'agissait d'un arrêt de travail de complaisance obtenu dans le cadre d'un mouvement concerté ;
- à titre subsidiaire si la cour considérait que la retenue sur traitement n'est pas fondée, il devra être fait application de l'article 115 de la loi du 30 décembre 2017 qui institue le jour de carence ;
- le tribunal devait saisir le Conseil d'État en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, dès lors que la question qui lui était posée était nouvelle, sérieuse et concernait de nombreux litiges sur le territoire national.
La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit d'observation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;
- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., surveillant pénitentiaire affecté à la maison d'arrêt de Dijon, a adressé à son administration un avis d'arrêt de travail établi par un médecin généraliste pour la période du 25 au 30 janvier 2018 inclus. Le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon, considérant que l'agent était en situation d'absence non justifiée, a décidé d'appliquer une retenue de six trentièmes pour service non fait sur son traitement mensuel, par une décision du 9 mars 2018. Par demande enregistrée sous le n° 1801913, M. B... a notamment demandé au tribunal administratif de Dijon l'annulation de cette décision et de la décision implicite de rejet opposée à son recours formé à l'encontre de la décision du 9 mars 2018. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 23 avril 2019 du tribunal administratif de Dijon, en tant qu'il a annulé la décision du 9 mars 2018 et la décision implicite de rejet du recours de M. B... et l'a enjoint de verser à ce dernier la retenue de traitement opérée au titre du mois de janvier 2018.
2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ". Selon l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dispose que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".
3. Si, en vertu des dispositions précitées l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.
4. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas sérieusement contesté, qu'à la suite de l'appel au blocage des établissements pénitentiaires par plusieurs organisations syndicales, un grand nombre d'agents affectés à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Dijon et, en particulier, à la maison d'arrêt de Dijon, ont produit un avis médical pour justifier leur absence au cours du mois de janvier 2018. Dans ces circonstances très particulières, et alors que l'administration démontre n'avoir pu faire procéder à des contre-visites médicales, du fait du grand nombre d'agents concernés et de la durée limitée des arrêts de travail, elle était fondée à contester le bien-fondé de ces arrêts de travail. Dans ces conditions il appartenait à M. B... d'établir que le certificat médical qui lui avait été délivré correspondait à une pathologie réelle.
5. En l'espèce les pièces du dossier ne permettent pas de démontrer que l'état de santé de M. B... justifiait son placement en congé de maladie. Ce dernier, qui avait produit un avis d'interruption de travail d'une durée de six jours pour " état grippal bronchite " n'apporte aucun autre élément circonstancié permettant d'étayer la réalité de cette pathologie. Par suite, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon a pu légalement considérer que l'absence de M. B... n'était pas justifiée par un motif médical et opérer une retenue sur son traitement à hauteur de six trentièmes pour absence de service fait au titre de la période comprise entre le 25 et le 30 janvier 2018 inclus.
6. C'est, dès lors, à tort que les premiers juges, pour annuler la décision du 9 mars 2018 et le rejet implicite du recours de M. B..., se sont fondés sur le motif tiré de ce que le ministre n'établissait pas que l'arrêt de travail présenté par M. B... serait injustifié ou qu'il aurait été accordé par complaisance.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Dijon.
8. En premier lieu, aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ". Selon l'article 4 de la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...) ". L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Selon l'article L. 121-2 de ce code : " (...) Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ". Enfin l'article L. 211-2 du même code dispose que : " (...) doivent être motivées les décisions qui : (...) refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ".
9. Les décisions par lesquelles l'autorité administrative procède à une retenue de salaire à l'encontre d'un agent qui a présenté un avis d'interruption de travail en cas de maladie qu'il estime dûment constatée, sont au nombre des décisions qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit et doivent être motivées en vertu des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Mais il ressort des pièces du dossier que la décision du 9 mars 2018, qui procède à la retenue sur salaire de M. B..., énonce les raisons de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon. Le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.
10. En second lieu, la circonstance, à la supposer établie, que plusieurs agents se seraient trouvés dans une situation semblable à celle de M. B... sans avoir fait l'objet d'une retenue sur leur traitement mensuel n'est pas de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre de la règle strictement comptable selon laquelle cette retenue doit être pratiquée pour toute absence injustifiée de service fait. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre agents publics doit, dès lors, être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, sans qu'il soit besoin d'en examiner la régularité ni de saisir le Conseil d'État sur le fondement des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 9 mars 2018 et la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours de M. B..., et l'a enjoint de verser à M. B... la retenue de traitement opérée au titre du mois de janvier 2018, et à demander l'annulation de ce jugement en tant qu'il a fait droit aux demandes de M. B... et le rejet des demandes de première instance de M. B....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801913 du tribunal administratif de Dijon lu le 23 avril 2019 est annulé en tant qu'il a annulé la décision du 9 mars 2018 et la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours de M. B..., et a enjoint au ministre de la justice de verser à M. B... la retenue de traitement opérée au titre du mois de janvier 2018.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Dijon est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 4 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président ;
Mme Djebiri, premier conseiller ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021.
N° 19LY02455 2
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