Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 janvier 2020 et 31 octobre 2020, la société Huk Autos, représentée par Me Brillier-Laverdure, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions susmentionnées ;
2°) de la décharger de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'OFII une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'omission à statuer sur les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'exception d'illégalité de l'article 1er de l'arrêté du 5 décembre 2006 ;
- le jugement est également irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas mis en œuvre les pouvoirs d'instruction dont il disposait en vue d'enjoindre à l'OFII de communiquer la convention le liant à l'État ;
- la décision du 30 août 2018 est insuffisamment motivée ;
- il n'est pas établi que les agents des services de police ayant établi le procès-verbal constatant les infractions reprochées, dont elle ignore l'identité, étaient matériellement et territorialement compétents ;
- la procédure suivie est irrégulière, dès lors que le procès-verbal ne lui a pas été communiqué et les griefs reprochés n'ont été que succinctement évoqués dans le courrier d'information du 9 avril 2018 ;
- ce courrier ne mentionnait l'identité des travailleurs concernés qu'en annexe et ne mentionnait pas la somme exacte des sanctions pécuniaires que l'OFII envisageait de prendre à son encontre ;
- elle n'a pas pu faire valoir ses observations ;
- il appartient à l'OFII d'établir que les modalités de constatation et de fixation du montant de la contribution spéciale définies en application de l'article L. 8253-1 du code du travail ont été respectées ;
- les contributions en litige ne sont pas fondées, dès lors que M. A... C... a présenté un récépissé de demande de carte de séjour l'autorisant à travailler depuis le 29 octobre 2014 dont elle n'était pas en mesure de vérifier la validité ;
- à titre subsidiaire, le montant de la contribution spéciale aurait dû être réduit à 3 570 euros ;
- le montant de la contribution forfaitaire est disproportionné ; la contribution forfaitaire est entachée d'exception d'illégalité de l'arrêté du 5 décembre 2006 ; l'article 1er de l'arrêté du 5 décembre 2006 est contestable ;
- le plafond de 15 000 euros prévu par l'article L. 8256-2 du code du travail doit lui être appliqué ;
- la sanction prononcée est manifestement disproportionnée.
Par mémoires enregistrés les 27 mars 2020 et 9 novembre 2020, l'OFII, représenté par Me De Froment, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Huk Autos au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 2 novembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- l'arrêté du 5 décembre 2006 relatif au montant de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Brillier-Laverdure, pour la société Huk Autos ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion d'un contrôle effectué, le 31 janvier 2018, dans le garage exploité par la société Huk Autos à Pierre Bénite, les services de police ont constaté la présence d'un ressortissant marocain travaillant dans l'établissement, démuni d'autorisation de travail. Par décision du 30 août 2018, le directeur général de l'OFII, à qui les procès-verbaux de police ont été transmis, a mis à la charge de la société requérante la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, d'un montant de 17 850 euros équivalent à 5 000 fois le taux horaire du salaire minimum garanti, ainsi que la contribution prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, liquidée à la somme de 2 124 euros par application du tarif forfaitaire applicable à la zone du Maghreb, représentative des frais de réacheminement du travailleur illégalement employé vers le Maroc, pays dont il est le ressortissant. Par sa requête, la société Huk Autos demande à la cour l'annulation du jugement du 5 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes d'annulation des décisions en litige et de décharge des sommes précitées.
Sur la régularité du jugement :
2. La convention liant l'OFII à l'État étant, ainsi qu'il est dit au point 9, dépourvue d'incidence sur l'exigibilité des sommes mises à la charge de la société Huk Autos, sa production ne présentait pas d'utilité pour la mise en l'état de l'affaire. Il suit de là que le tribunal n'a pas entaché l'instruction de défaut de contradictoire en ne mettant pas en demeure le défendeur de produire ce document.
3. En revanche, le tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 5 décembre 2006 invoquée à l'appui de la contestation de la contribution forfaitaire aux frais de réacheminement. Par suite, la société Huk Autos est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'omission à statuer et à demander l'annulation, dans cette mesure.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer les conclusions de la demande dirigées contre la contribution forfaitaire de 2 124 euros et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.
Sur le fond du litige :
En ce qui concerne les moyens communs à la contestation des deux contributions :
5. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration a prononcé une contribution spéciale et une contribution forfaitaire sanctionnant l'emploi irrégulier de travailleur étranger en France, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer non sur les éventuels vices propres de la décision litigieuse mais sur le bien-fondé et le montant des contributions liquidées par l'administration, à l'exception des vices affectant la compétence du signataire de l'acte qui conditionne l'exigibilité de la somme et l'indication des bases de liquidation des contributions qui permet au redevable d'élever sa contestation. S'il estime qu'une contribution a été illégalement infligée, dans son principe ou son montant, il revient au juge, dans la première hypothèse, de l'annuler et, dans la seconde, de la réformer en fixant lui-même un nouveau quantum proportionné aux manquements constatés et aux autres critères prescrits par les textes en vigueur.
6. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article R. 5223-20 du code du travail, applicable au fonctionnement de l'OFII : " Le directeur général assure la gestion et la conduite générale de l'Office, la préparation et l'exécution des délibérations du conseil d'administration. Il est ordonnateur des recettes et des dépenses de l'établissement. Il passe tous actes, contrats ou marchés et conclut les transactions (...) ". Aux termes de l'article R. 5223-21 du même code : " Le directeur général peut déléguer sa signature à tout agent de l'établissement exerçant des fonctions d'encadrement (...) ". Il résulte de l'instruction que les décisions attaquées ont été signées par Mme B... D..., chef du pôle de veille juridique et de suivi du contentieux, qui, en cette qualité, et en vertu de la décision du directeur général de l'OFII, signée le 2 novembre 2016 et régulièrement publiée le 15 décembre 2016, est compétente pour prendre toute décision d'application des contributions spéciale et forfaitaire. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions manque en fait.
7. D'autre part, les décisions attaquées mentionnent les textes dont elles font application, les faits à raison desquels les contributions ont été mises à la charge du redevable, ainsi que les éléments entrant dans leur liquidation. En ce qu'elles permettent une contestation utile, elles sont suffisamment motivées et il est sans incidence que le procès-verbal dressé le 31 janvier 2018 n'ait pas été joint.
8. Enfin et en conséquence de ce qui est dit au point 5, les autres moyens tirés de l'irrégularité de la procédure doivent être écartés comme dépourvus d'effet utile sur la contestation du bienfondé ou du quantum des contributions litigieuses, la société Huk Autos ayant eu la possibilité de faire valoir devant le tribunal puis devant la cour les arguments permettant d'obtenir la décharge ou la réduction de l'obligation de payer les sommes en litige et qu'elle n'aurait pas pu invoquer auprès de l'OFII.
9. En second lieu, quelles que soient les circonstances dans lesquelles le procès-verbal du 31 janvier 2018 a été établi, les faits qui y sont consignés peuvent valablement servir à établir le grief imputé à l'employeur, celui-ci conservant la faculté d'en contester par tous moyens la matérialité devant le juge à l'appui de son recours contre les contributions spéciale et forfaitaire.
En ce qui concerne la contribution spéciale :
10. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut (...) embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ", et aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'État selon des modalités définies par convention. / L'État est ordonnateur de la contribution spéciale. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception (...) ".
11. L'État étant, en vertu des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 8253-1 précité du code du travail, seul habilité à rendre exigible la contribution mise à la charge de l'employeur, la convention signée par l'OFII a pour seul objet de régler les rapports entre cet établissement et la personne publique pour laquelle cette contribution est constatée et liquidée, et n'est susceptible de produire d'effets qu'entre les parties signataires. Il suit de là que les griefs articulés par la société Huk Autos contre ladite convention ou bien la date de sa signature sont dépourvues d'incidence sur la contestation du bienfondé ou du montant de la somme en litige.
12. Il résulte de l'instruction que, le 31 janvier 2018, un ressortissant marocain dépourvu d'autorisation effectuait des travaux de mécanique dans les locaux du garage de la société Huk Autos en alléguant, sans que cette explication ait été corroborée par des éléments objectifs et vérifiables, utiliser les moyens de l'employeur pour son propre compte. En outre, si la société Huk Autos se prévaut d'un récépissé périmé de demande de carte de séjour délivré en 2014, il lui appartenait de s'assurer auprès des administrations territorialement compétentes de la délivrance d'un titre autorisant l'exercice d'une activité salariée. Par suite, les faits à l'origine des sanctions prononcées sont matériellement établis et constitutifs d'une méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail.
13. Il est vrai qu'aux termes de l'article R. 8253-2 du code du travail, définissant les conditions d'application du premier alinéa de l'article L. 8253-1 précité : " I. - Le montant de la contribution spéciale (...) II. - (...) est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause (...) 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. III. - Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre (...) ".
14. D'une part, il résulte de l'instruction que le 31 janvier 2018, il a été constaté que la situation du ressortissant marocain était également constitutive d'une relation de travail dissimulée. D'autre part, la société Huk Autos n'établit pas avoir versé à son salarié, dans le délai de trente jours prévu par les dispositions précitées, l'intégralité des salaires, accessoires, indemnités de rupture, solde de tout compte prévus par l'article L. 8252-2 du code. Il suit de là que la requérante ne relevait d'aucun des cas envisagés par le II de l'article R. 8253-2 précité et qu'elle n'est pas fondée à demander une réduction de sa contribution à 2 000 ou à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti.
En ce qui concerne la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement :
15. Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 621-1 du code du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. / Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler (...) / Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État ". Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article R. 621-1 du même code, définissant les modalités d'application du dernier alinéa de l'article L. 621-1 : " I.- La contribution forfaitaire (...) prévue à l'article L. 626-1 est due pour chaque employé en situation irrégulière au regard du droit au séjour (...) II. - Le montant de cette contribution forfaitaire est fixé par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé du budget, en fonction du coût moyen des opérations d'éloignement vers la zone géographique de réacheminement (...) ". Enfin, l'article 1er de l'arrêté susvisé du 5 décembre 2006 fixe à 2 124 euros le montant de la contribution forfaitaire au réacheminement vers le Maghreb, zone géographique incluant le Maroc.
16. En premier lieu, la forfaitisation prévue par l'article R. 621-1 et l'arrêté du 5 décembre 2006 tient compte tant de l'éloignement de chaque zone géographique à l'égard de la France que du prix moyen du transport, lui-même résultant du coût et de la fréquence des dessertes des pays considérés. Elle n'est donc pas constitutive d'une rupture d'égalité et n'a pas pour effet de faire supporter à l'employeur redevable une charge qui excéderait le coût effectif du transport, alors qu'en outre le forfait inclut le traitement administratif du dossier notamment pour la réadmission dans le pays d'origine. Il suit de là que la société Huk Autos n'est pas fondée à exciper de l'illégalité des dispositions réglementaires précitées pour contester le bienfondé de la contribution forfaitaire mise à sa charge.
17. En deuxième lieu, le plafond de 15 000 euros toutes contributions confondues institué par l'article L. 8256-2 du code du travail n'est applicable qu'aux personnes physiques. La société Huk Autos n'est, par suite, pas fondée à s'en prévaloir pour demander que la contribution forfaitaire soit réduite afin que ses deux contributions n'excèdent pas la somme de 15 000 euros.
18. En dernier lieu, la société Huk Autos soutient que le montant de la sanction est disproportionné au regard des faits qui lui sont reprochés. Les dispositions du code du travail n'habilitant pas l'OFII à moduler la contribution spéciale et la contribution forfaitaire en dehors des cas pour lesquelles une minoration est envisagée par les textes applicables au litige, l'invocation de difficultés financières est sans incidence sur le montant des sommes exigibles.
19. Il résulte de ce qui précède, que la société Huk Autos n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 30 août 2018 par laquelle le directeur général de l'OFII a mis à sa charge une contribution forfaitaire de 2 124 euros puis a rejeté son recours gracieux et qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté le surplus de sa demande. Par suite, les conclusions de sa requête doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la société Huk Autos demande au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de l'OFII, qui n'est pas partie perdante. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'OFII.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1900318 lu le 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il a rejeté la demande dirigée contre la contribution forfaitaire, le rejet de recours gracieux et l'obligation de payer la somme de 2 124 euros.
Article 2 : La demande présentée au tribunal par la société Huk Autos, dirigée contre la contribution forfaitaire, le rejet de recours gracieux et l'obligation de payer la somme de 2 124 euros, ainsi que le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'OFII au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Huk Autos et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021.
N° 20LY00044 4