Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 15 mars 2019, et un mémoire présenté le 8 janvier 2021, non communiqué en application de l'article R. 611-1 alinéa 3 du code de justice administrative, Mme E... F..., Mme D... F... et M. C... F..., représentés par Me G..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 17 janvier 2019 ;
2°) d'annuler la délibération précitée ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Grasse la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'enquête publique est irrégulière, d'une part car l'avis de l'architecte des bâtiments de France (ABF) du 12 juillet 2017 a été joint au dossier d'enquête seulement le 13 juillet 2017, alors que l'enquête s'est déroulée du 20 juin 2017 au 21 juillet 2017 ; le projet a été modifié à la suite de l'avis de l'ABF et cette communication tardive de l'avis a donc nui à l'information du public ; d'autre part, il n'est pas précisé à quelle date les avis de la chambre de commerce et d'industrie de Nice Côte d'Azur du 27 juin 2017 et de la communauté d'agglomération du pays de Grasse du 20 juin 2017 ont été intégrés au dossier d'enquête publique ;
- le projet a été modifié au cours de l'enquête publique pour tenir compte de l'avis de l'ABF ce qui a porté atteinte à son économie générale ;
- le projet ne présente pas d'intérêt général, mais vise à la satisfaction d'un intérêt purement privé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2019, la commune de Grasse, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge des appelants la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable en tant qu'elle émane de Mme D... F... et Mme E... F..., qui n'étaient pas parties en première instance ;
- M. F..., qui ne justifie pas de sa qualité de propriétaire à proximité du projet, ne démontre pas son intérêt à agir ;
- les autres moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., représentant les consorts F..., et de Me A..., de la SELARL Plénot-Suares-Blanco-Orlandini, représentant la commune de Grasse.
Considérant ce qui suit :
1. Par délibération du 19 septembre 2017 le conseil municipal de Grasse a approuvé la déclaration de projet n° 2 portant sur la démolition et la reconstruction de l'" Hôtel des parfums ", avec mise en compatibilité du plan local d'urbanisme (PLU). M. C... F... et autres requérants relèvent appel du jugement n° 1800304 du 17 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 153-54 du code de l'urbanisme : " Une opération faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique, d'une procédure intégrée en application de l'article L. 300-6-1 ou, si une déclaration d'utilité publique n'est pas requise, d'une déclaration de projet, et qui n'est pas compatible avec les dispositions d'un plan local d'urbanisme ne peut intervenir que si : / ° L'enquête publique concernant cette opération a porté à la fois sur l'utilité publique ou l'intérêt général de l'opération et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence ; 2° Les dispositions proposées pour assurer la mise en compatibilité du plan ont fait l'objet d'un examen conjoint de l'Etat, de l'établissement public de coopération intercommunale compétent ou de la commune et des personnes publiques associées mentionnées aux articles L. 132-7 et L. 132-9. / Le maire de la ou des communes intéressées par l'opération est invité à participer à cet examen conjoint. ". Et selon l'article L. 132-7 du même code, en vigueur à la date de la délibération attaquée : " L'Etat, les régions, les départements, les autorités organisatrices prévues à l'article L. 1231-1 du code des transports, les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de programme local de l'habitat et les organismes de gestion des parcs naturels régionaux et des parcs nationaux sont associés à l'élaboration [...] des plans locaux d'urbanisme dans les conditions définies aux titres IV et V./ Il en est de même des chambres de commerce et d'industrie territoriales, des chambres de métiers, des chambres d'agriculture et, dans les communes littorales au sens de l'article L. 321-2 du code de l'environnement, des sections régionales de la conchyliculture. Ces organismes assurent les liaisons avec les organisations professionnelles intéressées. ". Enfin, selon l'article R. 123-8 du code de l'environnement : " Le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme./ Le dossier comprend au moins :/ [...] 3° La mention des textes qui régissent l'enquête publique en cause et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative relative au projet, plan ou programme considéré, ainsi que la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l'enquête et les autorités compétentes pour prendre la décision d'autorisation ou d'approbation ; / 4° Lorsqu'ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire préalablement à l'ouverture de l'enquête, les avis émis sur le projet plan, ou programme ;/ 5° Le bilan de la procédure de débat public organisée dans les conditions définies aux articles L. 121-8 à L. 121-15, de la concertation préalable définie à l'article L. 121-16 ou de toute autre procédure prévue par les textes en vigueur permettant au public de participer effectivement au processus de décision. Il comprend également l'acte prévu à l'article L. 121-13. Lorsque aucun débat public ou lorsque aucune concertation préalable n'a eu lieu, le dossier le mentionne ;/ 6° La mention des autres autorisations nécessaires pour réaliser le projet dont le ou les maîtres d'ouvrage ont connaissance.... ".
3. La méconnaissance de ces dispositions n'est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative.
4. En l'espèce d'une part, contrairement à ce que fait valoir la commune de Grasse, l'avis de l'architecte des bâtiments de France (ABF) devait être joint au dossier d'enquête publique, en application de l'article R. 123-8 6° du code de l'environnement cité au point 2. Toutefois, il ne saurait être reproché à la commune d'avoir joint au dossier de l'enquête publique, qui s'est déroulée du 20 juin 2017 au 21 juillet 2017, l'avis favorable assorti d'une réserve de l'ABF seulement le 13 juillet 2017, alors qu'il est constant que la commune n'a reçu cet avis émis le 12 juillet 2017 que le 13 juillet 2017. Au demeurant, cet avis était favorable et assorti d'une réserve visant à réduire la hauteur de la construction, afin de permettre une meilleure intégration. Les requérants ne démontrent pas qu'en intégrant dans le dossier d'enquête cet avis de l'ABF avec une réserve, reprise à son compte par l'avis favorable du commissaire-enquêteur, la commune aurait nui à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou exercé une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative, alors notamment qu'il ressort du rapport du commissaire-enquêteur que l'emprise et la hauteur de la construction faisaient déjà partie des préoccupations du public.
5. D'autre part, en se bornant à soutenir qu'il n'est pas précisé à quelle date les lettres de la chambre de commerce et d'industrie de Nice Côte d'Azur du 27 juin 2017 et de la communauté d'agglomération du pays de Grasse du 20 juin 2017 ont été intégrés au dossier d'enquête publique, les requérants n'assortissent pas leur moyen de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 153-21 du code de l'urbanisme, dans sa version alors en vigueur : " A l'issue de l'enquête, le plan local d'urbanisme, éventuellement modifié pour tenir compte des avis qui ont été joints au dossier, des observations du public et du rapport du commissaire ou de la commission d'enquête, est approuvé par : / 1° L'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à la majorité des suffrages exprimés après que les avis qui ont été joints au dossier, les observations du public et le rapport du commissaire ou de la commission d'enquête aient été présentés lors d'une conférence intercommunale rassemblant les maires des communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale ; / 2° Le conseil municipal dans le cas prévu au 2° de l'article L. 153-8. ". Il est loisible à l'autorité compétente de modifier le PLU après l'enquête publique, sous réserve, d'une part, que ne soit pas remise en cause l'économie générale du projet et, d'autre part, que cette modification procède de l'enquête.
7. En l'espèce, contrairement à ce que fait valoir la commune intimée, il ressort de la délibération attaquée que le projet approuvé tient compte de l'avis de l'ABF précité et réduit donc la cote altimétrique de 390 à 381 Ngf, ce qui selon les projections proposées par la société Progéréal, porteur du projet, induirait une réduction du nombre de chambres de 82 à 71, soit de moins de 14 %. Mais il n'est pas démontré, et il ne ressort pas des pièces du dossier, qu'une telle modification porterait atteinte à l'économie générale du projet, y compris s'agissant de son volet économique.
8. En troisième lieu, eu égard à l'objet et à la portée d'une mise en compatibilité du PLU, qui permet notamment d'alléger les contraintes procédurales s'imposant à la modification de ce document, il appartient à l'autorité compétente d'établir, de manière précise et circonstanciée, sous l'entier contrôle du juge, l'intérêt général qui s'attache à la réalisation de la construction ou de l'opération constituant l'objet de la mise en compatibilité, au regard notamment des objectifs économiques, sociaux et urbanistiques poursuivis par la collectivité publique intéressée.
9. En l'espèce, le projet en cause porte sur la mise en compatibilité du PLU de la commune de Grasse pour la démolition et la reconstruction de l' " Hôtel des Parfums " situé dans le centre-ville, afin de reclasser une partie de la zone " UBa ", correspondant au secteur du centre urbain, en zone " UH ", qualifiée de zone urbaine hôtelière plus adaptée au projet et, ainsi qu'il a été dit au point 7, d'intégrer une hauteur à la cote altimétrique de 381 Ngf sur la zone concernée par le projet. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la notice descriptive du projet, que la délibération attaquée est motivée notamment par la volonté de redynamiser le centre-ville et de valoriser un site stratégique en termes de tourisme, alors que le projet se situe, non seulement à 450 mètres du musée international de la parfumerie et à 600 mètres du musée Fragonard, mais aussi à proximité des infrastructures nationales ferroviaires et internationales comme l'aéroport de Nice. Il est en outre précisé que la carence d'offre d'hébergement sur la commune est caractérisée, et que le projet vise à créer cinquante emplois dont trente en contrat à durée indéterminée, à dynamiser les commerces alentours et l'investissement local et qu'il présente un intérêt paysager et architectural, alors que le bâtiment actuel, qui est à l'abandon depuis 2013, marque négativement le paysage urbain et les transitions avec la ville médiévale de Grasse qu'il domine. Il ressort en outre de la notice descriptive que pour un investissement local de 15 millions d'euros, en termes de chantier, une retombée d'1,7 million d'euros est attendue sur le centre-ville, avec un taux de remplissage estimé à 65 % et un coût moyen de dépense estimé à 60 euros par jour et par personne. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, en mentionnant que " la question qui se pose concernant le projet est moins celle de son utilité que celle de son emprise et de sa hauteur ", le commissaire-enquêteur a implicitement mais nécessairement admis l'intérêt général de l'opération dans son principe, alors qu'il a émis un avis favorable au projet, assorti d'une réserve visant à respecter l'avis précité de l'ABF. Si les requérants soutiennent que la redynamisation du centre ancien peut se réaliser sans dénaturer le paysage et l'architecture, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'emprise du projet a été réduite, ainsi qu'il a été dit au point 7, la cote altimétrique étant passée de 390 à 381 Ngf, afin de tenir compte des exigences de l'avis de l'ABF précité, qui préconisait de réduire sa hauteur afin de permettre une meilleure intégration. Et en se bornant à soutenir que l'offre hôtelière peut se diversifier sans pour autant se concentrer sur une parcelle, alors au demeurant qu'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler la localisation du projet, les requérants ne démontrent pas que la délibération attaquée ne présenterait pas un intérêt général, au regard des objectifs économiques, sociaux et urbanistiques poursuivis.
10. En quatrième et dernier lieu, en se bornant à soutenir que le permis de construire déposé ne correspond pas à la déclaration de projet, les requérants ne démontrent pas que la délibération attaquée est entachée de détournement de pouvoir, alors notamment qu'ainsi qu'il a été dit au point 9, elle est justifiée par des motifs d'intérêt général.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance et de la requête d'appel, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. F... et autres requérants dirigées contre la commune de Grasse qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Et il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... F... et autres requérants la somme de 1 500 euros, à verser à la commune de Grasse en application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... et autres requérants est rejetée.
Article 2 : M. F... et autres requérants verseront à la commune de Grasse une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., à Mme E... F..., à Mme D... F... et à la commune de Grasse.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021, où siégeaient :
- M. Poujade, président de chambre,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 février 2021.
2
N° 19MA01386
hw