Par un arrêt avant dire droit n° 15MA04623 du 12 avril 2018, la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur l'appel formé par M. BARON tendant à l'annulation du jugement du 22 octobre 2015, a ordonné une expertise en vue de déterminer si les manquements du centre hospitalier de Saint-Tropez ont fait perdre au patient une chance de bénéficier d'un traitement par thrombolyse et de conserver des séquelles moindres que celles dont il reste atteint et sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande.
Par des mémoires, enregistrés le 3 juin 2019 et le 29 juillet 2019, M. BARON, représenté par Me Soler, conclut aux mêmes fins que sa requête.
Il soutient, en outre, que :
- le rapport d'expertise est irrégulier dès lors que l'expert a outrepassé sa mission en évaluant les différents préjudices ;
- le taux de perte de chance doit être évalué à 60%.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 juin 2019 et le 3 septembre 2019, le centre hospitalier de Saint-Tropez, représenté par Me Le Prado, conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire.
Il soutient, en outre, que :
- l'expert n'a pas excédé les termes de sa mission ;
- le taux de perte de chance doit être fixé à 20 % ;
- la perte de gains professionnels n'excède pas 16 452,04 euros.
Par un mémoire, enregistré le 1er juillet 2019, la CARMF, représentée par Me Assous-Legrand, conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire.
Elle soutient qu'elle son recours subrogatoire à l'encontre du tiers responsable du dommage causé à son assuré social s'exerce sur la fraction du préjudice correspondant à la perte de chance dont elle ne conteste pas le taux fixé par l'expert.
Vu :
- le rapport de l'expert enregistré le 17 mai 2019 au greffe de la Cour ;
- l'ordonnance du 17 mai 2019, par laquelle la présidente de la Cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise ;
- et les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Bastard, représentant M. BARON.
Considérant ce qui suit :
1. Dans son arrêt avant dire droit du 12 avril 2018, la cour a retenu qu'en n'organisant pas dans les meilleurs délais le transfert de M. BARON, qui présentait les symptômes d'un accident vasculaire cérébral, vers une structure où auraient pu être réalisés les examens complémentaires qui s'imposaient et administré le traitement curatif nécessaire, le centre hospitalier de Saint-Tropez avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur la régularité de l'expertise :
2. L'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit de la cour tendait à déterminer le taux de perte de chance subi par le patient du fait des manquements du centre hospitalier de Saint-Tropez de conserver des séquelles moindres si un traitement anti-thrombotique lui avait été administré. L'expert, après avoir fixé le taux de perte de chance, s'est prononcé sur les préjudices. Toutefois, la circonstance qu'un rapport d'expertise traite de questions dépassant le cadre de la mission impartie à l'expert, ne fait pas obstacle à ce que ce rapport soit retenu à .titre d'information par le juge administratif, dès lors que ce rapport a été versé au dossier et soumis, de ce fait, au débat contradictoire des parties
Sur la perte de chance :
3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport, que l'expert a fixé le taux de perte de chance à 20 % au regard des résultats d'une étude médicale démontrant que la prise d'aspirine n'agit qu'après un certain temps et n'a pas d'efficacité significative dans la prévention de la récidive d'accident vasculaire cérébral dans le délai de 24 heures suivant la survenue d'un tel accident. Ces conclusions ne sont pas susceptibles d'être remises en cause par le dire du médecin conseil de M. B..., qui a été adressé à l'expert et auquel il a répondu, selon lequel ce taux devrait être fixé à 60 % dès lors qu'il n'est pas circonstancié. Il suit de là que le taux de perte de chance de M. BARON d'éviter les dommages survenus à la suite de la faute commise par le centre hospitalier de Saint-Tropez doit être fixé à 20 %.
Sur l'évaluation des préjudices :
5. M. BARON justifie avoir conservé à sa charge la somme totale de 949,50 euros correspondant à des frais médicaux non remboursés. Il y a lieu de lui allouer à ce titre la somme de 189,90 euros après application du taux de perte de chance.
6. La réparation intégrale du préjudice professionnel de M. B..., qui exerce la profession de chirurgien esthétique, suppose que l'intéressé soit replacé dans la situation qui aurait été la sienne si la diminution de son activité, à la suite de son arrêt de travail jusqu'au 1er avril 2010, ne s'était pas produite. En vue d'assurer cette réparation, il y a lieu de lui accorder une indemnité correspondant aux pertes de recettes qu'il a subies, diminuées des charges qu'il n'a pas eu à exposer et augmentée, le cas échéant, des charges supplémentaires provoquées par la baisse ou l'interruption de son activité. L'octroi d'une indemnité ainsi déterminée assure la réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de couvrir les charges fixes par des recettes d'exploitation et, le cas échéant, du préjudice résultant d'une perte de bénéfice.
7. Il résulte de l'instruction et notamment des déclarations fiscales n° 2035 des années 2007 à 2016 produites par M. B..., que le bénéfice net mensuel moyen tiré de son activité s'élève à 8 930,34 euros. Au cours des années 2009 et 2010, le requérant ayant perçu un bénéfice net de 82 282 euros en 2009 et de 110 853 euros en 2010, soit un revenu mensuel moyen respectivement de 9 142,44 euros et de 9 237 euros, n'a subi aucune perte de gains professionnels actuels et n'est dès lors pas fondé à réclamer une indemnité à ce titre.
8. Postérieurement à l'arrêt de travail, M. B... a subi au titre de l'année 2012 et à partir de 2014, une diminution du chiffre d'affaires de son activité professionnelle. Toutefois, eu égard à la progression constante de son chiffre d'affaires depuis 2009, il n'établit pas que la diminution du bénéfice retiré de son activité professionnelle est consécutive à la faute commise par le centre hospitalier de Saint-Tropez le 7 septembre 2009. Par suite, le requérant ne peut solliciter aucune indemnisation à ce titre.
9. La Caisse autonome de retraite des médecins de France établit avoir versé à M. B... des indemnités journalières pour la période comprise entre le 26 décembre 2009 et le 31 mars 2010, pour un montant de 8 026,56 euros. Il y a lieu par suite de condamner le centre hospitalier de Saint-Tropez à lui verser la somme de 1 605,31 euros après application du taux de perte de chance.
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les séquelles de l'accident vasculaire cérébral conservées par le requérant, qui est fatigué et stressé de peur de rater une intervention, ont aggravé la pénibilité du travail. Il sera fait une juste appréciation du préjudice du fait de l'incidence professionnelle en lui allouant la somme de 2 000 euros après application du taux de perte de chance de 20 %.
11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. B... a subi des périodes de déficit fonctionnel temporaire, total du 27 septembre au 23 octobre 2009, et partiel, à un taux de 50 % du 24 octobre au 4 décembre 2009 et à un taux de 25 % du 5 décembre 2009 à la date de consolidation, fixée le 27 septembre 2012. Il sera fait une juste appréciation du préjudice en l'évaluant à la somme de 1 000 euros après application du taux de perte de chance.
12. M. B... a enduré des souffrances, fixées par l'expert à 3 sur une échelle de 1 à 7, qu'il y a lieu d'estimer à la somme de 840 euros après application du taux de perte de chance.
13. M. BARON, âgé de cinquante-sept ans à la date de la consolidation de son état de santé, reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent fixé au taux de 15 % qui prend en compte le syndrome pyramidal de l'hémicorps associé à un très discret déficit moteur, les troubles sensitifs très modérés de l'hémicorps et le discret syndrome cérébelleux cinétique du membre supérieur droit. Il n'y a pas lieu de fixer le déficit fonctionnel permanent au taux de 30 % comme le demande le requérant qui se fonde sur le rapport de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Provence-Alpes-Côte d'Azur dès lors que ce rapport n'explicite pas les raisons de l'estimation de ce taux. Ce préjudice sera justement réparé à hauteur de la somme de 3 700 euros après application du taux de perte de chance.
14. Il résulte de l'instruction que M. B..., qui pratiquait le cyclisme et l'alpinisme, a été contraint d'arrêter ces activités du fait des séquelles de l'accident vasculaire cérébral. Il est en outre gêné dans la pratique de la course à pied et de la voile. Il y a lieu de lui accorder en réparation du préjudice d'agrément à la somme de 600 euros compte tenu du taux de perte de chance.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à demander que le centre hospitalier de Saint-Tropez soit condamné à lui verser la somme totale de 8 330 euros. Par ailleurs, la Caisse autonome de retraite des médecins de France est fondée à demander que le centre hospitalier de Saint-Tropez soit condamné à lui verser la somme de 1 605,31 euros correspondant, après application du taux de perte de chance, au remboursement des indemnités journalières, d'un montant de 8 026,56 euros, qu'elle a versées à M. B... entre le 26 décembre 2009 et le 31 mars 2010.
Sur les dépens :
16. Il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt de la Cour du 12 avril 2018 liquidés et taxés à la somme de 2 485 euros à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez.
Sur les frais liés au litige :
17. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez une somme de 2 000 euros à verser à M. B... et une somme de 1 500 euros à verser à la Caisse autonome de retraite des médecins de France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 22 octobre 2015 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Saint-Tropez est condamné à verser à M. B... la somme de 8 330 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier de Saint-Tropez est condamné à verser à la Caisse autonome de retraite des médecins de France la somme de 1 605,31 euros.
Article 4 : Les frais des expertises, liquidés et taxés à la somme de 2 485 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier de Saint-Tropez.
Article 5 : Le centre hospitalier de Saint-Tropez versera une somme de 2 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le centre hospitalier de Saint-Tropez versera une somme de 1 500 euros à la Caisse autonome de retraite des médecins de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus de la requête de M. B... est rejeté.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la Caisse autonome de retraite des médecins de France est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... BARON, au centre hospitalier de Saint-Tropez, au Régime Social des Indépendants du Limousin et à la Caisse autonome de retraite des médecins de France.
Copie en sera adressée aux experts.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme F..., présidente-assesseure,
- Mme H..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.
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N° 15MA04623