Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2018, le centre hospitalier de Manosque, représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 mars 2018 en tant qu'il a annulé la décision du 27 juillet 2015 du directeur du centre hospitalier de Manosque portant licenciement de Mme D..., a enjoint au directeur de l'établissement de soins de procéder à la réintégration de Mme D... avec reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux, et l'a condamné à verser à Mme D... son traitement depuis le15 août 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Marseille ;
3°) à défaut, de limiter aux sommes de 7 501,50 euros le montant de l'indemnité de licenciement et de 750,11 euros celui de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
4°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en l'absence de réponse à la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête ;
- la juridiction administrative est incompétente pour examiner la qualification et l'indemnisation de la faute inexcusable ;
- le licenciement a été précédé d'un entretien préalable ;
- l'agent a été informé de son droit à reclassement et n'a pas demandé à en bénéficier ;
- l'inaptitude définitive fait obstacle à tout reclassement ;
- il n'existait aucun poste vacant ;
- les conclusions relatives aux indemnités de licenciement sont irrecevables en l'absence de liaison du contentieux ;
- les conclusions indemnitaires relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement doivent être rejetées au regard du motif du licenciement ;
- la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un reclassement n'est pas établie ;
- l'agent n'a pas été privé de la faculté d'exécuter son préavis ;
- la réintégration de l'agent s'effectue au regard de sa position statutaire au jour du licenciement en mi-temps thérapeutique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2019, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 mars 2018 en tant qu'il a condamné le centre hospitalier de Manoque à lui verser son traitement à compter du 15 août 2015 ;
- de condamner le centre hospitalier de Manosque à lui verser les sommes de 36 005,04 euros en réparation des préjudices subis du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 6 000,84 euros au titre de l'indemnité de préavis et de 600,08 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, ou à défaut, les sommes de 20 000 euros en réparation du préjudice subi, de 15 002,10 euros au titre de l'indemnité de licenciement pour inaptitude et de 1 500,21 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 15 août 2015 et la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Manosque la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de première instance est recevable dès lors qu'elle a adressé une réclamation préalable au centre hospitalier ;
- la requête n'est pas tardive, les délais de recours ne lui étant pas opposables ;
- l'entretien préalable au licenciement n'a pas eu lieu ;
- elle n'a pas été informée de la possibilité de se faire assister ni de demander la communication de son dossier individuel ;
- le centre hospitalier de Manosque a manqué à son obligation de reclassement ;
- la lettre de licenciement n'en précise pas les motifs ;
- la décision de licenciement est entachée de vices de forme en ce qu'elle devait faire l'objet d'un arrêté et notifiée par lettre recommandée avec avis de réception ou remise en main propre et indiquer les voies et délais de recours ;
- la commission de réforme ou le comité médical n'ont pas été consultés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier de Manosque relève appel du jugement du 26 mars 2018 en tant que par celui-ci le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de son directeur du 27 juillet 2015 portant licenciement de Mme D..., lui a enjoint de procéder à la réintégration de l'agent et l'a condamné à verser à Mme D... son traitement à compter du 15 août 2015.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Dans un mémoire enregistré le 27 février 2018 au greffe du tribunal administratif de Marseille, le centre hospitalier de Manosque a soutenu que la requête présentée par Mme D... était tardive dès lors qu'elle avait été enregistrée plus d'un an après la notification de la décision de licenciement. Cependant, le tribunal, qui a annulé la décision de licenciement de Mme D... et a enjoint au centre hospitalier de réintégrer cet agent avec reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux et l'a condamné à lui verser son traitement depuis le 15 août 2015, a omis de statuer sur cette fin de non-recevoir qu'il n'a par ailleurs pas visée. Ainsi, le jugement du tribunal administratif de Marseille attaqué est entaché sur ce point d'une irrégularité et doit être annulé dans cette mesure.
3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement sur les conclusions à fin d'annulation par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions indemnitaires.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Il résulte des dispositions de l'article R. 421-5 du même code que ce délai n'est toutefois opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.
5. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
6. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 27 juillet 2015 prononçant son licenciement a été notifiée à Mme D... par lettre recommandée avec accusé de réception. Si, faute de préciser les voies et délais de recours, une telle notification était incomplète au regard des dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative et si, par suite, le délai de deux mois fixé par l'article R. 421-1 du même code ne lui était pas opposable, le délai raisonnable dont elle disposait pour se pourvoir contre cette décision a commencé à courir le 29 juillet 2015, date de la première présentation à son domicile de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception dont il ressort des pièces du dossier qu'elle n'est pas allée la retirer à la Poste dans les quinze jours qui lui étaient impartis pour ce faire. Par ailleurs, aucun des trois courriers par lesquels son conseil s'est borné à demander à son ex employeur la communication de documents ne peut être regardé comme un recours administratif susceptible d'avoir interrompu ce délai.
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation de cette décision, enregistrées au greffe du TA de Marseille le 21 septembre 2016, soit plus d'un an après la date à laquelle elle doit être réputée en avoir eu notification, étaient tardives et doivent, par suite, être rejetées comme irrecevables de même que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin de réintégration et de reconstitution de sa carrière.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
8. Aux termes de l'article 44 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière dans sa version en vigueur à la date de la décision de licenciement : " Lorsque l'autorité signataire du contrat envisage de licencier un agent contractuel, elle doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, en lui indiquant l'objet de la convocation. / Au cours de l'entretien, l'employeur est tenu d'indiquer le ou les motifs à la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié. / Lors de cette audition, l'agent contractuel peut se faire assister par une ou plusieurs personnes de son choix. / La décision de licenciement est notifiée aux intéressés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis. ". L'article 71 de la loi du 9 janvier 1986 dispose que " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps, s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé. ".
9. La circonstance que la décision de licenciement n'a pas été prise sous la forme d'un arrêté, de même que celles tirées de ce qu'elle ne précise pas les voies et délais de recours et qu'elle n'aurait pas été notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sont sans incidence sur la légalité de cette décision.
10. Contrairement à ce que soutient Mme D..., la décision qu'elle conteste, qui précise que son licenciement a été décidé en raison de son inaptitude physique, est suffisamment motivée.
11. Aucune disposition législative ou réglementaire applicable aux agents contractuels d'un établissement mentionné à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée n'impose la saisine préalable du comité médical en cas de licenciement d'un agent contractuel pour inaptitude physique.
12. Toutefois, et d'une part, conformément aux dispositions rappelées ci-dessus de l'article 44 du décret du 6 février 1991, un licenciement pour inaptitude physique ne peut légalement intervenir sans que l'agent concerné ait été convoqué à un entretien préalable en étant mis à même de se faire représenter et de demander la communication de l'ensemble de son dossier individuel. En l'espèce, les affirmations du centre hospitalier de Manosque selon lesquelles cet entretien a bien eu lieu ne sont corroborées par aucune pièce du dossier alors que Mme D... a soutenu en première instance, et persiste à faire valoir en appel, qu'elle n'a pas bénéficié de ces garanties. Faute pour le centre hospitalier d'apporter la preuve, qui lui incombe, de l'accomplissement de ces formalités, il y a lieu de considérer que le licenciement de Mme D... a été prononcé au terme d'une procédure irrégulière.
13. Il résulte, d'autre part, d'un principe général du droit dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi, que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un agent non titulaire se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur public de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, son licenciement. Ce principe est applicable en particulier aux agents contractuels de droit public.
14. Il ressort des pièces du dossier que le centre hospitalier de Manosque n'a pas informé Mme D... de son droit à reclassement avant de prononcer son licenciement pour inaptitude physique. Cette omission a privé l'agent d'une garantie constituant une irrégularité de nature à entacher la légalité de la décision prononçant son licenciement.
15. Les irrégularités relevées ci-dessus ne sont toutefois de nature à ouvrir droit à indemnisation des préjudices découlant du licenciement que pour autant qu'elles présentent un lien direct de causalité avec ceux-ci. Mme D..., qui ne conteste pas le motif de son licenciement lié à son inaptitude à reprendre son poste ou toute autre fonction dans l'établissement n'est, dans ces conditions, pas fondée à demander à être indemnisée des préjudices matériel et moral résultant de son licenciement, qui ne présentent aucun lien avec ces irrégularités.
16. Contrairement à ce qu'elle soutient, Mme D... qui, ainsi qu'il vient d'être dit, ne conteste pas son inaptitude à tout emploi au sein du centre hospitalier de Manosque, n'établit pas avoir été privée d'une chance de bénéficier d'un reclassement. Elle n'est, par suite, pas fondée à demander à être indemnisée des préjudices matériel et moral qui auraient résulté de cette prétendue perte de chance.
17. Aux termes du dernier alinéa l'article 42 du décret du 6 février 1991, dans sa version en vigueur à la date du licenciement : " Le préavis n'est pas dû en cas de licenciement prononcé (...) pour inaptitude physique ". Mme D..., licenciée en raison de son inaptitude, n'est, dès lors, pas fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Manosque à lui verser l'indemnité correspondant au préavis ni l'indemnité compensatrice de congés payés afférente.
18. Toutefois, eu égard aux dispositions de l'article 47 du décret de 1991 dans sa version en vigueur à la date du licenciement, aux termes desquelles : " En cas de licenciement n'intervenant pas à titre de sanction disciplinaire, une indemnité de licenciement est versée : (...) 4° Aux agents licenciés pour inaptitude physique. ", Mme D... est fondée à demander que lui soit versée une indemnité de licenciement s'élevant à la somme, non contestée par le centre hospitalier de Manosque, de 7 501,50 euros ainsi qu'une indemnité compensatrice de congés payés afférente d'un montant de 750,11 euros que l'établissement de soins ne conteste pas davantage devoir lui verser. Ces sommes porteront intérêt à compter du 21 septembre 2016, date d'enregistrement de sa requête au tribunal administratif lors de laquelle ils ont été demandé pour la première fois. Ces intérêts seront capitalisés le 22 septembre 2017, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Manosque à lui verser une indemnité de licenciement d'un montant de 8 251,61 euros augmentée des intérêts et des intérêts des intérêts.
Sur les frais liés au litige :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties en litige la charge de ses propres frais de procédure et de rejeter les conclusions qu'elles ont présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 mars 2018 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier de Manosque est condamné à verser à Mme D... la somme de 8 251,61 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2016. Ces intérêts seront capitalisés le 22 septembre 2017 pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier de Manosque présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel et de première instance de Mme D... ainsi que les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Manosque et à Mme C... D....
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme E..., première conseillère,
- M. Sanson, conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.
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N° 18MA02295