Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 juin 2019, le préfet des Hautes-Alpes demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- eu égard aux faits d'aide à la circulation ou au séjour d'un étranger qui lui sont reprochés, M. D... représente une menace grave à l'ordre public, qui fait obstacle à ce que lui soit accordé plus longtemps un droit au séjour au titre de la protection subsidiaire ;
- l'auteur de la décision contestée était bien compétent ;
- les moyens tirés du vice de procédure et de l'erreur de droit devront être écartés dès lors qu'il a laissé à l'étranger un délai raisonnable pour présenter ses observations, et que ce dernier n'a produit ses observations qu'après l'expiration de ce délai ;
- l'intéressé ayant fait le choix de commettre un délit, il ne saurait invoquer l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision contestée à raison du retrait contesté.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 octobre 2019, M. E..., représenté par Me B..., conclut :
1°) à ce qu'il soit admis à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
2°) au rejet de la requête du préfet des Hautes-Alpes ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat, en l'absence d'admission à l'aide juridictionnelle, le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle, le versement de la somme de 1 500 euros à son conseil en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, interprété à la lumière des articles 21 et 24 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, ne permet à l'autorité préfectorale de procéder au retrait de la carte de séjour temporaire détenu par un ressortissant de pays tiers bénéficiaire de la protection subsidiaire qu'à la condition que soient constatées des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal, si les faits qui lui sont reprochés sont pénalement répréhensibles en raison du trouble à l'ordre public dont ils sont constitutifs, ils ne permettent pas de caractériser des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ;
- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet ne l'a pas mis à même de présenter des observations ;
- elle est entachée d'erreur de droit, le préfet n'ayant pas tenu compte des observations qu'il a formulées dans son courrier parvenu le 18 août 2017 en préfecture ;
- enfin, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par une décision du 6 septembre 2019, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 juillet 2008, Ministère de l'Administration et des Affaires intérieures c/ G.J. (C-33-07), et du 24 juin 2015, H.T. c/ Lad Baden - Wurtemberg (C-373/13) ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Après avoir obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire, M. D..., ressortissant irakien né le 24 mai 1993, s'est vu délivrer le 24 mai 2017 un titre de séjour d'un an sur le fondement de L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par décision du 26 août 2017, le préfet des Hautes-Alpes lui a retiré ce titre de séjour en raison de faits d'aide à l'entrée et au séjour d'étrangers en situation irrégulière, détention de faux documents et conduite d'un véhicule à moteur sans permis. Le préfet relève appel du jugement du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une carte de séjour temporaire.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président. / (...) "
3. M. D... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, il n'y a plus lieu de se prononcer sur ses conclusions tendant à y être admis à titre provisoire.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. D'une part, l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée ou retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ". En outre, aux termes du I. de l'article R. 311-15 du même code, dans sa rédaction alors applicable résultant du décret n°2016-1456 du 28 octobre 2016 : " Le titre de séjour peut être retiré : / (...) 10° Si l'étranger titulaire d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 24 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 : " (...). / 2. Dès que possible après qu'une protection internationale a été octroyée, les États membres délivrent aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire et aux membres de leur famille un titre de séjour valable pendant une période d'au moins un an et renouvelable pour une période d'au moins deux ans, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ne s'y opposent. ".
6. Dans son arrêt susvisé C-373/13 du 24 juin 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions de l'article 24 de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004, reprises à l'identique par les dispositions des articles 24 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, n'autorisent un Etat à priver un réfugié du droit au séjour qui lui a été accordé en cette qualité que pour des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l'ordre public.
7. Il s'en déduit que les dispositions des articles L. 313-3 et R. 311-15 (10°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sauraient permettre à l'autorité préfectorale de retirer la carte de séjour temporaire délivrée à un étranger au titre de la protection internationale que lorsque de telles raisons impérieuses sont caractérisées, sauf à méconnaitre les dispositions précitées de la directive du 13 décembre 2011, telles qu'interprétées par la Cour de justice.
8. Enfin, aux points 73 à 75 de sa décision du 24 juin 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé qu'une décision de retrait du droit au séjour, dès lors qu'elle ne saurait entraîner ni la perte de la protection internationale ni, a fortiori, le refoulement de l'étranger, ne présuppose pas l'existence d'un crime particulièrement grave. Pour autant, ainsi que l'a rappelé la Cour dans son arrêt C-33/07 du 10 juillet 2008, la notion d'ordre public suppose l'existence, en dehors du trouble pour l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société.
9. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du jugement du 11 janvier 2018 du tribunal correctionnel de Gap, que M. D... a été interpellé le 4 juillet 2017 au volant d'un véhicule, dépourvu de permis de conduire valable, en compagnie de trois compatriotes, dont deux en situation irrégulière. Toutefois, eu égard à leur nature et à leur caractère isolé, ces faits ne permettent pas de caractériser menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre public et, par suite, de démontrer que des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l'ordre public justifient le retrait du titre de séjour de l'intéressé.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Hautes-Alpes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 26 août 2017 et lui a enjoint de délivrer à M. D... d'une carte de séjour temporaire.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me B..., avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier à verser à Me B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de se statuer sur les conclusions de M. D... tendant à être admis provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Article 2 : La requête du préfet des Hautes-Alpes est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Me B... une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. E..., au ministre de l'intérieur et à Me B....
Délibéré après l'audience du 25 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Alfonsi, président,
- Mme C..., présidente assesseure,
- M. A..., conseiller,