Par un jugement avant dire droit n° 1601136 du 20 novembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a déclaré l'AP-HM responsable des conséquences dommageables du décès de Sabrina R... et a ordonné une mesure d'expertise.
Par un jugement n° 1601136 du 25 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'AP-HM à verser, d'une part, aux ayants-droits de Sabrina R... la somme 3 125 euros, à Mme H... A... la somme de 4 000 euros, à M. N... R... la somme de 4 511 euros, à M. S... A... et Mme D... A... la somme de 400 euros chacun et à Mmes J... et F... R..., la somme de 3 000 euros chacune et, d'autre part, à la CPCAM des Bouches-du-Rhône les sommes de 30 444 au titre des débours et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a mis à la charge définitive de cet établissement les frais de l'expertise prescrite par le jugement avant dire droit.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 avril 2019 et le 24 mai 2019, l'AP-HM, représentée par Me Le Prado, demande à la cour d'annuler le jugement du 25 février 2019 du tribunal administratif de Marseille et de rejeter la demande présentée par les consorts A...-R... devant le tribunal administratif de Marseille ainsi que les conclusions de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la victime était déjà en situation de fibrillation ventriculaire lors du premier appel aux services d'aide médicale urgente ;
- le retard d'intervention n'a pas fait perdre de chance de survie à Sabrina R... ;
- l'évaluation des préjudices est excessive ;
- la victime n'a pas subi de déficit fonctionnel temporaire qui serait survenu même en l'absence de faute ;
- les frais d'hospitalisation ne sont pas dus dès lors qu'ils auraient dû être engagés par la CPCAM des Bouches-du-Rhône.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2020, Mme H... A..., agissant en son nom personnel et en sa qualité d'ayant-droit de M. S... A..., M. N... R..., Mme J... R..., Mme F... R..., Mme D... A..., M. B... A..., Mme K... A..., M. E... A..., M. P... A..., Mme I... A..., M. O... G..., M. T... G..., M. V... A... et Mme C... G..., représentés par Me L..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'AP-HM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de l'AP-HM est engagée du fait du dysfonctionnement des services d'aide médicale urgente ;
- le taux de perte de chance a été justement fixé à 20% ;
- les préjudices ont été suffisamment évalués.
La requête a été communiquée à la CPCAM des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'AP-HM relève appel du jugement du 25 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille, à la suite du décès de Mme M... R..., l'a condamnée à verser, aux ayants-droits de cette dernière, la somme 3 125 euros, à Mme H... A... la somme de 4 000 euros, à M. N... R... la somme de 4 511 euros, à M. S... A... et Mme D... A... la somme de 400 euros chacun, à Mmes J... et F... R..., la somme de 3 000 euros chacune, et à la CPCAM des Bouches-du-Rhône les sommes de 30 444 au titre des débours et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Mme A... et autres concluent au rejet de la requête.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le moyen invoqué par l'AP-HM, tiré de ce que le jugement du tribunal administratif de Marseille est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont il était saisi, n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre au juge d'appel d'en apprécier la portée et le bien-fondé. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Le I de l'article L. 11421 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise du collège d'experts ordonnée par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille et du rapport de l'expertise ordonnée par le jugement avant dire droit du 20 novembre 2017 du tribunal administratif de Marseille, que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'en s'abstenant d'envoyer au domicile de Sabrina R..., dès le premier appel de sa mère, une unité de réanimation avec un médecin ou, à défaut, un véhicule de secours et d'assistance aux victimes, les services d'aide médicale urgente dépendant de l'AP-HM avaient commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement de soins.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise mentionné ci-dessus et de celui établi par les experts mandatés par l'autorité judiciaire que Sabrina R..., porteuse, sans le savoir, d'un syndrome de Wolf Parkinson White a été victime d'une fibrillation ventriculaire ayant entrainé un arrêt cardiaque. Il résulte de la littérature médicale que chaque minute d'arrêt cardiaque fait perdre 10% de chance de survie à la victime et que le seul traitement est un choc électrique rapide pour restaurer un rythme cardiaque efficace. Si l'AP-HM soutient que la patiente n'avait aucune possibilité de survie, même en cas d'intervention rapide compte tenu du délai incompressible d'acheminement des secours, dès lors qu'elle était déjà en fibrillation à 22h34 lors du premier appel téléphonique de sa mère aux services d'aide médicale urgente, il résulte du premier rapport d'expertise rédigé par un collège d'expert composé d'un cardiologue et d'un anesthésiste réanimateur urgentiste, que lors du premier appel l'état clinique de la patiente qui présentait des malaises avec perte de connaissance n'est pas connu avec certitude et que lors du second appel elle faisait un arrêt cardio-respiratoire. Il résulte en outre de ce même rapport, établi par un cardiologue, que la victime est passée plusieurs fois par un état de fibrillation ventriculaire avec survenue de malaises alors, par ailleurs, qu'en attendant les secours, la soeur de Sabrina R..., elle-même infirmière, a procédé à un massage cardiaque et qu'en outre, après trois chocs électriques délivrés par les secours, le rythme cardiaque de la victime a été récupéré. Il suit de là que, eu égard notamment à l'impossibilité de connaître l'heure du dernier arrêt cardiaque et à la circonstance que l'activité cardiaque a pu finalement être restaurée, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le retard d'intervention de l'équipe médicale avait fait perdre à Sabrina R... une chance de survie en évaluant ce taux, dans les circonstances de l'espèce, à 20 %.
6. Il n'est pas contesté que, que compte tenu de la pathologie dont elle souffrait, Sabrina R... aurait nécessairement subi une hospitalisation prolongée. Il s'ensuit, comme le soutient l'AP-HM, qu'il n'y a pas lieu d'indemniser le déficit fonctionnel temporaire total subi par la victime.
7. Les souffrances endurées, évaluées à 5 sur une échelle de 1 à 7 par l'expert, ont été justement réparées par la somme de 3 000 euros, après application du taux de perte de chance de 20%.
8. C'est à bon droit que les premiers juges ont réparé, après application du taux de perte de chance, le préjudice d'affection par la somme de 4 000 euros allouée à chacun des parents de Sabrina R..., de 3 000 euros pour chacune des soeurs de la victime et de 400 euros pour le grand-père et pour la grand-mère.
9. Les frais d'obsèques ont été à juste titre indemnisés à hauteur de 511 euros par les premiers juges, compte tenu du taux de perte de chance.
10. Comme indiqué au point 6, la pathologie dont été porteuse Sabrina R... aurait nécessité son hospitalisation même en l'absence de toute faute de l'AP-HM. Il suit de là que les débours exposés par la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne peuvent être regardés comme présentant un lien direct avec le retard de prise en charge par les services d'aide médicale urgente. L'AP-HM est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges l'ont condamnée à rembourser à la CPAM des Bouches-du-Rhône les frais d'hospitalisation exposés pour Mme M... R... .
11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il condamne l'AP-HM à rembourser à la CPAM des Bouches-du-Rhône les débours exposés pour Mme M... R..., de rejeter les conclusions présentées devant le tribunal par la CPAM des Bouches-du-Rhône et de ramener à la somme de 3 000 euros le montant de l'indemnité que l'AP-HM a été condamnée à verser aux ayants-droits de Mme M... R....
Sur les dépens :
12. l'AP-HM reste en appel la partie perdante. Il suit de là qu'il y a lieu de laisser les frais et honoraires de l'expertise liquidée et taxée à la somme de 2 500 euros par l'ordonnance du 8 août 2018 du président du tribunal administratif de Montpellier, ainsi que l'a fait le tribunal, à la charge de l'AP-HM.
Sur les frais liés au litige :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HM la somme demandée par Mme A... et autres au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 février 2019 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par la CPAM des Bouches-du-Rhône devant le tribunal administratif de Marseille sont rejetées.
Article 3 : La somme de 3 125 euros que l'AP-HM a été condamnée à verser aux ayants-droits de Sabrina R... par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 février 2019 est ramenée à 3 000 euros.
Article 4 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 février 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de l'AP-HM est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de Mme A... et autres présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, à Mme H... A..., désignée comme représentant unique, et à la caisse centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère,
- M. Sanson, conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.
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N° 19MA01909