Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2018, la collectivité de Corse, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) à titre principal :
- d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 12 juillet 2018 ;
- de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Bastia ;
2°) à titre subsidiaire :
- d'ordonner une expertise avant dire droit ;
- de réduire le montant des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les inondations préexistaient aux travaux réalisés par le département de la Corse-du-Sud ;
- Mme A..., en n'entretenant pas le réseau d'évacuation des eaux de pluie situé sur son terrain ni l'habitation, a commis une faute de nature à l'exonérer de toute responsabilité ou, à défaut, à hauteur de 50 % ;
- un coefficient de vétusté de 30 % doit être appliqué pour évaluer les préjudices matériels ;
- l'expertise présente une utilité pour chiffrer les dommages subis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2019, Mme A..., représentée par la SCP Morelli, Maurel et Associés, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer le jugement du 12 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 158 639,86 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la collectivité de Corse en réparation du préjudice qu'elle a subi et en ce qu'il a rejeté les demandes d'exécution sous astreinte de travaux et d'indexation du coût des travaux sur l'indice du coût de la construction ;
- de porter à la somme de 348 391,75 euros le montant de l'indemnité due, dont 37 991,75 euros indexés sur l'indice du coût de la construction ;
- d'enjoindre sous astreinte à la collectivité de Corse de réaliser les travaux nécessaires pour remédier aux désordres dans un délai de trois mois ;
3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité sans faute de la collectivité de Corse est engagée du fait des travaux réalisés sur la route départementale n°81 ;
- le lien de causalité entre les travaux et l'aggravation des inondations de sa propriété est établi ;
- les désordres affectant la terrasse et la destruction du réseau d'évacuation des eaux de pluie ont pour origine le passage d'un engin de chantier mandaté par le département qui a pénétré sans son autorisation dans sa propriété ;
- aucune faute ne peut lui être imputée dès lors que le réseau d'évacuation des eaux de pluie non entretenu est situé sur la voie publique et que le talweg ne se trouve pas sur sa propriété ;
- son habitation n'est pas vétuste et est entretenue ;
- l'expertise demandée ne présente pas d'utilité ;
- l'ouvrage public doit être mis en conformité pour faire cesser les désordres ;
- les travaux intérieurs de reprise et les préjudices moral et de jouissance ont été insuffisamment évalués ;
- ses faibles revenus et son état de santé ne lui ayant pas permis d'avancer le coût des travaux de réparation, elle est fondée à solliciter l'actualisation de l'indemnité correspondant au coût des travaux sur l'indice du coût de la construction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
I. Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité :
S'agissant de la responsabilité pour faute :
1. La collectivité de Corse ne conteste pas plus en appel qu'en première instance l'engagement de sa responsabilité pour faute du fait de la violation du droit de propriété de la requérante lorsque les agents du département de la Corse-du-Sud ont pénétré en 2014 sur la parcelle de Mme A... pour exécuter des travaux.
S'agissant de la responsabilité pour dommages de travaux publics :
2. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers.
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée le 20 novembre 2015 par le président du tribunal administratif de Bastia, de la visite des lieux effectuée au mois d'août 2013 par un architecte et du rapport d'expertise amiable contradictoire établi par l'assureur de Mme A... au mois de décembre 2014, que le département de la Corse-du-Sud, aux droits duquel vient la collectivité de Corse, a fait réaliser à partir du mois de septembre 2009 des travaux de reprofilage de la route départementale n° 81 et de création de trottoirs et d'avaloirs destinés au recueil des eaux de ruissellement de la voie en contrebas de laquelle se situe la propriété de la requérante. Depuis le 13 septembre 2009, elle subit des inondations consécutives au fonctionnement défectueux des ouvrages de collecte des eaux de ruissellement qui n'ont pu être évacuées par les avaloirs bordant la voie publique du fait de leur sous-dimensionnement.
4. Par ailleurs, la collectivité de Corse ne conteste pas que des dégradations de la propriété de la requérante ont été commises lors de l'exécution en 2014 de travaux publics par le département de la Corse-du-Sud pour remédier aux inondations récurrentes de la parcelle.
5. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a retenu que la responsabilité sans faute de la collectivité de Corse était engagée à l'égard de Mme A..., tiers à l'ouvrage et aux travaux publics, à raison, d'une part, des dommages causés par l'ouvrage public que constitue cette voirie et, d'autre part, des dégradations commises à l'occasion de l'opération de travaux publics.
En ce qui concerne les causes exonératoires :
6. Aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de Mme A... pour défaut d'entretien de la grille de l'avaloir implanté devant le portail donnant accès à sa propriété, qui constitue un accessoire à la voie publique.
7. Par ailleurs, il n'incombe pas davantage à la requérante, qui n'en est pas propriétaire, d'entretenir le talweg situé entre la parcelle lui appartenant et la plage.
8. L'implantation du garage attenant à la maison d'habitation est sans lien avec le dommage dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aggraverait les conséquences du ruissellement naturel des eaux. Les circonstances que l'appartement situé au rez-de-jardin n'ait pas été construit conformément aux règles de l'art, que l'habitation soit dépourvue de vide sanitaire et que le système d'évacuation des eaux pluviales du toit passe par l'intérieur de l'habitation ne sont pas à l'origine des dommages.
En ce qui concerne les préjudices :
9. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de Mme A... consécutif à la violation de son droit de propriété en le fixant à la somme de 1 000 euros.
10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que la façade Nord de l'habitation comporte de nombreuses traces de salpêtre et d'humidité, que le béton de la terrasse et l'escalier menant au rez-de-jardin sont dégradés sur certaines parties et que le revêtement de la terrasse en rez-de-jardin est affaissé par endroits. Par ailleurs, les travaux exécutés en 2014 ont aussi provoqué des dommages aux escaliers et au revêtement de la terrasse du rez-de-chaussée. Le rapport d'expertise n'évalue pas le coût des travaux extérieurs de reprise. Mme A... produit un devis établi le 30 novembre 2016 d'un montant de 143 531,86 euros. Toutefois, ce devis prévoit la démolition totale des escaliers et des terrasses et leur reconstruction alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les désordres relevés impliquent la réfection intégrale des aménagements extérieurs du jardin dont, en outre, la requérante ne justifie pas la nécessité. Il sera, par suite, fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en fixant le montant du coût des travaux de réparation des escaliers et des revêtements des terrasses à la somme de 20 000 euros.
11. Le rapport d'expertise chiffre le coût des travaux de reprise des désordres intérieurs à la somme de 9 108 euros en le limitant aux murs tachés et moisis. Mme A... n'établit pas que les dommages nécessitent la réfection intégrale des sols et des peintures de son habitation et de l'appartement situé au rez-de-jardin. Par ailleurs, il y a lieu, pour évaluer le montant du préjudice indemnisable, de tenir compte de la vétusté tenant à l'ancienneté des peintures dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elles aient été refaites depuis l'acquisition, en 1984, de la maison. Il sera fait une juste appréciation du taux de vétusté en le fixant à 20 %. Par suite, le montant du préjudice doit être évalué à 7 285 euros, compte tenu de l'abattement pour vétusté.
12. Il y a lieu d'allouer à Mme A... au titre des troubles dans les conditions d'existence et du trouble de jouissance la somme de 7 000 euros.
II. Sur l'indexation sur l'indice BT 01 :
13. Le coût des travaux de réfection doit être évalué à la date où leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à les réparer. Il n'en va autrement que si ces travaux sont retardés pour une cause indépendante de la volonté de la victime.
14. Mme A... ne pourra entreprendre utilement des travaux de remise en état à l'intérieur et à l'extérieur de son immeuble qu'après la réalisation par la collectivité de Corse des travaux de reprise des ouvrages d'évacuation des eaux de pluie destinés à supprimer la cause des infiltrations. Par suite, il y a lieu d'indexer la somme de 27 285 euros pour tenir compte de l'évolution de l'indice BT 01 à compter de la date de sa première demande, le 28 juin 2017, devant le tribunal administratif.
III. Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
15. Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets.
16. Si Mme A... sollicite qu'il soit enjoint à la collectivité de Corse de réaliser les travaux nécessaires pour remédier aux désordres, elle n'invoque aucun comportement fautif de la personne publique qui soit à l'origine de ces dommages. Par suite, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la collectivité de Corse de procéder à ces travaux de reprise.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une nouvelle expertise, que la collectivité de Corse est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia l'a condamnée à payer à Mme A... la somme de 158 639,86 euros. Il y a lieu de ramener cette somme à 35 285 euros. Par ailleurs, Mme A... est seulement fondée à demander l'indexation sur l'indice BT 01 de la somme de 27 285 euros.
IV. Sur les frais liés au litige :
18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties en litige la charge de ses propres frais de procédure et de rejeter les conclusions qu'elles ont présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 158 639,86 euros que la collectivité de Corse a été condamnée à verser à Mme A..., par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Bastia du 18 juillet 2018, est ramenée à 35 285 euros dont le montant de 27 285 euros sera indexé sur l'indice BT 01 à compter du 28 juin 2017.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 12 juillet 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la collectivité de Corse est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... présentées par la voie de l'appel incident et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité de Corse et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 13 juin 2019 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère.
Lu en audience publique, le 4 juillet 2019
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N° 18MA04228