Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 15 décembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Marseille.
Il soutient que :
- l'arrêté de remise aux autorités bulgares ne méconnait par l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- M. A...relève des dispositions de l'article 18 du règlement ;
- les autres moyens soulevés par le demandeur devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 avril 2018, M.A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me B...au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de remise méconnaît l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- cette décision méconnaît l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- l'appréciation de sa situation personnelle est entachée d'erreur manifeste.
M A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille :
1. D'une part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version issue de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".
2. D'autre part, l'article 7 du règlement (CE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre.//2 La détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi [...] que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.// 2. Lorsqu'un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l'entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. //Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d'au moins cinq mois, l'État membre du dernier séjour est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.".
3. Enfin, aux termes de l'article 18 de ce règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: / a) prendre en charge (...) le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre; / b) reprendre en charge (...) le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; / c) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; / d) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ".
4. Il résulte de ces dispositions que la détermination de l'Etat membre en principe responsable de l'examen de la demande de protection internationale s'effectue une fois pour toutes à l'occasion de la première demande d'asile, au vu de la situation prévalant à cette date. La circonstance qu'un Etat membre ne puisse être tenu pour responsable de l'examen de la demande d'asile en application des dispositions du paragraphe 1 de cet article ne fait pas obstacle à ce que le même Etat puisse être reconnu responsable de cet examen en application du paragraphe 2 de cet article, si les conditions mises à l'application de ce paragraphe sont remplies.
5. Il ressort des pièces du dossier que M.A..., né le 25 août 1997, de nationalité afghane, est entré irrégulièrement en France le 23 mai 2017 et a déposé une demande d'asile, le 6 juin suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient déjà été enregistrées, le 27 octobre 2016, en Bulgarie où il avait déposé une première demande d'asile et le 12 mai 2017 en Slovénie, où il a aussi déposé une demande d'asile. Le 12 juillet 2017, les services de la préfecture ont saisi les autorités bulgares et slovènes d'une requête de prise en charge de M.A.... Par décision du 24 juillet 2017, la Slovénie a refusé cette prise en charge. En revanche, le 18 juillet précédent, les autorités bulgares ont donné leur accord exprès à la réadmission de l'intéressé. M. A...a ainsi vécu en Bulgarie plus de 5 mois avant son entrée en Slovénie où il n'est resté que quelques jours avant d'arriver en France. Par suite, alors même que l'enregistrement de l'intéressé par les autorités bulgares au fichier Eurodac daterait de plus de 12 mois, la condition d'une durée de séjour continu d'au moins cinq mois posée par le paragraphe 2 de l'article 13 est remplie et de nature à faire regarder la Bulgarie comme responsable, en application du paragraphe 2 de l'article 13, de l'examen de la demande de protection internationale, ainsi d'ailleurs que l'ont reconnu les autorités bulgares en donnant leur accord à la réadmission de l'intéressé par décision du 18 juillet 2017.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 pour annuler l'arrêté du 13 décembre 2017 du préfet des Bouches-du-Rhône de remise de M. A... aux autorités bulgares. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille.
Sur les autres moyens soulevés par M. A...:
7. Aux termes de l'article 9 du règlement (CE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ". L'article 10 de ce même règlement dispose que : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ".
8. La présence sur le territoire d'un Etat membre de certains membres de la famille n'est pas un critère prioritaire pour déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, le g) de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 définissant les " membres de la famille " du demandeur majeur comme son conjoint ou son ou sa partenaire non marié engagé dans une relation stable et les enfants mineurs. Il suit de là que M. A...ne peut pas utilement se prévaloir de la présence régulière sur le territoire national de son frère pour invoquer le bénéfice de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013, dans le champ duquel il n'entre pas.
9. M. A... ne peut se borner à faire état de sa participation à des cours de français et de la présence en France de son oncle et de son frère qui l'héberge et l'entretient, pour soutenir que la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, alors qu'au surplus son épouse et son enfant résident dans son pays d'origine. Il suit de là que le moyen doit en tout état de cause être écarté.
10. M. A...ne soulève aucun moyen à l'appui de ses conclusions en annulation dirigées contre la décision d'assignation à résidence.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a annulé ses arrêtés du 13 décembre 2017 portant remise de M. A... aux autorités bulgares et l'assignant à résidence.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit à M. A...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 15 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., à Me B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2018 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère.
Lu en audience publique, le 4 octobre 2018.
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N° 18MA00406
kp