Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 27 mai 2016, le 29 mars 2017 et le
11 août 2017, M. et MmeE..., représentés par la SCP Deygas, Perrachon et Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 25 mars 2016 ;
2°) à titre principal, de condamner solidairement l'Etat et l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) à leur payer la somme de 1 744 200 euros, ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'ils estiment subir ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin d'apprécier ce préjudice ;
4°) de mettre à la charge solidairement de l'Etat et l'APIJ la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la construction d'une prison à proximité de leur propriété crée un préjudice anormal et spécial ;
- ce préjudice correspond à la perte de valeur vénale de leur propriété, à la perte de loyers, aux frais qu'ils ont exposés pour établir leur préjudice et aux troubles de jouissance de leur propriété.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 octobre 2016 et le 16 août 2017, l'APIJ, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. et Mme E...la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, en l'absence de moyens critiquant le jugement de première instance ;
- les moyens soulevés par M. et Mme E...ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 28 septembre 2017, M. et MmeE..., représentés par la SCP Deygas, Perrachon et Associés, concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens que leurs précédents mémoires. Ils demandent, en outre, l'organisation d'une visite des lieux ainsi que d'une médiation.
Ils soutiennent que :
- une visite des lieux est utile pour apprécier la situation ;
- l'organisation d'une médiation serait conforme aux dispositions introduites récemment dans le code de justice administrative.
Par lettre enregistrée le 2 novembre 2017, l'APIJ, représentée par MeA..., indique qu'elle accepte la demande de médiation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barthez,
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,
- et les observations de MeF..., représentant M. et MmeE..., et de MeB..., représentant l'APIJ.
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions à fin de médiation :
1. Aux termes de l'article L. 213-7 du code de justice administrative : " Lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel est saisi d'un litige, le président de la formation de jugement peut, après avoir obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au seul président de la formation de jugement d'ordonner une médiation et donc de connaître d'une demande des parties en ce sens. Par suite, les conclusions à fin de médiation présentées par M. et Mme E...ne peuvent qu'être rejetées.
Sur le bien fondé du jugement :
2. Il appartient à une personne, qui s'estime victime d'un dommage de travaux publics, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le préjudice dont elle se plaint ainsi que la réalité de celui-ci. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage est responsable à l'égard des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'existence ou le fonctionnement de l'ouvrage public qui présentent un caractère anormal et spécial. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages sont imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime, sans que puisse être utilement invoqué le fait d'un tiers.
3. M. et Mme E...ont acquis en 2004, sur le territoire de la commune de Draguignan, un terrain d'une superficie de douze hectares environ comprenant notamment une grande maison d'habitation. En 2011, l'Etat a mandaté l'APIJ pour réaliser un centre pénitentiaire dans les environs de cette propriété. La prison est entrée en service au début de l'année 2018.
4. Il résulte de l'instruction que M. et Mme E...bénéficiaient, depuis la façade principale de la maison, d'une vue dégagée sur un paysage agricole et naturel. La construction, en ces lieux, des bâtiments de l'établissement pénitentiaire crée donc un préjudice visuel. Cependant, la distance entre la maison et la prison est supérieure à cinq cents mètres et la hauteur des ouvrages construits est limitée à cinq niveaux. En outre, l'APIJ soutient, sans être utilement contredite, que l'éclairage de l'établissement pénitentiaire correspond à celui des voies publiques, sauf en cas d'alerte. Eu égard à la distance précédemment mentionnée, le préjudice de jouissance de la maison d'habitation tenant à la modification du paysage, à la lumière et également au bruit de l'établissement ne présente donc qu'un caractère limité.
5. En outre, M. et Mme E...n'établissent pas que l'existence et le fonctionnement de l'établissement pénitentiaire pourraient créer un trouble dans l'usage des parties non bâties de leur propriété, notamment dans l'exploitation agricole qu'ils en font.
6. S'agissant des préjudices financiers, les requérants ne démontrent pas qu'ils avaient continué à proposer leur bien à la location avant le début des travaux de construction. En tout état de cause, ils ne précisent pas les motifs pour lesquels ils auraient été dans l'impossibilité d'y procéder pendant la période des travaux. En outre, la baisse des revenus locatifs futurs en raison de la moindre attractivité des lieux, qui ne pourraient bénéficier d'un label de qualité, après la mise en service de la prison n'est pas établie. Enfin, il ne résulte ni des rapports peu argumentés produits par M. et Mme E...ni d'aucun autre élément objectif que la présence de l'établissement pénitentiaire, qui entraîne les gênes limitées précédemment mentionnées, pourrait expliquer une perte significative de la valeur vénale du bien dont ils sont propriétaires.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble de ces inconvénients n'excèdent pas ceux que M. et Mme E...sont tenus de supporter sans indemnité. Ainsi, sans qu'il soit besoin de prescrire une visite des lieux ou une expertise, qui ne présenteraient pas de caractère utile, ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'APIJ. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de la requête, contestée en défense.
Sur les frais liés à l'instance :
8. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de l'APIJ, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit à verser à M. et Mme E...au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme E...la somme de 2 000 euros à verser à l'APIJ en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme E...est rejetée.
Article 2 : M. et Mme E...verseront une somme de 2 000 euros à l'APIJ en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E..., à Mme D...E..., à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- MmeG..., première conseillère.
Lu en audience publique le 12 avril 2018.
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N° 16MA02096