Par un jugement n° 1403851 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Nîmes a condamné le centre hospitalier d'Avignon à verser à Mme B...la somme de 31 900 euros et a mis à la charge définitive de cet établissement les frais de l'expertise prescrite par jugement avant dire droit du 19 décembre 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 août 2017, M. C...B..., agissant en qualité de tuteur de Mme A...B..., majeure protégée, représentée par MeE..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1403851 du 29 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de 31 900 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier d'Avignon en réparation du préjudice qu'elle a subi ;
2°) de porter à la somme de 87 648 euros le montant de l'indemnité due, sous déduction de la provision de 1 500 euros versée ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.
Elle soutient que :
- le centre hospitalier d'Avignon a commis une faute en raison du retard de prise en charge ;
- le taux de perte de chance est de 40 % ;
- elle a droit à l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent de 50 %, de son déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées évaluées à 5 sur une échelle de 7, de son préjudice esthétique évalué à 3 sur une échelle de 7, des dépenses de santé futures et de son préjudice moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 janvier 2019, le centre hospitalier d'Avignon, représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de Mme B...;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 29 juin 2017 en tant que ce jugement l'a condamné à verser à Mme B...la somme de 31 900 euros et de ramener à la somme de 23 280 euros le montant de l'indemnité due sous déduction de la somme de 3 000 euros versée à titre de provision.
Il soutient que :
- les demandes relatives aux dépenses de santé futures et au préjudice moral sont irrecevables car nouvelles en appel ;
- les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés ;
- le taux de perte de chance ne peut excéder 40 % ;
- il doit être appliqué à l'ensemble des postes de préjudice relevant du préjudice corporel ;
- une provision de 3 000 euros a été versée à MmeB... ;
- les demandes relatives aux dépenses de santé futures et au préjudice moral ne sont pas justifiées.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier d'Avignon aux demandes relatives aux dépenses de santé futures et au préjudice moral :
1. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
2. Les chefs de préjudice relatifs aux dépenses de santé futures et au préjudice moral dont Mme B...demande réparation en appel se rattachent au même fait générateur que les conséquences dommageables dont elle a demandé la réparation en première instance. Par ailleurs, ses prétentions indemnitaires n'excèdent pas le montant total demandé devant les premiers juges. La fin de non-recevoir doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité et le taux de perte de chance :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ". Ouvre droit à réparation le dommage corporel résultant de manière directe et certaine de la faute commise par le service public hospitalier. Dans le cas où celle-ci a compromis les chances d'un patient d'éviter l'aggravation de son état, le préjudice en résultant directement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Nîmes, que Mme B...a été admise au service des urgences du centre hospitalier d'Avignon le 16 avril 2010 pour un traumatisme oculaire causé par une fourchette. Elle y a été examinée par un médecin urgentiste qui ne prendra pas l'avis du service d'ophtalmologie et la renverra à son domicile avec un traitement local et la consigne de consulter si nécessaire un médecin ophtalmologiste après 48 heures. Elle a été de nouveau hospitalisée du 19 au 22 avril 2010 dans le même établissement où elle a subi une intervention chirurgicale de fermeture d'une plaie oculaire. Une nouvelle hospitalisation est intervenue du 28 mai au 31 mai 2010 pour une intervention nécessitée par un décollement de rétine, à la suite de laquelle Mme B... a présenté une phtyse du globe oculaire avec hypotonie. Une intervention chirurgicale de résection des fils scléraux a été réalisée le 2 janvier 2014. Mme B...est atteinte d'une perte totale et irréversible de la fonction de l'oeil gauche.
5. La prise en charge de Mme B...pour une blessure oculaire par fourchette par le service des urgences du centre hospitalier d'Avignon le 19 avril 2010 sans évaluation par un médecin ophtalmologiste a causé un retard de diagnostic de la plaie perforante du globe oculaire qu'elle présentait et qui constituait une urgence ophtalmologique devant être traitée le plus rapidement possible et au maximum dans un délai de six heures pour en limiter les séquelles. Ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, ce retard de diagnostic, qui n'est au demeurant pas contesté par le centre hospitalier d'Avignon, est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de ce centre hospitalier.
6. Le jugement avant dire droit du tribunal administratif de Nîmes du 15 décembre 2016, qui n'était pas devenu définitif à la date du jugement attaqué, a mentionné qu'eu égard au rapport de l'expertise diligentée par la société hospitalière d'assurance médicale établi le 2 mai 2012, l'imputabilité de la perte de la vision de l'oeil gauche à la prise en charge le 19 avril 2010 par le service des urgences " pourrait être estimée à 50 % ". Les premiers juges ont retenu ce motif pour estimer que le centre hospitalier d'Avignon devait être condamné à réparer 50 % de ces dommages. Toutefois, il résulte tant du rapport du 12 mai 2012 que du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Nîmes que le taux de perte de chance de Mme B...d'éviter les dommages survenus à la suite de la faute commise par le centre hospitalier d'Avignon doit être fixé à 40 %, ainsi que le relèvent d'ailleurs tant la requérante que l'établissement.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise judiciaire, que l'état de Mme B...nécessite une surveillance ophtalmologique annuelle, qui devra être semestrielle si est mise en place une prothèse oculaire, nécessitant un entretien une fois par an et un renouvellement en fonction des besoins. Toutefois, Mme B...n'établit ni, d'une part, que le coût des consultations ophtalmologiques serait à sa charge en tout ou partie ni, d'autre part, le caractère certain de la mise en place d'une prothèse oculaire dont le coût serait également en tout ou partie à sa charge. Ses prétentions au titre des dépenses de santé futures doivent donc être écartées. Il appartiendra à MmeB..., si elle s'y croit fondée, de solliciter une indemnisation à ce titre en cas de pose d'une prothèse et d'exposition de frais pour ce motif.
S'agissant des préjudices extra patrimoniaux temporaires et permanents :
8. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise judiciaire, qui fixe la date de consolidation au 7 janvier 2014, que Mme B...a subi, pour la période allant du 19 avril 2010 au 6 janvier 2014, un déficit fonctionnel temporaire total au cours des 10 jours d'hospitalisation en lien avec ses complications ophtalmologiques, soit du 19 au 22 avril 2010, du 27 mai au 31 mai 2010 ainsi que le 2 janvier 2014, et un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 25 % durant 80 jours. Il sera fait une juste appréciation du préjudice en en fixant la réparation à la somme de 500 euros, soit 200 euros après application du taux de perte de chance de 40 %.
9. Les souffrances endurées par Mme B...doivent être évaluées à 3 sur une échelle de 7. Ce préjudice sera justement réparé à hauteur de la somme de 1 700 euros après application du taux de perte de chance.
10. Le préjudice esthétique incluant le préjudice temporaire subi avant consolidation et dont Mme B...reste atteinte de façon permanente est évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7. Il en sera fait une juste appréciation en en fixant la réparation à la somme de 3 300 euros après application du taux de perte de chance.
11. Il résulte de l'instruction, et notamment du barème d'évaluation des taux d'incapacité des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales prévu à l'article D. 1142-2 du code de la santé publique et figurant en annexe 11-2 de ce code, que le taux de déficit fonctionnel permanent dont demeure atteinte MmeB..., âgée de vingt-quatre ans à la date de consolidation, à la suite de la perte de son oeil gauche, doit être évalué à 25 %. Ce préjudice sera justement réparé à hauteur de la somme de 21 000 euros après application du taux de perte de chance.
12. Mme B...soutient que le retard de prise en charge lui occasionne un préjudice moral important, dès lors qu'elle a dû subir de multiples opérations et que sa seule perspective est celle du port d'une prothèse. Ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euros après application du taux de perte de chance.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander une meilleure indemnisation. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées. Le centre hospitalier d'Avignon est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Nîmes l'a condamné à verser à Mme B...soit ramenée à la somme de 27 200 euros, sous déduction de la somme versée à celle-ci à titre de provision, soit 3 000 euros ainsi qu'il ressort des pièces produites par l'établissement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : La somme de 31 900 euros à laquelle le centre hospitalier d'Avignon a été condamné par le jugement du tribunal administratif de Nîmes est ramenée à la somme de 27 200 euros, sous déduction de la somme de 3 000 euros versée à Mme B...à titre de provision.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 29 juin 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...représentée par M. C...B..., au centre hospitalier d'Avignon et à la caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente assesseure,
- MmeF..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 16 mai 2019.
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N° 17MA03641