Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 janvier 2015, le 1er février 2016, le 29 février 2016 et le 3 mars 2016, MmeD..., représentée par la SCP Cabinet C...et Floutier Associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 7 novembre 2014 ;
2°) à titre principal, de condamner la commune de Nîmes à lui verser une somme de 3 561 153 euros au titre du préjudice matériel et une somme de 140 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, augmentées des intérêts de droit à compter de l'enregistrement de sa demande et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise portant sur l'évaluation des pertes de chiffre d'affaires imputables aux travaux publics et de condamner la commune de Nîmes à lui verser, à titre de provision, la somme de 2 000 000 d'euros augmentée des intérêts de droit à compter de l'enregistrement de sa demande et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Nîmes la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la responsabilité sans faute de la commune est engagée ;
- les travaux publics ont été à l'origine de nuisances directes et de difficultés d'accès ;
- le préjudice commercial présente un caractère anormal et spécial ;
- son état de santé s'est dégradé et elle a subi un préjudice moral.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 septembre 2015 et le 19 février 2016, la commune de Nîmes, représentée par la SARL Lysias Partners, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme D...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les travaux, d'une durée limitée et au cours desquels l'accès aux commerces était possible, n'ont pas entraîné pour la pharmacie une gêne excédant les sujétions normales ;
- les difficultés financières de la pharmacie ne sont pas imputables aux travaux publics ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafay,
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,
- et les observations de Me C...représentant MmeD..., et de Me B...substituant la Selarl Lysias Partners représentant la commune de Nîmes.
1. Considérant que la commune de Nîmes a réalisé, à compter de l'année 2011, dans le cadre d'un programme d'actions de prévention des inondations en provenance du nord de la ville, d'importants travaux d'aménagements hydrauliques d'augmentation de la capacité du cadereau d'Alès, dans son parcours souterrain de l'avenue Pompidou ; que MmeD..., propriétaire exploitante d'une pharmacie située au numéro 5 de cette avenue, a recherché la responsabilité de la commune en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices tant commerciaux que personnels qu'elle estime avoir subis du fait des travaux ; qu'elle interjette appel du jugement du 7 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Nîmes à lui verser la somme de 331 594 euros en réparation des préjudices allégués ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant qu'il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général ;
3. Considérant que les travaux publics d'augmentation de la capacité de l'ouvrage hydraulique en sous-sol de l'avenue Pompidou ont été exécutés en trois tronçons successifs ; que, s'agissant du premier d'entre eux, au droit duquel se situe l'officine de pharmacie, si des travaux ont débuté, dès les mois d'avril et mai 2011, ils ont consisté principalement en l'installation d'équipements de chantier, et sont restés sans incidence significative sur les conditions d'exploitation de l'activité de Mme D... ; qu'en revanche, il ressort des pièces versées au dossier et notamment des procès-verbaux de constats d'huissiers des 14 septembre, 18 octobre, 2 novembre et 21 décembre 2011, ainsi que des photographies et des témoignages produits, que les importants travaux d'excavation de la voie publique et de mise en place des ouvrages hydrauliques, qui se sont déroulés au cours des mois de septembre à décembre 2011, se sont accompagnés de nuisances sonores intenses et de fortes poussières ; qu'en outre, l'accès à la pharmacie a été rendu plus difficile aux piétons en raison de l'existence de ces mêmes nuisances aux abords immédiats du trottoir menant à l'officine, et notamment aux personnes à mobilité réduite du fait de l'état de la voie publique ; que les possibilités de circulation automobile, notamment au droit de l'officine, du côté descendant de l'avenue, ont été fortement réduites du mois de juillet à la fin du mois de septembre, tandis que la contre-allée desservant le fonds de commerce a été impraticable et dépourvue de toute place de stationnement jusqu'à la fin de l'année 2011, sans que ces inconvénients ne soient compensés par l'existence d'itinéraires alternatifs ou de places de stationnement plus éloignées ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les gênes à l'exploitation de la pharmacie résultant des difficultés d'accès et des nuisances liées aux bruits et aux poussières se soient poursuivies au-delà du mois de décembre 2011 ; qu'alors même que la visibilité de l'officine a été préservée, ces gênes et nuisances, eu égard à l'ampleur des travaux, à la proximité du chantier et aux sérieuses difficultés d'accès auxquelles la clientèle proche ou de passage a été confrontée pendant la période courant des mois de septembre à décembre 2011, ont entraîné une diminution sensible de la fréquentation et du chiffre d'affaires de la pharmacie par rapport à la même période de l'année 2010 ; que le préjudice subi, qui est spécial à Mme D..., présente ainsi un caractère anormal et justifie l'octroi d'une indemnité par la commune de Nîmes, maître d'ouvrage des travaux publics ;
Sur l'évaluation du préjudice :
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la baisse de l'activité qu'a connue l'officine de pharmacie exploitée par Mme D... n'est pas seulement imputable aux gênes apportées par l'exécution des travaux mentionnées au point précédent mais également à des difficultés de gestion apparues avant le commencement des travaux, le résultat d'exploitation de l'exercice clos au mois de février 2011 étant ainsi en très forte diminution par rapport à celui de l'exercice précédent et des retards ou défauts de paiement de fournisseurs, d'impôts et de cotisations sociales étant apparus dès les années 2009 et 2010 ; que dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la perte de chiffre d'affaires au cours des mois de septembre à décembre 2011 par rapport à la même période de l'année précédente, au taux moyen de marge constaté, qu'il y a lieu de fixer à 24 %, et à la part imputable aux difficultés propres à l'officine de pharmacie et antérieures aux travaux, il sera fait une juste appréciation de la réparation due à Mme D... en condamnant la commune de Nîmes à lui verser une indemnité de 35 000 euros ;
5. Considérant que la requérante établit, notamment par la production de documents médicaux, avoir subi, du fait des travaux publics communaux, un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il convient de réparer par l'allocation d'une somme de 1 500 euros ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
7. Considérant que Mme D...a droit aux intérêts de la somme de 36 500 euros à compter de la date de l'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif ;
8. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 7 août 2012 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 7 août 2013, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeD..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Nîmes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche de mettre à la charge de la commune de Nîmes une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 7 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : La commune de Nîmes est condamnée à verser à Mme D...la somme de
36 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 août 2012. Les intérêts échus à la date du 7 août 2013, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D...est rejeté.
Article 4 : La commune de Nîmes versera à Mme D...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Nîmes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et à la commune de Nîmes.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- M. Laso, président-assesseur,
- M. Lafay, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2016.
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N° 15MA00042