Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 mars 2017 et le 3 octobre 2018, M. et MmeH..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 janvier 2017 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner l'AP-HM à verser la somme de 75 000 euros chacun à M. et Mme H... et celle de 30 000 euros à D...H... ;
3°) de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 2 000 euros en application de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'expertise ordonnée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation Provence-Alpes-Côte d'Azur est irrégulière, dès lors qu'elle est fondée sur une pièce qui n'a pas été communiquée contradictoirement ;
- une échographie a été réalisée par un interne sans l'accord du praticien hospitalier ;
- une maladresse fautive a été commise lors de cette échographie ;
- la présence d'une interne seule lors des accouchements est constitutive d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ;
- l'absence de prise en charge néonatale des nouveau-nés est également constitutive d'une faute ;
- la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37 du code de la santé publique n'a pas été respectée ;
- l'établissement de santé a en outre manqué à son obligation d'information.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2018, l'AP-HM, représentée par
MeG..., demande à la cour de rejeter la requête présentée par M. et MmeH....
Elle soutient que les moyens soulevés par M. et Mme H...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique, modifié notamment par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., substituant MeC..., représentant M. et Mme H....
Considérant ce qui suit :
1. MmeH..., née en 1981, enceinte de triplées à 24 semaines d'aménorrhée, s'est présentée aux urgences du centre hospitalier du pays d'Aix le 18 juin 2010 à 23h40 pour une suspicion de fissuration de la poche des eaux pour la première triplée. Compte tenu du risque élevé d'accouchement prématuré et du caractère multiple de la grossesse, elle a été transférée le
19 juin 2010 à 2h00 à l'hôpital Nord, relevant de l'AP-HM. La première enfant est née le 21 juin 2010 à 21h50 en salle d'accouchement, avec une tentative d'accouchement différé pour les deux autres triplées. Celles-ci sont cependant nées le même jour à 22h40 et à 22h48 en raison de la rupture spontanée des membranes lors de la réalisation d'une échographie. Les trois enfants sont décédées quelques minutes après leur naissance après avoir seulement bénéficié de soins palliatifs.
2. M. et Mme H...ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui a ordonnée une expertise le 3 décembre 2010. L'expert nommé par celle-ci a déposé son rapport le 2 avril 2012.
3. Par le jugement attaqué du 5 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. et Mme H...tendant à la condamnation de l'AP-HM à les indemniser des préjudices ayant résulté du décès de leurs trois enfants nés prématurés.
Sur l'expertise ordonnée par la CRCI :
4. L'article L. 1142-12 du code de la santé publique, relatif aux procédures d'expertise médicale ordonnées par les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation, prévoit notamment au cinquième alinéa que : " Le collège d'experts ou l'expert s'assure du caractère contradictoire des opérations d'expertise, qui se déroulent en présence des parties ou celles-ci dûment appelées. "
5. Il résulte de l'instruction que l'expert nommé par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation Provence-Alpes-Côte d'Azur a organisé une réunion d'expertise le 16 mars 2011 à laquelle l'équipe pédiatrique de l'hôpital Nord de Marseille n'était pas présente. L'expert a adressé aux parties un pré-rapport sur lequel le DrE..., appartenant à cette équipe médicale, a répondu par des observations à la lumière desquelles l'expert a rendu son rapport définitif. Faute d'avoir communiqué ces observations aux autres parties en vue de leur permettre d'en prendre connaissance et le cas échéant d'y répondre, l'expert ne s'est pas assuré du caractère contradictoire de ces opérations d'expertise conformément à l'article
L. 1142-12 du code de la santé publique cité ci-dessus. Cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle à ce que le rapport qu'il a déposé puisse être pris en compte par la cour en tant qu'élément d'information.
Sur la prise en charge de la patiente :
6. Le premier alinéa de l'article R. 6153-3 du code de la santé publique dispose que : " L'interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève. "
7. Il résulte de ces dispositions que les internes en médecine, praticiens en formation spécialisée, sont notamment habilités à réaliser des actes de diagnostic tels que des échographies. Si ces actes sont accomplis par délégation et sous la responsabilité du praticien dont l'interne relève, il n'en résulte pas, contrairement à ce que soutiennent M. et MmeH..., qu'ils ne pourraient l'être que sur instruction ou avec l'accord de ce praticien. La réalisation d'une échographie le 21 juin 2010 par une interne en médecine après la naissance du premier enfant n'est pas constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HM.
8. M. et Mme H...ont fait valoir devant l'expert que l'interne avait commis un geste maladroit lors de la réalisation de cette échographie, à l'origine de la rupture spontanée des membranes ayant conduit à la naissance des deux dernières triplées. L'expert a cependant conclu qu'aucune faute ni manquement n'avait été commis sur le plan obstétrical dans le cadre de la prise en charge de la menace d'accouchement prématuré. Il ne résulte en conséquence pas de l'instruction qu'à l'occasion de la réalisation de cette échographie, une maladresse à l'origine de la naissance spontanée des deux autres triplées aurait été commise.
9. M. et Mme H...soutiennent enfin que l'accouchement des trois enfants a été seulement pris en charge par une interne en médecine, ce qu'ils imputent à une faute dans l'organisation du service. Il résulte cependant de l'instruction que le service de gynécologie obstétrique comportait une équipe médicale complète au moment des faits. La naissance du premier enfant a eu lieu à 21h50 en salle d'accouchement en présence de l'équipe médicale. L'accouchement spontané du deuxième enfant a eu lieu à 22h40 lors de la réalisation de l'échographie mentionnée ci-dessus par une interne en médecine. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme H...ait présenté antérieurement des signes cliniques annonçant une naissance prématurée imminente qui aurait justifié la présence d'autres médecins à ses côtés. Il résulte de l'instruction qu'un médecin pédiatre et un interne en pédiatrie ont pris en charge le second enfant vers 22h45. La troisième naissance a eu lieu à 22h48 et l'enfant a été prise en charge par l'équipe médicale. Ces circonstances ne révèlent aucune faute dans l'organisation et le fonctionnement du service.
Sur la limitation des traitements :
10. D'une part, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. "
11. D'autre part, aux termes de l'article L. 1110-5 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. (...) / Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. (...) " Le cinquième alinéa de l'article L. 1111-4 ajoute que " Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. "
12. La procédure collégiale de limitation ou d'arrêt des traitements à laquelle renvoie l'article L. 1111-4 cité ci-dessus était définie, à la date des faits, par l'article R. 4127-37 du code de la santé publique, qui disposait que : " I.- En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie. /
II.- Dans les cas prévus au cinquième alinéa de l'article L. 1111-4 et au premier alinéa de l'article L. 1111-13, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés ne peut être prise sans qu'ait été préalablement mise en oeuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) / La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l'équipe de soins si elle existe et sur l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. (...) / Lorsque la décision de limitation ou d'arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l'avis des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l'urgence rend impossible cette consultation. / La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l'équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. La personne de confiance, si elle a été désignée, la famille ou, à défaut, l'un des proches du patient sont informés de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. "
13. Le premier alinéa de l'article R. 4127-42 du même code prévoit enfin que : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s'efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d'obtenir leur consentement. "
14. Ces dispositions définissent un cadre juridique affirmant le droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés ainsi que le droit que sa volonté de refuser un traitement et de ne pas subir un traitement médical qui traduirait une obstination déraisonnable soit respectée. Ces dispositions ne permettent à un médecin de prendre, à l'égard d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, une décision de limitation ou d'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger que sous la double et stricte condition que la poursuite de ce traitement traduise une obstination déraisonnable et que soient respectées les garanties tenant, d'une part, à la consultation de l'équipe de soins et d'au moins un autre médecin, n'ayant aucun lien de nature hiérarchique avec le médecin en charge du patient, et, d'autre part, au respect de la volonté du patient, telle qu'elle a pu trouver à s'exprimer, le cas échéant, dans les directives anticipées antérieurement rédigées. En l'absence de directives anticipées ou lorsqu'elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, le médecin ne peut, ainsi qu'il a été dit, prendre une telle décision qu'après avoir consulté la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, ou, à défaut, la famille ou les proches, afin, notamment, de s'enquérir de la volonté du patient et en s'efforçant de dégager une position consensuelle. Quand le patient hors d'état d'exprimer sa volonté est un mineur, auquel ne s'appliquent ni les dispositions relatives aux directives anticipées ni celles qui prévoient la désignation d'une personne de confiance, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l'âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s'exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle au demeurant l'article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord avec ses parents ou son représentant légal sur la décision à prendre.
15. Dans l'hypothèse où, malgré les consultations auxquelles a procédé le médecin, la volonté du patient demeure inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus de celui-ci d'être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit, dans l'examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard, et, lorsque le patient est un enfant, faire de l'intérêt supérieur de
celui-ci une considération primordiale.
16. Il résulte de l'instruction que le DrE..., pédiatre, s'est longuement entretenue avec Mme H...le 21 juin 2010 à 9h15, avant les naissances, en vue de lui expliquer, du fait de la rupture prématurée des membranes concernant la première triplée, la situation à la limite de la viabilité de l'enfant à naître et l'obstination déraisonnable que constituerait une réanimation néonatale en raison des risques élevés de mortalité et de morbidité, en annonçant une prise en charge palliative en vue de limiter la souffrance de l'enfant durant sa brève période de vie. Le Dr E... s'est ensuite entretenue à 10h30 avec M.H..., qui, dans un contexte émotionnel chargé, a initialement exprimé sa préférence pour une prise en charge néonatale. Au cours de cet entretien, le Dr E...et M. H...ont joint le DrB..., médecin gynécologue ayant suivi la grossesse de Mme H...au centre hospitalier du pays d'Aix, qui a appuyé le bien-fondé de la décision du DrE.... La prise en charge palliative de cet enfant a été acceptée avec difficulté par les parents. Le même médecin a expliqué au cours de ces entretiens que les deux autres triplées feraient l'objet d'une tentative d'accouchement différé.
17. La première enfant est née le même jour à 21h50 en état de mort apparente avec un poids de 550 grammes et est décédée à 21h55. La deuxième enfant est née à 22h40 avec un poids de 560 grammes avec des mouvements ventilatoires, un gasp important et sans cri et est décédée à 22h50. La troisième enfant est née à 22h48 en état de mort apparente avec un poids de 510 grammes et est décédée à 22h49.
18. Le choix de ne pas mettre en oeuvre de réanimation néonatale pour préférer une prise en charge palliative, qui n'a pas fait l'objet d'une décision écrite motivée même établie postérieurement au décès des nouveau-nés pour être versée au dossier médical de la patiente, constitue une décision de limitation de traitement en vue de s'abstenir d'une obstination déraisonnable. Si le dossier médical mentionne incidemment une concertation entre le Dr E... et d'autres membres de l'équipe médicale, il ne retrace pas les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu, ni ne mentionne l'identité des personnes consultées. Enfin, le Dr B...n'a pas été sollicité en vue d'émettre un avis motivé en tant que consultant, mais afin de justifier a posteriori auprès de M. H... la décision arrêtée par l'autorité médicale en ce qui concerne la première triplée. Il suit de là que M. et Mme H...sont fondés à soutenir que l'article R. 4127-37 du code de la santé publique cité au point 12 a été méconnu.
19. En outre, si la naissance prématurée des deux autres enfants dans l'heure qui a suivi la première naissance a été spontanée, Mme H...avait été admise à l'hôpital Nord de Marseille en raison d'une menace d'accouchement prématuré pour une grossesse triple. Il ressort de la littérature médicale figurant au dossier que la période anténatale est la plus propice pour discuter de la décision à prendre concernant le traitement des nouveau-nés prématurés. Le risque d'un accouchement prématuré des deux autres triplées était en l'espèce suffisamment élevé pour justifier, malgré la tentative d'accouchement différé, d'évoquer cette éventualité, ses conséquences, et les conditions de leur prise en charge à la naissance. En s'abstenant d'y procéder, l'équipe médicale de l'hôpital Nord a méconnu les dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique citées au point 10.
20. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise et des autres documents médicaux figurant au dossier, que l'absence de prise en charge néonatale des enfants nés prématurés jusqu'à la vingt-troisième semaine d'aménorrhée et le principe d'une prise en charge pour les enfants nés à partir de la vingt-sixième semaine d'aménorrhée font l'objet d'un consensus entre les équipes médicales spécialisées. Il n'existe en revanche pas de consensus pour les enfants nés à la limite du seuil de viabilité entre les vingt-troisième et vingt-cinquième semaines d'aménorrhée. Leur prise en charge dépend essentiellement des orientations adoptées par chaque équipe médicale. Pour l'hôpital Nord, un protocole élaboré en 2006 prévoit une absence de prise en charge pour les enfants nés avant la vingt-cinquième semaine d'aménorrhée ou d'un poids inférieur à 650 grammes, " sauf si désir parental (après entretien, en fonction du contexte et de la compréhension de l'information délivrée) ".
21. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que compte tenu de l'insuffisance des grandes fonctions vitales des grands prématurés, les risques de mortalité ou de survie avec des séquelles et handicaps extrêmes sont considérables pour les naissances se situant entre 23 et 25 semaines d'aménorrhée. Il ressort de la littérature médicale que le taux de survie des enfants nés prématurés à 24 semaines d'aménorrhée est compris entre 26 et 31 %, avec un pourcentage de séquelles majeures compris entre 88 et 97 % et que le taux de survie des enfants nés prématurés à 25 semaines d'aménorrhée est compris entre 44 et 63 % avec un pourcentage de séquelles majeures compris entre 64 et 92 %. Ces risques s'accompagnent de graves souffrances pour l'enfant au cours de la période de vie ouverte par les soins de réanimation.
22. Il résulte cependant de l'instruction, notamment des articles de littérature médicale joints par l'expert à son rapport, que les risques élevés de mortalité et de morbidité pour les enfants nés prématurés ne constituent pas l'unique critère permettant d'apprécier si une réanimation néonatale revêt ou non le caractère d'une obstination déraisonnable. Le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et qui dépend des circonstances particulières à chaque naissance, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. L'appréciation par le médecin du contexte parental, permettant d'évaluer la capacité du couple à supporter et à gérer une situation aiguë ou chronique, et la volonté exprimée par les parents, ainsi qu'il ressort d'ailleurs du protocole établi par l'hôpital Nord, revêtent une importance toute particulière. En se fondant sur le risque élevé de morbidité pour s'abstenir de procéder à une réanimation néonatale des deuxième et troisième triplées, sans avoir informé la patiente dans les conditions vues au point 19, ni s'être attachée à prendre en compte le contexte parental, alors qu'il lui appartenait, ainsi que le rappelle l'article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s'efforcer de parvenir si possible au cours de la période anténatale à un accord avec les parents concernant la décision à prendre, et que M. et Mme H..., dont la position concernant ces deux enfants ne peut être préjugée au regard de la décision qu'ils ont acceptée concernant la première, avaient manifesté tout au long de la journée du 21 juin 2010 leur attachement à ce que des soins de réanimation soient procurés aux enfants à naître et avaient exprimé leur volonté, dans le contexte propre à ce couple, d'accueillir un enfant susceptible de décéder rapidement malgré les soins procurés ou de rester gravement handicapé, l'équipe médicale de l'hôpital Nord a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HM.
Sur l'indemnisation des préjudices :
23. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. et Mme H...résultant de la faute examinée au point 18, du fait des conditions dans lesquelles la décision concernant la première triplée a été prise et de l'impossibilité de retracer et donc de comprendre les avis exprimés et la décision prise par l'équipe médicale, en retenant la somme de 5 000 euros.
24. L'expert reconnaît que la douleur extrême des parents après la perte de leurs trois enfants a été à l'origine d'une souffrance psychique intense, pour laquelle il recommande d'ailleurs une prise en charge psychologique spécifique. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. et Mme H...résultant des fautes examinées aux points 19 et 22, né du fait de ne pas avoir été mis à même de s'exprimer sur l'absence de réanimation néonatale pour les deux autres triplées et de n'avoir pu, le cas échéant, influencer le sens de la décision médicale, en retenant la somme de 30 000 euros.
25. D'une part, les requérants n'apportent pas de précisions au soutien de leur demande tendant à l'indemnisation de leur filleD..., âgée d'un an au moment des faits. D'autre part, les conditions dans lesquelles les décisions médicales ont été prises et la faute commise dans l'information et le recueil de l'avis des parents n'ont pas été à l'origine d'un préjudice moral à caractère personnel pour la jeuneD..., extérieure au processus décisionnel.
26. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que M. et Mme H...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande, et à demander la condamnation de l'AP-HM à leur verser la somme de 35 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HM, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à M. et Mme H... de la somme de 2 000 euros au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 5 janvier 2017 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'AP-HM est condamnée à verser la somme de 35 000 euros à M. et Mme H....
Article 3 : L'AP-HM versera à M. et Mme H...la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme H...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M.J... H... et Mme I...F...épouse H...et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille.
Copie en sera adressée pour information à l'expert désigné par la CRCI de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 7 février 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 février 2019.
2
N° 17MA01092