Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 juillet 2017, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 avril 2017 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 25 mai 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre, à titre principal, au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans un délai de dix jours et sous les mêmes conditions d'astreinte, une autorisation provisoire de séjour et de travail ou un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à une nouvelle instruction de sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans un délai de dix jours et sous les mêmes conditions d'astreinte, une autorisation provisoire de séjour et de travail ou un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- elle n'a pas bénéficié du droit d'être entendue avant l'édiction de la mesure d'éloignement, ce qui a porté atteinte aux droits de la défense ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2017, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Courbon.
Considérant ce qui suit :
1. Par décisions du 25 mai 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé d'admettre Mme D... au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme D... relève appel du jugement du 5 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la légalité de la décision de refus d'admission au séjour :
2. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Mme D..., de nationalité russe, née en 1984, est entrée en France, selon ses déclarations, en novembre 2013, pour y solliciter l'asile, avec son compagnon, M. A..., né en 1973, également de nationalité russe, et leur fille née en 2008. Si M. A... a également fait l'objet d'un refus d'admission au séjour en date du 25 mai 2016, annulé par la présente Cour, celui-ci ne disposait, à la date de la décision contestée, que d'un droit provisoire au séjour sur le territoire français en qualité de demandeur d'asile. La requérante ne démontre pas l'impossibilité de reconstituer la vie familiale en Russie, pays où elle et son compagnon ont vécu jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et de quarante ans, et où leur fille pourra poursuivre sa scolarité. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, la décision contestée n'a pas porté au droit de Mme D..., au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquelles elle a été prise.
4. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant stipule : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions politiques ou privées, de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions le concernant.
5. La décision contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de séparer la fille de Mme D... de l'un de ses parents, la cellule familiale de la requérante et de son compagnon pouvant se reconstituer en Russie. La circonstance que la fille du couple ait effectué, depuis son arrivée en France, une scolarité exemplaire n'est pas, en elle-même, de nature à démontrer que cet apprentissage ne pourrait se poursuivre correctement en Russie. Ainsi, la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
6. La bonne intégration de Mme D... dans la société française ne suffit pas, à elle seule, à établir que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
7. Il ressort des pièces du dossier que le compagnon de Mme D... disposait, à la date de la mesure d'éloignement contestée, d'un droit provisoire au séjour sur le territoire français dans l'attente de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur sa demande de réexamen au titre de l'asile. Dans ces conditions, en prenant une mesure d'éloignement susceptible, en cas d'exécution, d'entraîner la séparation d'un couple de demandeurs d'asile ayant un enfant à charge, le préfet des Bouches-du-Rhône a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de la requérante. Mme D..., est, par suite, fondée à demander l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français et, par voie de conséquence, celle de la décision fixant le pays de destination.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
10. Mme D..., qui a déposé, le 27 mai 2016, une demande de réexamen de sa demande d'asile, a obtenu du préfet des Bouches-du-Rhône, comme son compagnon, la délivrance d'une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour régulièrement renouvelée jusqu'à la notification de décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur sa demande de réexamen. Dès lors, le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme D... doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par conséquent, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que le conseil de Mme D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 5 avril 2017 est annulé, en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation des décisions du 25 mai 2016 par lesquelles le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Article 2 : Les décisions du 25 mai 2016 par lesquelles le préfet des Bouches-du-Rhône a obligé Mme D... à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement sont annulées.
Article 3 : L'Etat versera au conseil de Mme D... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir l'indemnité correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et à Me C....
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2018, où siégeaient :
- Mme Mosser, présidente de chambre,
- Mme Paix, présidente assesseure,
- Mme Courbon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 novembre 2018.
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N° 17MA03026