Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 avril 2015 et un mémoire enregistré le 3 août 2015, la SCEA Château Cabrières, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 mars 2015 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 9 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés en première instance et en appel ainsi que la somme de 35 euros correspondant aux dépens de première instance.
Elle soutient que :
- l'administration a méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;
- elle a méconnu les dispositions du II de l'article L. 47 A du même livre ;
- la proposition de rectification du 23 décembre 2009 est insuffisamment motivée ;
- sa comptabilité était probante et a été rejetée à tort ;
- la reconstitution de son chiffre d'affaires par l'administration aboutit à un résultat exagéré ;
- les pénalités pour manquement délibéré ne sont ni motivées ni justifiées.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 juillet 2015, le ministre chargé du budget conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SCEA Château Cabrières ne sont pas fondés.
Un mémoire a été présenté le 18 août 2016 par le ministre chargé du budget.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sauveplane,
- les conclusions de M. Maury, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la SCEA Château Cabrières.
Une note en délibéré présentée pour la SCEA Château Cabrières a été enregistrée le 2 décembre 2016.
1. Considérant que la SCEA Château Cabrières relève appel du jugement du 12 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé pour la période du 1er août 2005 au 31 juillet 2008 à la suite d'une vérification de comptabilité ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande " ; que l'obligation ainsi faite à l'administration fiscale d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle a utilisés pour procéder à des rectifications a pour objet de permettre à celui-ci, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, afin qu'il puisse vérifier l'authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée ; que les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales instituent ainsi une garantie au profit de l'intéressé ; que, toutefois, la méconnaissance de ces dispositions par l'administration demeure sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition s'il est établi qu'eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu du contribuable, celui-ci n'a pas été privé, du seul fait de l'absence d'information sur l'origine du renseignement, de cette garantie ;
3. Considérant que la proposition de rectification du 23 décembre 2009 mentionne en sa quatrième page qu'il " a été procédé à une intervention sur votre domaine viticole par la brigade interrégionale d'enquêtes sur les vins (BIEV), en date du 8/9/2008 " ; qu'elle fait également mention en sa sixième page des procès-verbaux de M. A... B...et de son responsable de cave par la BIEV ; que si les intéressés ont en fait été entendus par les services de la gendarmerie, cette erreur matérielle relative à l'identité du service qui a dressé les procès-verbaux n'empêchait pas la société de demander la communication de ceux-ci ; que l'administration n'était pas tenue de mentionner explicitement les modalités d'obtention de ces informations et notamment, en l'espèce, que ces documents avaient été obtenus dans le cadre du droit de communication ; qu'ainsi, l'administration a suffisamment informé la SCEA Château Cabrières de la teneur et de l'origine des documents utilisés et obtenus auprès de tiers pour lui permettre de discuter utilement leur provenance ou de demander que ces documents soient mis à sa disposition ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit être écarté ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales : " I. - Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contribuable peut satisfaire à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. L'administration peut effectuer des tris, classements ainsi que tous calculs aux fins de s'assurer de la concordance entre la copie des enregistrements comptables et les déclarations fiscales du contribuable. (...). II. - En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. (...) ; c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration dispose d'un droit d'accès et de contrôle sur les comptabilités informatisées, mais qu'elle ne peut procéder à des traitements sur ces comptabilités sans avoir préalablement informé le contribuable des différentes options offertes quant aux modalités d'un tel traitement ;
5. Considérant que la SCEA Château Cabrières, qui tenait sa comptabilité au moyen d'un système informatisé, a remis à l'administration sous forme dématérialisée une copie des fichiers des écritures comptables dont celle-ci a accusé réception par lettre du 10 septembre 2009 ; que si l'administration a procédé, au cours de ses interventions sur place, à un examen du système informatique de la société, cet examen a eu pour seul but de vérifier que celle-ci n'avait pas comptabilisé les quantités de vin dont la production avait été dissimulée et que la copie des écritures comptables remise à l'administration était conforme aux écritures comptables de la société vérifiables sur place ; que l'administration s'est bornée à s'assurer de la concordance entre la copie des enregistrements comptables et les déclarations fiscales du contribuable, au sens du I de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales ; que l'état statistique des ventes annuelles établi afin de connaître le taux de rotation des stocks et la ventilation des ventes selon les millésimes et les conditionnements résulte de simples calculs arithmétiques effectués par l'administration à partir de la copie des écritures comptables et n'a pas été effectué à l'aide de fonctionnalités d'un logiciel ; qu'ainsi, l'examen auquel s'est livrée l'administration ne constitue pas un traitement informatique au sens des dispositions du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article doit être écarté ;
6. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes du 1er alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation " et qu'aux termes du troisième alinéa de cet article : " En cas d'application des dispositions de l'article L. 47 A, l'administration précise au contribuable la nature des traitements effectués " ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 23 décembre 2009 mentionne les motifs pour lesquels l'administration a rejeté la comptabilité de la société comme irrégulière et non probante et la méthode utilisée pour reconstituer le chiffre d'affaires dissimulé en raison de l'existence de cuves non déclarées ; que l'administration a mentionné les quantités de vin non déclarées et le taux de rotation des stocks déclarés ainsi que la ventilation des ventes correspondantes selon leur conditionnement et leur millésime ; que si le vérificateur n'a pas exposé précisément le prix de vente qu'il retenait, les tableaux figurant sur la proposition de rectification permettent de déterminer sans difficulté le prix de vente retenu à l'hectolitre pour chacun des exercices en litige en fonction du millésime et du conditionnement du vin alors que ce prix n'a pas fait l'objet d'un litige entre les parties et n'a pas été déterminé à partir de données extérieures à l'entreprise mais de l'état statistique annuel évoqué au point 5 ; qu'en l'absence de traitement informatique, le vérificateur n'avait pas à apporter de précisions à ce sujet dans la proposition de rectification, dont la motivation permettait à la SCEA Château Cabrières de formuler utilement des observations ou son acceptation ; qu'elle était ainsi suffisamment motivée au regard de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :
8. Considérant que, pour écarter le caractère sincère et probant de la comptabilité de la SCEA Château Cabrières, l'administration fait valoir que la société a procédé, au cours des exercices 2006 et 2007, à des achats sans facture et sans comptabilisation et que trois cuves non répertoriées existaient au moins depuis l'année 2005 dans les caves de l'exploitation de manière à procéder à la vinification de vins d'appellation " Châteauneuf du Pape " non comptabilisés dans les stocks et, enfin, que les ventes au caveau ne faisaient l'objet d'aucun enregistrement détaillé mais d'une simple globalisation journalière ; que l'inscription " Ali+Caber+Gre-2005=12 % 18-12-2005 " relevée par la brigade d'enquête spécialisée lors de son intervention permet de s'assurer du contenu réel des cuves ; que si la SCEA Château Cabrières soutient que les cuves non répertoriées pouvaient être utilisées par le GIE Vignobles B...Guy dont la SCEA Château Maucoil était membre, cette dernière exploitation n'enregistrait pas d'excédent de production, contrairement à la SCEA Château Cabrières, et produisait du vin d'appellation " Côtes du Rhône " alors que la SCEA Château Cabrières produit du vin d'appellation " Châteauneuf-du-Pape " dont la valorisation économique est notablement supérieure ; qu'ainsi, l'existence de cuves non répertoriées pour vinifier du vin en appellation " Châteauneuf-du-Pape " et l'absence de comptabilisation des stocks en résultant est établie par l'administration fiscale, qui apporte la preuve du caractère non probant de la comptabilité de la SCEA Château Cabrières, qu'elle a écartée à bon droit ;
En ce qui concerne la charge de la preuve :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscale : " Lorsqu'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité présente de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge " ; qu'en l'espèce, l'imposition supplémentaire a été établie conformément à l'avis de la commission ; que, comme il a été dit au point précédent, la comptabilité de la société présentait de graves irrégularités ; que, dès lors, la charge de la preuve incombe au contribuable ;
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :
10. Considérant, en premier lieu, que la SCEA Château Cabrières n'établit pas que les cuves non répertoriées pouvaient être utilisées par le GIE Vignobles B...Guy dont la SCEA Château Maucoil était membre, alors que, comme il a été dit au point 8, cette dernière exploitation n'enregistrait pas d'excédent de production, contrairement à la société requérante ; que, de même, s'agissant des quantités utilisées pour la reconstitution et le type d'appellation, la requérante n'établit pas que les trois cuves dissimulées n'ont pas été utilisées au maximum de leur capacité et qu'elles ne contenaient pas un vin d'appellation " Châteauneuf-du-Pape " dont la valorisation économique est supérieure à l'appellation " Côtes du Rhône " ;
11. Considérant, en second lieu, que si la SCEA Château Cabrières soutient que le conditionnement du vin qui n'aurait pas été déclaré ne pouvait avoir lieu qu'en vrac et non en bouteilles en raison du caractère particulier des bouteilles écussonnées aux armoiries de Châteauneuf-du-Pape, il résulte des mentions de la proposition de rectification qu'il existait des discordances entre le registre d'embouteillage et les quantités facturées par les fournisseurs ; que, de surcroît, la société requérante n'apporte pas la preuve que la commercialisation directe au domaine ne pouvait s'effectuer en bouteilles non écussonnées ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à demander que le chiffre d'affaires reconstitué soit limité à 75 215 euros HT pour l'exercice 2005/2006, 97 185 euros HT pour l'exercice 2006/2007 et 108 642 euros HT pour l'exercice 2007/2008 ;
Sur l'application des pénalités :
12. Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) " et qu'aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable " ;
13. Considérant que, pour motiver l'application de la majoration de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a relevé dans la proposition de rectification que " la dissimulation volontaire de cuves, non répertoriées sur le plan de cave, leur utilisation répétée et la non-comptabilisation des vins qui y ont transité aussi bien en ventes qu'en valorisation des stocks, a été effectuée sciemment par la société et constitue par nature un manquement délibéré " ; que, ce faisant, l'administration a suffisamment motivé l'application de la majoration ; qu'en soulignant la dissimulation volontaire de cuves, dont l'accès était protégé par une armoire et une trappe invisible et leur utilisation pour la vinification de vins non comptabilisés en stocks, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention délibérée de la SCEA Château Cabrières d'éluder l'impôt ; que c'est dès lors à bon droit que la majoration pour manquement délibéré lui a été appliquée sur le fondement du a. de l'article 1729 du code général des impôts ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCEA Château Cabrières n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celles tendant au remboursement des dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SCEA Château Cabrières est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA Château Cabrières et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bédier, président,
- Mme Paix, président assesseur,
- M. Sauveplane, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 décembre 2016.
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N° 15MA01648