Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 28 avril 2020, M. A... B..., représenté par la Selarl Armajuris, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 12 mars 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 21 mars 2018 par laquelle le préfet de Vaucluse a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour ;
3°) d'enjoindre au préfet de Vaucluse de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ont été méconnus ;
- l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant a été méconnu.
Par un mémoire enregistré le 18 juin 2020, le préfet du Vaucluse conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que les moyens du requérant sont infondés.
Une ordonnance du 9 juin 2021 fixe la clôture de l'instruction au 25 juin 2021 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Ury.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain né en 1983, est entré en France en 2009 selon ses déclarations en possession d'une première carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier ". Il a bénéficié de manière continue, de plusieurs titres de séjours temporaires en qualité de travailleur saisonnier au sein d'une entreprise agricole dont le dernier titre demeurait valable jusqu'au 17 août 2018. Après s'être vu opposer deux refus en 2013 et en 2014, M. B... a demandé à nouveau, le 21 novembre 2017, son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Il relève appel du jugement du 12 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête contre la décision du 21 mars 2018 par laquelle le préfet de Vaucluse a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Sur les conclusions d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est marié le 2 juin 2012 avec une compatriote détentrice d'une carte de résident et que de leur union est née en 2017 une fille, C.... En raison du seul revenu de solidarité active dont bénéficie l'épouse de M. B..., celui-ci participe activement à l'entretien du foyer. S'il est constant qu'en raison de son activité professionnelle sur le territoire national en qualité de travailleur saisonnier depuis l'année 2009, M. B... réside une partie de l'année dans son pays d'origine, il dispose en France de nombreux membres de sa fratrie et de son père, et justifie, notamment par une attestation de sa sœur, de la stabilité, de l'intensité et de la réalité de ses liens avec eux, même si sa mère demeure au Maroc. M. B..., qui vient régulièrement en France depuis environ 9 ans en qualité de travailleur saisonnier, produit également une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée de l'entreprise qui l'emploie en qualité de travailleur agricole s'il disposait du droit au séjour permanent en France. Dans ces conditions, dès lors que la femme et la fille de M. B... résident en France, qu'il y séjourne légalement pour des périodes de six mois par an depuis l'année 2009, il doit être regardé comme y ayant durablement fixé, à la date de la décision attaquée, le centre de sa vie privée et familiale en France. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie le cas échéant d'un délai d'exécution. " ;
6. Le présent arrêt, qui annule la décision attaquée refusant à M. B... la délivrance d'un titre de séjour, implique nécessairement, eu égard à ses motifs, que soit délivré à l'intéressé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer ce titre à M. B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui perd à la présente instance, la somme de 2 000 euros à verser à M. B..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1802416 du 12 mars 2020 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : La décision du 21 mars 2018 par laquelle le préfet de Vaucluse a implicitement refusé de délivrer un titre de séjour à M. B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse de délivrer à M. B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au préfet de Vaucluse et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2021.
N° 20MA01728 5