Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 janvier 2020 et le 17 février 2022,
M. B..., représenté par Me Roussel-Filippi, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 novembre 2019 en tant qu'il a rejeté, d'une part, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du
6 octobre 2017 et du rejet tacite de son recours gracieux et, d'autre part ses conclusions relatives à ses frais d'instance ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) subsidiairement et avant dire droit, d'ordonner une enquête ou la production par la commune des pièces de nature à vérifier l'identité de l'agent remplacé par le requérant du
1er juin 2016 au 6 octobre 2017, et la durée de son absence pour congé de
maladie ainsi que le contenu de l'enquête administrative diligentée concernant les vols de
tickets restaurants ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune d'Ajaccio la somme de
2 000 euros au titre des frais de première instance et la somme de 2 400 euros au titre des frais d'instance d'appel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête d'appel n'est pas tardive ;
- c'est à tort que le tribunal s'est borné à prendre en compte l'arrêté du 14 juin 2016 pour retenir que son recrutement était intervenu pour la période du 1er juin 2016 au
6 octobre 2017, sans tenir compte de la lettre de mission du 1er juin 2016 ;
- la décision en litige, qui doit s'analyser en une sanction disciplinaire de licenciement, n'est pas motivée et a été prise sans consultation de la commission administrative paritaire, en méconnaissance de l'article 36-1 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- il n'a pas été informé, préalablement au prononcé de cette mesure, de ses droits à la communication de son dossier et à être assisté d'un défenseur de son choix, en méconnaissance de l'article 37 du même décret ;
- en violation de l'article 42 de ce décret, il n'a pas été reçu par son employeur en entretien préalable à son licenciement ;
- en ne le faisant pas bénéficier d'un délai de préavis de deux mois, son administration a méconnu l'article 40 dudit décret ;
- ne pouvant justifier que la fin des fonctions de chargé de mission qualité rattaché au directeur de la propreté urbaine et de la logistique était fixée au 6 octobre 2017, le maire ne peut davantage justifier du terme de ses fonctions et de son contrat ;
- la commune n'établit pas la réalité des agissements de vol sur lesquels elle fonde son licenciement disciplinaire ;
- la mesure litigieuse est entachée de détournement de procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2022, la commune d'Ajaccio, représentée par Me Pintat, conclut au rejet de la requête et à ce que soient mis à la charge de son auteur les entiers dépens et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la requête d'appel est tardive ;
- à titre subsidiaire, les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 3 février 2022 la clôture d'instruction a été fixée au 21 février 2022, à 12 heures.
Par deux lettres du 4 février 2022, la Cour a demandé à la commune d'Ajaccio, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de communiquer tous éléments de nature à déterminer les missions précédemment confiées à l'agent en congé de maladie que M. B... a remplacé pour la période du 1er juin 2016 au 6 octobre 2017, la date à laquelle cet agent a repris son poste, ainsi que tout justificatif de l'enquête administrative à laquelle les services de la commune auraient procédé, d'après les déclarations du requérant, à compter du mois de septembre 2016, au sujet de vols de "tickets restaurant".
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été engagé par le maire de la commune d'Ajaccio en qualité d'agent contractuel, pour une durée déterminée, par arrêté du 12 juin 2014, du 2 juin au 31 juin 2014, en remplacement d'un agent titulaire placé en position de congé de maladie et sur la base du cadre d'emploi d'adjoint technique de deuxième classe. Son engagement a été renouvelé, à plusieurs reprises et aux mêmes fins, cette fois sur la base du cadre d'emploi d'agent de maîtrise, d'abord par arrêté du 31 juillet 2014, pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2014, puis par arrêté du 29 octobre 2014, du 1er octobre au 31 décembre 2014, et par arrêté du 29 octobre 2014 pour la période du 1er novembre 2014 au 28 février 2015. Pour le même motif d'engagement, un arrêté du maire d'Ajaccio du 23 février 2016 l'a nommé en qualité d'agent contractuel au pôle propreté urbaine et logistique, pour la période du 1er mars au 31 mai 2016, avec une période d'essai
d'un mois, sur la base du cadre d'emploi d'agent de maîtrise. Enfin, par arrêté du 14 juin 2016, pris lui aussi au motif de la nécessité de remplacer un agent malade, le maire a engagé M. B..., sur la base du cadre d'emploi de technicien, en qualité d'agent contractuel au pôle de propreté urbaine et logistique, pour la période du 1er juin 2016 au 6 octobre 2017. Mais, par une décision du 6 octobre 2017, le maire d'Ajaccio n'a pas renouvelé cet engagement à compter du même jour. Par jugement du 7 novembre 2019, dont M. B... forme appel, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et du rejet tacite de son recours gracieux.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. ". Si le destinataire au domicile duquel un pli a été présenté en son absence, vient retirer ce pli au guichet avant l'expiration du délai de 15 jours au terme duquel tout objet recommandé non distribué par suite de l'absence de son destinataire et non réclamé au guichet par ce dernier est renvoyé à son expéditeur, le délai de recours contentieux ne commence à courir qu'à compter de la date de retrait du pli.
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une capture d'écran du site des services de la poste assurant le suivi du courrier, que le pli recommandé avec demande d'avis de réception, contenant le jugement attaqué, a été présenté pour la première fois le 9 novembre à l'adresse de M. B... qui l'a retiré auprès du bureau de poste en charge de ce pli le
12 novembre 2019. Ainsi et contrairement à ce que soutient la commune d'Ajaccio, la requête d'appel, enregistrée au greffe de la Cour le 12 janvier 2020, n'est pas tardive.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
4. Contrairement à ce que soutient la commune d'Ajaccio en première instance, la décision litigieuse, qui acte du non-renouvellement du contrat à durée déterminée de M. B..., revêt, compte tenu de ses effets sur la situation de l'agent, un caractère décisoire et peut faire l'objet d'un recours contentieux.
Sur la nature de la décision en litige :
5. Il résulte de l'article 3-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, que, pour répondre à des besoins temporaires, les communes peuvent recruter par contrat à durée déterminée des agents non titulaires en vue
d'assurer le remplacement temporaire de fonctionnaires ou d'agents contractuels autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison, notamment, d'un congé de maladie, de grave ou de longue maladie, d'un congé de longue durée. L'alinéa 2 de l'article 3-1 de cette loi précise que ces contrats à durée déterminée peuvent être renouvelés, par décision expresse, dans la limite de la durée de l'absence du fonctionnaire ou de l'agent contractuel à remplacer et prendre effet avant le départ de cet agent.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des énonciations de l'arrêté du 14 juin 2016, qui vise l'article 3-1 cité au point 5, que l'engagement contractuel de M. B... à compter du 1er juin 2016 et jusqu'au 6 octobre 2017, a été motivé par la nécessité de procéder au remplacement d'un agent malade, au sein du pôle de propreté urbaine et de logistique. En se bornant à relever que la commune ne justifie pas des missions exercées par l'agent titulaire ainsi remplacé, ni des motifs de son absence ni de sa date de reprise d'activité, M. B... ne discute pas sérieusement les motifs de son propre recrutement pour la période du
1er juin 2016 au 6 octobre 2017. Il résulte en outre d'un courrier du maire d'Ajaccio du
7 janvier 2021 adressé à M. B... que l'agent titulaire dont celui-ci a assuré le remplacement a été placé en congé de maladie pour accident de service du 7 juillet 2014 au 31 août 2018, puis en congé de maladie ordinaire du 1er septembre 2018 au 31 mai 2019, et enfin admis à la retraite le 1er juin 2019. Si, par une lettre de mission du 1er juin 2016, concomitante à l'arrêté portant recrutement jusqu'au 6 octobre 2017, l'intéressé s'est vu confier des tâches afférentes aux fonctions de chargé de mission qualité auprès du directeur de la propreté urbaine et de logistique, il ne ressort pas des pièces du dossier que ses missions nouvelles qui, à rebours de ses affirmations, ne correspondent pas à celles auxquelles il avait postulé le 13 mars 2015, se seraient substituées aux tâches dévolues à l'agent dont il a assuré temporairement le remplacement. En tout état de cause, à la supposer établie, l'illégalité des motifs du recrutement de M. B... n'est pas, à elle seule, de nature à faire regarder la décision litigieuse, portant fin de contrat à durée déterminée, comme un licenciement.
7. D'autre part, la circonstance qu'un contrat à durée déterminée ait été reconduit tacitement ne peut avoir pour effet de lui conférer une durée indéterminée, le maintien en fonction de l'agent à l'issue de son contrat initial ayant seulement pour effet de donner naissance à un nouveau contrat dont la durée est celle du contrat initial. Il en va de même de la seule circonstance que la décision expresse de ne pas reconduire un tel contrat a été notifiée plusieurs jours après sa prise d'effets. Ainsi, M. B... ne peut utilement se prévaloir de la notification tardive de la décision en litige, qui prend effet le jour de sa signature, pour soutenir qu'elle devrait s'analyser, non pas comme le refus de renouveler son dernier contrat à durée déterminée, mais comme un licenciement.
8. En revanche, il ressort des pièces du dossier, notamment de témoignages d'agents communaux, certains étant affectés au centre technique municipal où M. B... exerçait ses fonctions, et il n'est pas sérieusement contesté par la commune qui indique " ne pas avoir donné suite à cette affaire ", qu'au mois de septembre 2016, une enquête administrative a été ouverte par les services communaux concernant des vols de tickets restaurant et que le nom de M. B... a été cité comme potentiel responsable de ces agissements. Si la commune affirme devant le tribunal que le directeur des ressources humaines et le directeur général des services qui ont reçu M. B... n'ont jamais évoqué la question avec lui, et en réponse le 7 janvier 2021 à la demande de communication de documents administratifs formulée par l'intéressé, qu'il n'existe aucun rapport relatif à cette enquête, elle ne livre aucune explication à la circonstance, justifiée par le requérant en produisant ses bulletins de paie pour les mois de mars à octobre 2017, qu'au cours de cette période, jusqu'à la fin de son contrat, il a été mis à la disposition de la direction des ressources humaines. Dans ces conditions, l'affirmation de M. B... selon laquelle dès le mois de mars 2017, à la suite de l'enquête, les services de la commune lui ont demandé de ne pas se rendre sur son lieu de travail et de demeurer à son domicile, tout en maintenant sa rémunération à taux plein, doit être regardée comme suffisamment crédible. L'ensemble de ces circonstances permet de considérer qu'en décidant de ne pas renouveler le contrat de M. B... au-delà du
6 octobre 2017, alors que celui-ci, engagé depuis le 2 juin 2014 pour remplacer un fonctionnaire titulaire en congé de maladie pour accident de service depuis le 7 juillet 2014, s'est vu confier le 1er juin 2016 des missions supplémentaires de chargé de mission qualité auprès du directeur du pôle propreté urbaine et logistique, le maire de la commune, qui n'a d'ailleurs pas motivé sa décision, s'est en réalité fondé sur des considérations relatives au comportement du requérant susceptibles de justifier une sanction disciplinaire.
Sur la légalité de la décision litigieuse
9. Un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie pas d'un droit au renouvellement de son contrat. Toutefois, l'administration ne peut légalement décider, au terme de son contrat, de ne pas le renouveler que pour un motif tiré de l'intérêt du service. Un tel motif s'apprécie au regard des besoins du service ou de considérations tenant à la personne de l'agent. Dès lors qu'elles sont de nature à caractériser un intérêt du service justifiant le non renouvellement du contrat, la circonstance que des considérations relatives à la personne de l'agent soient par ailleurs susceptibles de justifier une sanction disciplinaire ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce qu'une décision de non renouvellement du contrat soit légalement prise, pourvu que l'intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations.
10. Ainsi qu'il a été dit au point 9, avant de prendre la décision en litige pour des motifs disciplinaires, le maire de la commune d'Ajaccio aurait dû mettre M. B... à même de faire valoir ses observations. Il est constant que, évincé du service depuis le mois de mars 2017 jusqu'à la fin de son contrat, M B... n'a pu présenter ses observations sur les motifs qui ont présidé au non-renouvellement de son engagement. M. B..., qui a été privé effectivement d'une garantie, est donc fondé à demander pour ce motif l'annulation de la décision du
6 octobre 2017 et du rejet tacite de son recours gracieux, ainsi que celle du jugement attaqué, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête.
Sur les frais du litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la commune et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement des mêmes dispositions en mettant à la charge de la commune la somme de
2 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : La décision en date du 6 octobre 2017 par laquelle le maire de la commune d'Ajaccio n'a pas renouvelé le contrat à durée déterminée de M. B..., ainsi que le rejet tacite de son recours gracieux, et le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 novembre 2019, sont annulés.
Article 2 : La commune d'Ajaccio versera à M. B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Ajaccio présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune d'Ajaccio.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.
N° 20MA001602