Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 novembre 2019, le préfet du Var demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 18 octobre 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal.
Il soutient que :
- l'épouse de M. E... résidait en France au moment de la demande de regroupement familial formée par son époux ; ce motif suffit, en application de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour justifier le refus à la demande de M. E... ;
- M. E... ne justifiait pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille et ne remplissait donc pas les conditions prévues par le 1° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour que le regroupement familial lui soit octroyé ;
- le refus du regroupement familial opposé à M. E..., dont les revenus sont insuffisants et qui n'a demandé le regroupement que plusieurs années après son mariage et la naissance de son enfant, ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la circonstance que l'épouse de M. E... a pris des cours de français et s'investit dans la scolarité de son fils, dont les résultats scolaires, sont bons ne suffit pas pour ouvrir droit au regroupement familial ;
- la décision de refus d'autorisation de regroupement familial ne porte pas atteinte à l'unité de la cellule familiale dès lors qu'elle n'a pas pour effet d'éloigner Mme E... du territoire français ou d'empêcher la poursuite de la scolarité de leur fils en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2020, M. E..., représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet du Var ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H...,
- et les observations de Me G..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Var relève appel du jugement du 18 octobre 2019, par lequel le tribunal administratif de Toulon, sur la demande de M. E..., de nationalité tunisienne, a annulé sa décision du 14 septembre 2017 rejetant sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse Mme D... C... et de son fils B... A... et la décision du 19 décembre 2017 du ministre de l'intérieur, lui a enjoint de faire droit à la demande de regroupement familial dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et à mis à sa charge une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande même dans le cas où l'étranger demandeur du regroupement ne justifierait pas remplir l'une des conditions requises tenant aux ressources, au logement ou à la présence anticipée d'un membre de la famille sur le territoire français, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. E... réside en France depuis 1980 et bénéficiait, à la date des décisions contestées, d'un certificat de résidence valable jusqu'en 2026. Il a épousé une compatriote en Tunisie le 2 avril 2000 et le couple a eu un enfant, B... A..., né le 15 janvier 2002. L'épouse et le fils du requérant sont entrés sur le territoire français le 19 mars 2015 et à la date des décisions attaquées, ils résidaient donc en France depuis deux ans et demi. Il ressort des pièces produites que depuis son arrivée en France, Ahmed A... a poursuivi sa scolarité avec succès et que Mme D... C... a suivi des cours de français. Eu égard à sa situation familiale et son ancrage sur le territoire français, M. E... est fondé à soutenir, alors même que son épouse et son fils étaient présents sur le territoire français et que les décisions contestées ne constituent pas une mesure d'éloignement, qu'en rejetant sa demande de regroupement familial, le préfet du Var et le ministre de l'intérieur ont porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Var n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions du 14 septembre 2017 et du 19 décembre 2017 et lui a enjoint de faire droit à la demande de regroupement familial de M. E....
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Var est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme H..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
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N° 19MA04985
nc