Par un jugement n° 1801937 du 15 mars 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. A....
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 31 mars 2018 sous le n° 18MA01460, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 mars 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été méconnu ;
- la décision de transfert aux autorités italiennes méconnaît les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision de transfert aux autorités italiennes est contraire au règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dès lors qu'il ne pourra bénéficier de ce règlement ;
- la décision de transfert aux autorités italiennes a été prise en méconnaissance de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- il fait preuve d'une volonté d'intégration et est dépourvu de famille dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée le 17 avril 2018 sous le n° 18MA01875, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du 15 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 mars 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé son transfert aux autorités italiennes ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de réexaminer sa situation au regard de sa demande d'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 500 euros à verser à son conseil.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens d'annulation sur lesquels est fondée sa requête au fond présentent un caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 25 mai 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mastrantuono a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par jugement du 15 mars 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. A..., de nationalité sénégalaise, né en 1998, tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 mars 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé son transfert aux autorités italiennes. Par une requête enregistrée sous le n° 18MA01460, M. A... relève appel de ce jugement et par une requête enregistrée sous le n° 18MA01875, il demande qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 18MA01460 et 18MA01875 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 18MA01460 :
En ce qui concerne la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
3. Par une décision du 25 mai 2018, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont ainsi devenues sans objet.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 12 mars 2018 :
4. En premier lieu, les conditions de notification d'une décision administrative n'affectent pas sa légalité et n'ont d'incidence que sur les voies et délais de recours contentieux. Le moyen tiré de ce que l'arrêté préfectoral du 12 mars 2018 méconnaîtrait les dispositions de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui est relatif aux modalités de notification de la décision de transfert, en ce qu'il ne comporterait pas la mention des voies et délais de recours, est sans incidence sur la légalité de cet arrêté de transfert, que M. A... a d'ailleurs contesté dans les délais requis et avec l'assistance d'un avocat.
5. En deuxième lieu, le 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que " Lorsqu'il est établi (...) que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale (...) ".
6. Il est constant que M. A... a franchi irrégulièrement la frontière italienne en venant d'un Etat tiers au mois de mai 2017. La seule circonstance qu'il a fait pour ce motif en Italie l'objet d'une mesure d'expulsion et de reconduite à la frontière prise par le préfet de la province de Milan le 24 mai 2017 n'est pas de nature à démontrer que les autorités italiennes auraient refusé d'enregistrer sa demande d'asile. M. A... n'est par conséquent pas fondé à soutenir que l'Italie ne pouvait être regardée comme l'Etat responsable de l'examen de sa demande protection internationale au sens de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013.
7. En troisième lieu, l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ".
8. Si M. A... fait état de la situation des autorités italiennes, confrontées à un afflux de migrants, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, l'appelant, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, ne démontre pas que les autorités italiennes, qui ont d'ailleurs accepté sa prise en charge, auraient précédemment refusé d'enregistrer sa demande d'asile, n'établit pas davantage, par la seule production d'articles de presse et d'états statistiques établis par la Cour européenne des droits de l'homme, l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été prise en méconnaissance du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté pour les mêmes motifs.
9. En quatrième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que la décision de transfert aux autorités italiennes serait contraire au règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, en ce que M. A... ne pourrait " bénéficier " de ce règlement, doit en tout état de cause être écarté.
10. En dernier lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
11. A supposer que M. A..., en se prévalant de sa volonté d'intégration et en faisant valoir qu'il est dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, ait entendu soutenir que la décision de transfert porterait une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, célibataire et sans charges de famille en France, n'est entré en France que quelques mois avant la date de la décision en litige, et ne produit aucun élément de nature à démontrer la volonté d'insertion alléguée. Le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions accessoires aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur la requête n° 18MA01875 :
13. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête de M. A... n° 18MA01460 tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a par suite plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au conseil de M. A... de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18MA01460 tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18MA01875 tendant au sursis à l'exécution du jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 16 octobre 2018, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 novembre 2018.
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N° 18MA01460, 18MA01875