Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 août 2014, 25 novembre 2014 et 28 décembre 2015, MmeB..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 juin 2014 ;
2°) à titre principal, de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités correspondantes ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener de 285 865 euros à 30 200 euros le rehaussement de ses revenus fonciers imposables ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 906,80 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la procédure d'imposition :
- elle a été privée de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires sur une question de fait ;
- les principes de la contradiction et de loyauté des débats ont été méconnus dès lors que les actes de procédure, qui auraient dû être notifiés à la SCI Domaine de Ferrals et à chacun de ses associés, ne l'ont été qu'à la SCI ;
- les rectifications proposées, en raison des erreurs commises quant à la date de fin de bail et aux données chiffrées auxquelles l'administration s'est référée, sont insuffisamment motivées ;
Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :
- le congé donné par le preneur au bailleur n'ayant pris effet que le 31 décembre 2011, elle ne pouvait être imposée au titre de l'année 2010 ;
- les travaux réalisés par la société Jason Informatique, dès lors qu'ils n'incombaient pas de droit à la SCI du Domaine des Ferrals, ne pouvaient être regardés comme un complément de loyer ;
- la valeur à retenir pour les travaux et aménagements réalisés par la société Jason Informatique est la valeur vénale, soit 30 200 euros, déterminée par un expert, et non la valeur comptable résiduelle retenue par l'administration.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 décembre 2014, le ministre de finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chevalier-Aubert,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant que la SCI Domaine de Ferrals, dont Mme B...et son époux M. C... étaient les gérants et uniques associés, a donné en location un ensemble immobilier situé à Saint-Papoul (Aude), à la société Jason Informatique, par un bail commercial conclu le 16 juillet 2007 ; qu'à la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration a rehaussé les revenus fonciers imposables de Mme B...et de son époux, au titre de l'année 2010, à hauteur de la somme de 285 865 euros, correspondant à la valeur comptable nette des constructions et aménagements réalisés par la société Jason Informatique au cours de l'exécution du bail commercial ; que Mme B...relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 26 juin 2014 qui a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été ainsi assujettie au titre de l'année 2010 ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : " I.-La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; 2° Sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, à l'exception de la qualification des dépenses de recherche mentionnées au II de l'article 244 quater B du code général des impôts ; 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l'article 257 du même code. II.-Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est pas compétente pour statuer en matière de revenus fonciers ; que le présent litige concerne l'imposition, dans cette catégorie de revenus, de la valeur des travaux et aménagements réalisés par la société Jason Informatique, que l'administration a regardé comme constituant un complément de loyer perçu par la SCI Domaine de Ferrals ; qu'ainsi, alors même que le différend porte sur les modalités d'évaluation de ces travaux et aménagements, la requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que l'administration, en rayant sur la réponse qu'elle a faite le 11 mai 2012 aux observations du contribuable la mention relative à la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, aurait entaché d'irrégularité la procédure d'imposition ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations ; que la proposition de rectification du 7 décembre 2011 adressée à la SCI du Domaine de Ferrals comportait toutes les indications, notamment en ce qui concerne la date du 31 décembre 2010 à laquelle les constructions et aménagements réalisés par la société Jason Informatique ont été regardés par le service comme ayant été mis à la disposition du bailleur à la suite de la résiliation du bail, permettant au contribuable de contester le bien-fondé des rehaussements en litige ; qu'ainsi, alors que la régularité de cette proposition de rectification ne dépend pas du bien-fondé des motifs retenus par le service, le moyen tiré de ce qu'elle serait entachée d'un défaut de motivation ne peut être accueilli ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 53 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même (...) " ; qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles L. 57 et L. 53 du livre des procédures fiscales qu'en ce qui concerne les sociétés de personnes et groupements assimilés régis par l'article 8 du code général des impôts, la procédure contradictoire de rectification de l'imposition doit être suivie entre la société et l'administration fiscale et non entre cette dernière et chacun des associés ; qu'en revanche, l'administration ne peut légalement mettre des suppléments d'imposition à la charge personnelle des associés sans leur avoir notifié, dans les conditions prévues à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, les corrections apportées aux déclarations qu'ils ont eux-mêmes souscrites, en motivant cette notification au moins par une référence aux rehaussements apportés aux bénéfices sociaux de la société et par l'indication de la quote-part de ces bénéfices à raison de laquelle les intéressés seront imposés ; que, toutefois, dans le cas d'une société civile immobilière, dont les deux seuls gérants associés sont également les seuls membres du foyer fiscal assujetti aux suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales à raison du rehaussement des bénéfices fonciers déclarés par cette société, l'administration n'a pas à réitérer à leur égard la notification de la proposition suffisamment motivée, non plus que la notification des actes subséquents de la procédure, lorsque l'ensemble de ces actes a été régulièrement adressé à ladite société ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de ce que l'administration, en n'adressant qu'une seule proposition de rectification à la SCI Domaine de Ferrals, prise en la personne de M. et MmeC..., aurait méconnu le principe du contradictoire et aurait manqué à l'obligation de loyauté ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
6. Considérant qu'aux termes de l'article 29 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 33 ter et 33 quater, le revenu brut des immeubles ou parties d'immeubles donnés en location, est constitué par le montant des recettes brutes perçues par le propriétaire, augmenté du montant des dépenses incombant normalement à ce dernier et mises par les conventions à la charge des locataires. Les subventions et indemnités destinées à financer des charges déductibles sont comprises dans le revenu brut. Il n'est pas tenu compte des sommes versées par les locataires au titre des charges leur incombant. (...) " ; que lorsqu'un contrat de bail prévoit, en faveur du bailleur, la remise gratuite en fin de bail des aménagements ou constructions réalisés par le preneur, la valeur de cet avantage constitue, pour le bailleur, un complément de loyer ayant le caractère d'un revenu foncier imposable au titre de l'année au cours de laquelle le bail arrive à expiration ou fait l'objet d'une résiliation avant l'arrivée du terme ;
7. Considérant que le bail commercial conclu le 16 juillet 2007 entre la SCI du Domaine de Ferrals et la SCI Jason Informatique portait sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2017 ; que si le directeur général de la société Jason Informatique a fait parvenir à la SCI du Domaine de Ferrals, par acte d'huissier, une lettre datée du 18 juin 2010 aux termes de laquelle le preneur indique mettre fin à la location au 31 décembre 2011, il est constant que par une lettre du 1er juillet 2010, remise en mains propres à M. C... le 5 juillet suivant, il a indiqué que l'acte d'huissier comportait une erreur de typographie et qu'il entendait mettre fin à la location pour le 31 décembre 2010 ; que si le bail du 16 juillet 2007 prévoyait que sa résiliation n'était possible qu'à l'expiration de l'une des deux premières périodes triennales, et par congé donné six mois à l'avance par acte extrajudiciaire, il ne résulte pas de l'instruction que la SCI Domaine de Ferrals se serait opposée à la cessation du bail à la date du 31 décembre 2010, alors qu'une résiliation amiable n'est soumise à aucune condition de forme ; que, dès lors, Mme B...n'est pas fondée à soutenir que, du fait que la dénonciation du bail ne serait valablement intervenue que le 31 décembre 2011, l'administration ne pouvait légalement imposer les revenus fonciers en litige au titre de l'année 2010 ;
8. Considérant qu'il est stipulé, dans la partie " charges et conditions " du bail en cause, que la société preneuse doit réaliser des travaux d'aménagement du rez-de-chaussée et du parking avant son entrée dans les lieux et que le coût de ces travaux, estimé à 220 000 euros hors taxes, sera réglé par la société Jason Informatique mais viendra en déduction des loyers dont elle est redevable à concurrence des sommes réglées au titre des travaux ; qu'il n'est pas contesté que ces travaux d'aménagements ont été rétrocédés pour une valeur nulle ; qu'en se prévalant de la seule circonstance que les constructions et aménagements réalisés par la société Jason Informatique n'étaient pas nécessaires à une occupation normale mais ont permis de mettre les locaux en adéquation et en conformité avec des contraintes de sécurité, de contrôle et de surveillance inhérentes à l'activité de cette société, Mme B...n'établit pas que les travaux dont il s'agit n'entreraient pas dans les prévisions du contrat de location ; qu'ainsi la remise gratuite, qui n'est pas contestée, à la SCI Domaine des Ferrals en fin de bail des aménagements ou constructions réalisés par le preneur, constitue, pour cette société, un complément de loyer ayant le caractère d'un revenu foncier imposable ;
9. Considérant que l'administration a réintégré dans les revenus fonciers de la SCI du Domaine de Ferrals la valeur résiduelle, inscrite à l'actif du bilan de la société Jason Informatique, des constructions et aménagements réalisés par cette société, soit la somme de 285 865 euros ; que le revenu foncier résultant pour le bailleur du retour de ces constructions et aménagements correspond à l'accroissement de la valeur vénale de l'ensemble immobilier donné en location ; que MmeB..., pour contester l'évaluation de son bien après travaux telle qu'elle a été retenue par l'administration, se prévaut d'un rapport d'expertise établi le 9 septembre 2014 par un ingénieur-expert assermenté, complété par un document du 11 février 2015, qui conclut que la valeur de l'ensemble immobilier en cause, qui est un bâti agricole situé dans une zone rurale, s'élève à 71 000 euros après travaux et évalue à 30 200 euros la plus-value apportée par les constructions et aménagements en litige, en précisant que cette dernière n'a pas varié entre 2010 et 2012 ; que l'administration, qui ne pouvait, pour évaluer la valeur réelle de l'avantage résultant du retour gratuit au bailleur des ces constructions et aménagements, se référer à leur seule valeur comptable, ne démontre pas que l'évaluation proposée par l'expert serait erronée en faisant valoir qu'elle porte sur l'année 2012 et en soutenant que la valeur du bien avant travaux était surestimée ; qu'il y a donc lieu de retenir cette évaluation ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...est seulement fondée à demander une réduction de ses bases d'imposition à hauteur de la somme de 255 665 euros, résultant de la prise en compte d'un complément de loyer de 30 200 euros ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Mme B...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
D E C I D E :
Article 1er : La base d'imposition à l'impôt sur le revenu assigné à Mme B...dans la catégorie des revenus fonciers au titre de l'année 2010 est réduite à hauteur de la somme de 255 665 euros.
Article 2 : Mme B...est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales, ainsi que des pénalités y afférentes, correspondant à la réduction définie par l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1300989 du 26 juin 2014 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de Mme B...est rejeté.
Article 5 : La somme de 2 000 euros est mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., veuveC..., et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2016, où siégeaient :
- M. Cherrier, président,
- Mme Chevalier-Aubert, président assesseur,
- Mme Boyer, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2016.
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N° 14MA03498