Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 août 2020, la commune de Beaucaire, représentée par Me Frölich, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de rejeter la demande présentée par la ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen devant le tribunal administratif de Nîmes ;
3°) de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'installation de cette crèche ne méconnaît pas l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 car elle présente un caractère culturel, artistique ou festif ;
- La commune de Beaucaire est située en région provençale.
La requête a été communiquée à la ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 1er ;
- la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Beaucaire fait appel du jugement du 25 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes, saisi par la ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, a annulé la décision de son maire portant sur l'installation d'une crèche de la nativité dans le hall de l'hôtel de ville au cours du mois de décembre 2017.
2. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d'une part, d'assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d'autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l'égard des cultes, en particulier en n'en reconnaissant ni n'en subventionnant aucun. Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " et, aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. " Pour la mise en œuvre de ces principes, l'article 28 de cette même loi précise que : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d'apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d'exposition. En outre, en prévoyant que l'interdiction qu'il a édictée ne s'appliquerait que pour l'avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l'entrée en vigueur de la loi.
3. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année.
4. Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public.
5. Dans l'enceinte des bâtiments publics, sièges d'une collectivité publique ou d'un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences qui découlent du principe de neutralité des personnes publiques.
6. A l'inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d'année notamment sur la voie publique, l'installation à cette occasion et durant cette période d'une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu'elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse.
7. Au cas présent, le maire de Beaucaire a pris la décision d'installer une crèche de la nativité dans le hall d'accueil de l'hôtel de ville de la commune au cours du mois de décembre 2017. Ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Nîmes, cette crèche est distincte de celle présente dans un autre bâtiment public dans le cadre de l'exposition " Les Santonales " organisée par l'association " Renaissance du vieux Beaucaire " depuis 2005. Elle ne se rattache donc pas à cette manifestation. Il ressort des pièces du dossier que l'installation de la crèche en litige dans le hall de l'hôtel de ville, qui a débuté en 2014, ne procède pas d'une tradition locale, mais d'un mouvement revendicatif initié par plusieurs collectivités territoriales. Le fait que la crèche installée ait le caractère d'une crèche provençale - car elle représenterait, selon la commune, des " scènes du Moyen-Âge provençal " - ne suffit pas en lui-même pour lui conférer un caractère culturel ou artistique. De même, l'organisation d'un apéritif convivial composé de produits de terroir à l'occasion de l'inauguration de la crèche ne suffit pas pour lui conférer un caractère festif. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Nîmes, la crèche en litige ne remplit pas les critères permettant de déroger à l'interdiction d'une telle installation au siège d'une collectivité publique.
8. En outre, s'il est loisible à la commune de Beaucaire, siège historique d'une sénéchaussée qui ne relevait pas de l'ancien parlement de Provence, de se référer aux traditions provençales, cette circonstance ne la dispensait pas de respecter les conditions légales examinées ci-dessus, qui sont appréciées au regard des caractéristiques particulières de la crèche en question.
9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Beaucaire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision de son maire.
10. Les conclusions présentées par la commune de Beaucaire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Beaucaire est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Beaucaire et à la ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2021.
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No 20MA02679