Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2017, sous le n° 17MA03444 et un mémoire ampliatif enregistré le 27 novembre 2017, M. B..., représenté par la SCP Spinosi et Sureau, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mai 2017 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler cette décision du 11 décembre 2014 de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu à la suite d'une procédure irrégulière, de ce que tous les mémoires échangés entre les parties n'auraient pas été régulièrement notifiés ;
- il a omis de statuer sur les moyens tirés de ce que la décision est entachée d'erreur de qualification juridique, car les éléments invoqués ne sont pas de nature à justifier le maintien de l'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, de ce que la décision est entachée d'erreur de fait, car les motifs sur lesquels elle se fonde sont basés sur des faits erronés, et de ce que la décision méconnaît son droit à réinsertion sociale ;
- la commission des détenus particulièrement signalés était irrégulièrement composée et n'a pas statué en toute connaissance de cause ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit, dès lors que les motifs invoqués par l'administration sont infondés et insusceptibles de justifier le maintien de son inscription au répertoire des DPS ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît son droit à réinsertion sociale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 8 ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice NOR : JUSD1236970C du 15 octobre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marcovici,
- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public.
Une note en délibéré présentée par la garde des sceaux, ministre de la justice a été enregistrée le 7 décembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., écroué depuis le 5 juillet 2003, est détenu à la maison centrale d'Arles pour l'exécution d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée par la cour d'assises spéciale de Paris et dont la période de sûreté prendra fin le 4 juillet 2021. Depuis le 7 juillet 2003, il est inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés. M. B... relève appel du jugement n° 1501621 du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 décembre 2014, par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a maintenu son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. ".
3. À l'appui de sa demande, M. B... soutenait notamment que la décision du 11 décembre 2014 est entachée d'erreur de qualification juridique et d'erreur de fait, et méconnaît de même son droit à réinsertion sociale. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ces moyens, qui n'étaient pas inopérants. Par suite, son jugement doit être annulé et il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur les conclusions de M. B... par la voie de l'évocation.
Sur le fond :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. En premier lieu, la circulaire du 15 octobre 2012 prévoit la composition de la commission DPS qui comprend " le chef d'établissement pénitentiaire ou son représentant, qui préside ; le procureur de la République, ou son représentant ; le préfet ou son représentant, en cas de nécessité ; le directeur inter-régional des services pénitentiaires ou son représentant ; le délégué local du renseignement pénitentiaire ; le juge d'instruction, s'agissant des personnes prévenues ; le juge de l'application des peines, s'agissant des personnes condamnées ; le juge de l'application des peines de Paris en charge des condamnés pour affaires de terrorisme ainsi que le parquet de l'exécution des peines de Paris s'agissant des personnes détenues pour des faits de nature terroriste. ". Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
5. En l'espèce, d'une part, il ressort des pièces du dossier que l'ensemble des membres de la commission des DPS a donné son avis, par ailleurs unanime, sur le maintien de M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés, excepté le juge de l'application des peines compétent en matière de terrorisme. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette irrégularité ait exercé une influence sur le sens de la décision prise par le ministre de la justice, ni qu'elle ait privé l'intéressé d'une garantie, intéressé qui avait en outre été informé de l'avis de la commission locale et avait pu formuler, tout comme son avocat, des observations orales.
6. D'autre part, si l'instruction ministérielle du 15 octobre 2012 prévoit la composition de la commission DPS, la périodicité de ses réunions et la transmission de l'avis motivé rédigé par le chef de l'établissement, aucune de ces dispositions n'implique que cette commission statue au vu d'éléments ou de pièces déterminés. Au demeurant, à supposer même que des rapports issus de la procédure d'orientation pénale établis par la direction du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède ou les rapports du centre national d'évaluation, ne lui ait pas été communiqués, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance ait exercé une influence quelconque sur le sens de la décision, ni qu'elle ait privé le requérant d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de ce vice de procédure doit être écarté.
7. En second lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) imposent des sujétions (...). ". La circulaire du 15 octobre 2012 prévoit ainsi que les décisions de maintien au répertoire des DPS doivent être " (...) parfaitement motivées en fait et en droit (...) " et fait état des critères d'inscription et de maintien au répertoire des DPS, dont celui de l'appartenance à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, établie par la situation pénale ou par un signalement des magistrats, de la police ou de la gendarmerie.
8. En l'espèce, la décision de maintien de l'inscription de M. B... au répertoire des DPS vise l'article D. 276-1 du code de procédure pénale et la circulaire NOR JUS D 1236970C du 15 octobre 2012 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés. Elle précise également les considérations de fait qui la motivent, notamment que M. B... appartient à la mouvance terroriste corse, appartenance établie de par sa condamnation par la cour d'assises spéciale de Paris, qu'il est susceptible de disposer de soutiens extérieurs dans la perspective d'une tentative d'évasion, qu'il a, par le passé, manifesté une volonté certaine de se soustraire à l'action de la justice, que sa potentielle évasion aurait un fort retentissement médiatique et qu'enfin, elle causerait un grave trouble à l'ordre public. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
9. Aux termes de l'article 2 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées ". L'article 22 de la même loi prévoit que : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ". Enfin, l'article D. 276-1 du code de procédure pénale prévoit qu'" en vue de la mise en oeuvre des mesures de sécurité adaptées, le ministre de la justice décide de l'inscription et de la radiation des détenus au répertoire des détenus particulièrement signalés dans des conditions déterminées par instruction ministérielle. ".
10. En premier lieu, le pouvoir réglementaire est compétent pour édicter le régime applicable aux détenus particulièrement signalés, dont l'objectif est éventuellement de limiter les droits de certains détenus auxquels les personnels et autorités pénitentiaires ont été invités à prêter une attention particulière. Ces limites ne peuvent toutefois être opérées que dans le respect légal des conditions définies par le législateur, notamment aux articles 22 et suivants de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Aussi, malgré la décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014 du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale demeurent.légalement en vigueur du fait de l'intervention de la loi du 24 novembre 2009, qui a abrogé l'article 728 du code de procédure pénale, et est le fondement légal de l'article D. 276-1 Il suit de là que le moyen tiré du défaut de base législative de cet article ne peut qu'être écarté.
11. En second lieu, la circulaire du 15 octobre 2012, en application de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale et dans le respect des dispositions législatives, précise les conditions de surveillance des détenus particulièrement signalés. En conséquence, M. B... n'est fondé à soutenir ni que cette circulaire serait dépourvue de base légale ou entachée " d'incompétence négative ", ni que la décision contestée serait dépourvue de base légale ou que l'administration était tenue de laisser inappliquées les dispositions de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale.
12. Aux termes de l'article 1.1.1 de la circulaire ministérielle du 15 octobre 2012 : " Les critères d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d'évasion et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certaines personnes détenues. / Les personnes détenues susceptibles d'être inscrites au répertoire des DPS sont celles 1) appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, appartenance établie par la situation pénale ou par un signalement des magistrats, de la police ou de la gendarmerie ; ... 3) susceptibles de mobiliser les moyens logistiques extérieurs d'organisations criminelles nationales, internationales ou des mouvances terroristes ; 4) dont l'évasion pourrait avoir un impact important sur l'ordre public en raison de leur personnalité et / ou des faits pour lesquels elles sont écrouées ; 5) susceptibles d'actes de grandes violences, ou ayant commis des atteintes graves à la vie d'autrui, des viols ou actes de torture et de barbarie ou des prises d'otage en établissement pénitentiaire. ".
13. En troisième lieu, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, la décision du 11 décembre 2014 se fonde sur l'appartenance de M. B... à la mouvance terroriste corse, l'existence potentielle de soutiens extérieurs dans l'hypothèse d'une évasion du fait de cette affiliation terroriste, sa volonté manifeste de se soustraire à la justice par le passé ou encore le retentissement et l'impact sur l'ordre public d'une telle évasion. Par conséquent, cette décision n'est pas entachée d'erreur de droit dès lors que le motif tiré de ce que l'évasion de M. B... pourrait avoir un fort retentissement médiatique n'est ni erroné, ni déterminant. Ce moyen ne peut qu'être écarté.
14. En quatrième lieu, la décision de maintien au répertoire des DPS du 11 décembre 2014 se fonde sur différents motifs dont, comme mentionné précédemment, l'appartenance de M. B... à la mouvance terroriste corse et le risque qu'il puisse bénéficier de soutiens extérieurs dans le cadre d'une tentative d'évasion. Or, si ce dernier réfute sa participation à une activité terroriste et conteste donc entretenir des liens avec des membres d'un groupe terroriste, il s'avère que ces éléments sont établis par le dispositif de l'arrêt définitif du 20 juin 2011 de la cour d'appel de Paris, qui le condamne à des faits d'assassinat d'un préfet et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, et qui s'impose au juge administratif avec l'autorité de la chose jugée au pénal. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que, depuis son incarcération, l'intéressé aurait rompu tout lien avec la mouvance terroriste corse ou qu'il ne disposerait pas de soutiens extérieurs. De même, si, à la suite de l'évaluation de son potentiel de dangerosité, les services pénitentiaires ont conclu à " un risque faible ou ordinaire ", tout risque d'évasion n'est pas pour autant écarté et encore moins le grave trouble à l'ordre public qui en découlerait. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait entachée d'erreur de qualification juridique et d'erreur de fait doivent être écartés.
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi (...) ". La circulaire du 15 octobre 2012, relative au répertoire des DPS, prise sur le fondement de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale, encadre strictement et d'une manière suffisamment claire et prévisible, l'inscription ou le maintien d'un détenu sur ce répertoire par le ministre de la justice. Cette mesure doit être périodiquement réexaminée, et est prise sous le contrôle d'un juge et au regard de l'examen individuel de la situation du détenu, compte tenu du risque d'évasion, de l'atteinte à l'ordre public et des antécédents violents de l'intéressé. Aussi, si la circulaire prévoit des mesures de surveillance spécifiques applicables dans l'établissement pénitentiaire pour les détenus inscrits au répertoire des DPS, les personnels pénitentiaires qui prennent en charge ces détenus sont naturellement astreints à un examen de la nécessité et de la proportionnalité de chacune des mesures envisagées. Dans tous les cas, la mesure de maintien n'a pas pour effet de s'opposer aux visites de la famille. De la sorte, il résulte des pièces du dossier que, compte tenu des objectifs poursuivis, la décision attaquée ne porte pas atteinte de manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B.légalement en vigueur du fait de l'intervention de la loi du 24 novembre 2009, qui a abrogé l'article 728 du code de procédure pénale, et est le fondement légal de l'article D. 276-1
16. En dernier lieu, aux termes du paragraphe 3 de l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. (...) ". Les dispositions du code de procédure pénale, notamment son article 707, prévoient aussi l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée. L'inscription d'un détenu au répertoire des DPS rend applicable certaines dispositions spécifiques telles qu'énoncées au 1. du paragraphe 3 de la circulaire ministérielle du 15 octobre 2012. Toutefois, ce régime n'entraîne pas la privation d'accès aux activités qui sont les mêmes que celles proposées aux autres détenus et il ne ressort pas des pièces du dossier que les objectifs d'amendement et de reclassement social ou le droit à réinsertion sociale de M. B... soient menacés par la décision attaquée. Par voie de conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit à réinsertion sociale ne peut qu'être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice, ayant maintenu son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés.
Sur les frais liés au litige :
18. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées, l'Etat n'ayant pas la qualité de partie perdante à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 mai 2017 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la SCP Spinosi et Sureau et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2018.
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N° 17MA03444