Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 18 juillet et 27 septembre 2018, sous le n°18MA03312, M.B..., représenté par la SCP Spinosi et Sureau, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 mai 2018 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler cette décision du 19 juin 2015 du garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu à la suite d'une procédure irrégulière, en ce que tous les mémoires échangés entre les parties n'auraient pas été régulièrement notifiés ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la commission des détenus particulièrement signalés était irrégulièrement composée et n'a pas statué en toute connaissance de cause ;
- la décision est entachée d'erreur de fait, d'erreur d'appréciation, d'erreur de qualification juridique et d'erreur de droit ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le " statut " DPS de M. B...entraîne une altération de ses liens familiaux ;
- elle méconnaît son droit à réinsertion sociale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 8 ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice NOR : JUSD1236970C du 15 octobre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marcovici ;
- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...a été écroué le 5 juillet 2003. Il est détenu à la maison centrale d'Arles pour l'exécution d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée par la cour d'assises spéciale avec une période de sûreté qui prendra fin le 4 juillet 2021. Depuis le 7 juillet 2003, il est inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés. M. B...relève appel du jugement n°1506446 du 18 mai 2018 par lequel le tribunal de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 19 juin 2015, par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a maintenu son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que les mémoires échangés entre les parties aient été irrégulièrement communiqués, de sorte que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de première instance doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) imposent des sujétions (...). ". La circulaire du 15 octobre 2012 prévoit ainsi que les décisions de maintien au répertoire des DPS doivent être " (...) parfaitement motivées en fait et en droit (...) " et fait état des critères d'inscription et de maintien au répertoire des DPS : " Les critères d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d'évasion et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certaines personnes détenues. Les personnes détenues susceptibles d'être inscrites au répertoire des DPS sont celles : 1) appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, appartenance établie par la situation pénale ou par un signalement des magistrats, de la police ou de la gendarmerie ; (...) 3) susceptibles de mobiliser les moyens logistiques extérieurs d'organisations criminelles nationales, internationales ou des mouvances terroristes ; 4) dont l'évasion pourrait avoir un impact important sur l'ordre public en raison de leur personnalité et/ou des faits pour lesquels elles sont écrouées ; (...) ".
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée vise, entre autres, l'article D. 276-1 du code de procédure pénale, les articles 22 et 89 de la loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2009 et la circulaire NOR JUS D 1236970C du 15 octobre 2012 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés. Elle est motivée, en faits, par de nombreuses considérations, dont l'appartenance de M. B...à la mouvance terroriste corse, le fait qu'il puisse bénéficier de soutiens extérieurs en cas d'évasion, qu'il ait démontré par le passé sa volonté de se soustraire à la justice et enfin qu'une hypothétique évasion aurait un fort retentissement médiatique et causerait un trouble grave à l'ordre public. Par conséquent, la décision attaquée, comme l'ont décidé les premiers juges, est suffisamment motivée.
5. L'article 1.1.2.2 de la circulaire du 15 octobre 2012, qui prévoit la consultation de la commission DPS, précise sa composition comme suit : " Les membres de cette commission sont : le chef d'établissement pénitentiaire ou son représentant, qui préside ; le procureur de la République, ou son représentant ; le préfet ou son représentant, en cas de nécessité ; le directeur inter-régional des services pénitentiaires ou son représentant ; le délégué local du renseignement pénitentiaire ; le juge d'instruction, s'agissant des personnes prévenues ; le juge de l'application des peines, s'agissant des personnes condamnées ; le juge de l'application des peines de Paris en charge des condamnés pour affaires de terrorisme ainsi que le parquet de l'exécution des peines de Paris s'agissant des personnes détenues pour des faits de nature terroriste. ". Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlement, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que lors de sa séance du 17 mars 2015, la commission des DPS, composée du procureur de la République, du délégué local du renseignement pénitentiaire, du représentant de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal et du sous-préfet d'Arles, a émis à l'unanimité un avis favorable au maintien de l'inscription de M. B...au répertoire des DPS. Cependant, comme le soutient l'intéressé, le juge d'application des peines compétent et le directeur interrégional des services pénitentiaires n'ont pas formulé d'avis et il n'est pas établi qu'ils aient été régulièrement convoqués ou même invités à se prononcer sur l'opportunité de cette mesure. Toutefois, si la procédure de consultation de la commission des DPS s'avère effectivement irrégulière, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette irrégularité ait pu influencer le sens de la décision prise ou qu'elle ait privé l'intéressé d'une garantie. En outre, aucune disposition de la circulaire du 15 octobre 2012, ne prévoit que des documents spécifiques soient transmis aux membres de cette commission, et M. B...a par ailleurs pu, en présence de son conseil, présenter ses observations lors d'un débat contradictoire organisé par l'administration pénitentiaire le 13 avril 2015. Il s'ensuit que l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que les membres de cette commission ne se sont pas prononcés en connaissance de cause et que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de consultation de la commission DPS ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est motivée par l'appartenance de M. B...à la mouvance terroriste corse, démontrée notamment par sa condamnation par la cour d'assises spéciale de Paris, par le fait qu'il puisse disposer de soutiens extérieurs en cas d'évasion, par sa volonté de se soustraire à la justice telle qu'elle s'est manifestée dans le passé et enfin du fait de l'important retentissement médiatique et du grave trouble à l'ordre public que causerait son évasion. Ainsi, si l'intéressé conteste son appartenance à la mouvance terroriste corse, elle est pourtant établie au regard du dispositif de l'arrêt du 20 juin 2011 de la cour d'appel de Paris, qui s'impose au juge administratif avec l'autorité de la chose jugée au pénal. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B...ait rompu tout lien avec la mouvance terroriste corse ou ses membres, ni qu'il ne disposerait pas de soutiens extérieurs dans le cadre d'une évasion. Au surplus, si lors de l'évaluation de son potentiel de dangerosité, les services pénitentiaires ont conclu à " un risque faible ou ordinaire ", le " risque " d'évasion ne peut pour autant être écarté, tout comme le retentissement médiatique et le grave trouble à l'ordre public qui en résulterait.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi (...) ". La circulaire du 15 octobre 2012 prévoit l'inscription ou le maintien d'un détenu au répertoire des DPS à fin de la mise en oeuvre de mesures destinées à exercer une vigilance accrue quant à la surveillance de ces détenus. Cette mesure d'inscription ou de maintien est strictement encadrée. Elle doit être périodiquement réexaminée et est prise sous le contrôle d'un juge au regard de l'examen individuel de la situation du détenu compte tenu de ses antécédents violents, du risque d'évasion et de l'atteinte à l'ordre public. Ainsi, si la circulaire prévoit des mesures de surveillance spécifiques applicables dans l'établissement pénitentiaire pour les détenus inscrits au répertoire, elle n'a pas vocation à régir les visites familiales, ni à entraver les rapports entre le détenu et sa famille. En outre, si l'inscription au répertoire peut constituer un élément de nature à orienter le choix de l'établissement dans lequel le détenu est affecté, elle ne détermine pas le lieu géographique de détention. Enfin, le personnel pénitentiaire est tenu au respect des principes de nécessité et de proportionnalité dès lors qu'il envisage la mise en place d'une mesure particulière à l'encontre d'un détenu inscrit au répertoire. Il s'ensuit que la décision attaquée ne porte pas atteinte de manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B...eu égard aux objectifs poursuivis et que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
9. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 10 du pacte international sur les droits civiques et politiques : " Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. ". De même aux termes de l'article 707 du code de procédure pénale : " II. - Le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission de nouvelles infractions. Ce régime est adapté au fur et à mesure de l'exécution de la peine, en fonction de l'évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l'objet d'évaluations régulières. III. - Toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire, dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. (...) ". Enfin, aux termes de l'article D. 189 du code de procédurale pénale : " A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale. ".
10. En dernier lieu, si le régime applicable aux détenus inscrits au répertoire des DPS permet la mise en place de mesures de surveillance applicables dans l'établissement pénitentiaire dans certaines situations, les détenus particulièrement signalés peuvent avoir accès aux mêmes types d'activités que les autres personnes détenues. Dans ces conditions, la décision attaquée ne porte pas atteinte au droit à réinsertion sociale de M. B...tel qu'il est établi par les dispositions précitées et le moyen tiré de sa méconnaissance ne peut alors qu'être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du 19 juin 2015 de la garde des sceaux, ministre de la justice, ayant maintenu son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés.
Sur les frais liés au litige :
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées, l'Etat n'ayant pas la qualité de partie perdante à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M.B..., à la SCP Spinosi et Sureau et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2018.
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N° 18MA03312