Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 mars 2019, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 décembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de titre de séjour contesté est insuffisamment motivé ;
- le tribunal a estimé à tort que le défaut de visa de long séjour suffisait à fonder cette décision et qu'en conséquence, les moyens tirés des erreurs de fait, de droit et d'appréciation commises par le préfet ne pouvaient permettre d'en prononcer l'annulation ;
- l'arrêté contesté est entaché d'erreurs de fait quant à sa naissance et quant à son activité professionnelle ;
- il n'a été tenu aucun compte d'éléments essentiels de son dossier, concernant sa demande d'autorisation de travail et sa situation familiale ;
- en lui refusant le bénéfice d'une mesure de régularisation, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté critiqué porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale compte tenu de sa situation professionnelle et familiale.
La requête a été communiquée le 27 mars 2019 au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 19 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 10 octobre 2019.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme D... E..., rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 15 mars 1986, titulaire d'un titre de séjour italien, a sollicité en France un titre de séjour portant soit la mention " salarié ", soit la mention " vie privée et familiale " ou " visiteur ". Il relève appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 décembre 2017 qui lui a refusé la délivrance d'un tel titre de séjour, y compris à titre de mesure de régularisation exceptionnelle, et lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel, passé ce délai, il pourrait être renvoyé d'office.
Sur la légalité de l'arrêté contesté, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988 susvisé : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié''. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent code régit l'entrée et le séjour des étrangers en France métropolitaine (...). Ses dispositions s'appliquent sous réserve des conventions internationales. (...) ". L'article L. 313-2 de ce code dispose : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle (...) sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1 ". En vertu de l'article L. 313-14 de ce même code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...). ".
3. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
4. Pour refuser de délivrer à M. B... le titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988, le préfet des Alpes-Maritimes s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé n'a pas présenté le visa de long séjour prévu par les dispositions précitées de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors que l'accord franco-tunisien ne fait pas obstacle à l'application de ces dernières dispositions et que M. B... n'établit ni même n'allègue qu'il aurait présenté aux services préfectoraux le visa de long séjour requis à l'appui de sa demande d'admission au séjour en qualité de salarié, l'autorité préfectorale a pu légalement refuser de lui délivrer le titre de séjour sollicité sur ce fondement pour ce motif, sans entacher sa décision d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation. Toutefois, il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet des Alpes-Maritimes a ensuite examiné l'opportunité d'une mesure de régularisation à titre exceptionnel de la situation de M. B.... A cet égard, après avoir indiqué que l'intéressé bénéficiait " d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de peintre établie par la SARL SBS Urbania ", il a estimé qu'il ne pouvait prétendre à une telle mesure de régularisation dès lors qu'il occupait " depuis peu un emploi non caractérisé par des difficultés de recrutement ". Or, il est constant que M. B... a produit, à l'appui de sa demande d'admission au séjour, un contrat de travail en qualité de " demi-chef de partie " au sein du restaurant exploité par la société La Cantina, sans aucunement se prévaloir d'un contrat de peintre non plus que de quelconques perspectives professionnelles dans le domaine du bâtiment. Dans ces conditions, et dans la mesure où M. B... établit que l'offre de cuisinier était en ligne sur le site internet de pôle-emploi, attestant ainsi de la recherche effective par l'employeur, à la date de la décision contestée, d'une personne susceptible d'occuper cet emploi, il est fondé à soutenir que l'erreur relevée ci-dessus caractérise un défaut d'examen sérieux de sa situation.
5. L'annulation du refus de séjour implique nécessairement l'annulation des décisions subséquentes, prises sur son fondement, à savoir les décisions portant éloignement, fixant le délai de départ volontaire et fixant le pays de destination, contenues dans l'arrêté contesté.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 décembre 2017. Il y a lieu d'annuler ce jugement et cet arrêté en toutes ses dispositions.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".
8. Le présent arrêt implique seulement, eu égard au motif d'annulation retenu et alors qu'aucun des autres moyens invoqués par M. B... n'est susceptible d'entraîner la censure de l'arrêté en litige, que le préfet des Alpes-Maritimes réexamine la situation de M. B..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au profit de Me A..., conseil du requérant, sous réserve que cette dernière renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1801484 du tribunal administratif de Nice du 6 décembre 2018 et l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 novembre 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et à Me A....
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur près le tribunal de grande instance de Nice.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme D... E..., présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
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N° 19MA01339