Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 septembre 2019, M. E..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 29 mai 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Me B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la décision de refus de titre de séjour, laquelle a bien été édictée ;
- en l'éloignant, le préfet a fait une inexacte application du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît en outre les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête de M. E... a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. F... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entré pour la première fois en France le 25 septembre 2016, M. E..., né le 5 février 1982 et de nationalité albanaise, a sollicité l'octroi du statut de réfugié. L'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté cette demande par une décision du 17 août 2018 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 24 avril 2019. Par un arrêté du 29 mai 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a constaté le rejet de la demande d'asile du requérant par ces instances, refusé par voie de conséquence à celui-ci l'octroi de la carte de résident prévue par le 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et prescrit l'éloignement de l'intéressé.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. ".
3. D'une part, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code. Il est toutefois loisible au préfet d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement d'une autre disposition du code. Il lui est aussi possible, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient dès lors qu'aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d'un étranger en lui délivrant un titre de séjour, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle. En vertu du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la carte de résident est délivrée de plein droit, sauf menace pour l'ordre public et sous réserve de la régularité du séjour, à l'étranger reconnu réfugié en application du livre VII du code. Le 1° de l'article L. 313-13, pour sa part, prévoit que la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est, sauf menace pour l'ordre public, délivrée de plein droit à l'étranger qui s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-1 du code. Saisi d'une demande d'autorisation de séjour présentée uniquement au titre de l'asile ou de la protection subsidiaire, le préfet n'est pas tenu, ainsi qu'il a été dit au point 1, d'examiner d'office si le demandeur est susceptible de se voir délivrer une autorisation de séjour à un autre titre. Il est en revanche loisible au préfet de procéder à un tel examen.
4. D'autre part, indépendamment de l'énumération donnée par les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
5. En l'espèce, il ressort tant des pièces du dossier que de la rédaction de la décision attaquée, pour maladroite que soit la formulation de son article 1er, que le préfet des Bouches-du-Rhône s'est borné à vérifier, avant d'édicter l'obligation de quitter le territoire français contestée, que M. E..., qui n'a présenté aucune demande de titre de séjour sur un fondement autre que l'asile et n'avait pas davantage manifesté sa volonté que sa situation soit examinée à un autre titre, n'entrait pas dans les catégories d'étrangers susceptibles de se voir attribuer de plein droit un titre de séjour. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'une décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour aurait été prise par le préfet des Bouches-du-Rhône. Il s'ensuit que le premier juge n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en estimant n'être pas saisi d'une telle décision et en rejetant comme irrecevables les conclusions présentées contre celle-ci par M. E....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. E..., entré en France le 25 septembre 2016, ne résidait sur le territoire français que depuis moins de trois ans à la date de l'arrêté attaqué et, d'autre part, que son épouse, Mme A..., entrée en France en même temps que lui, ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire national après le rejet de sa demande d'asile par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, l'intéressée ayant d'ailleurs également fait l'objet, le même jour, d'une mesure d'éloignement. Par ailleurs, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la fille de M. E... et Mme A..., âgée de trois ans, était scolarisée à la date de la décision contestée. Dès lors, et en l'absence, en outre, de signe d'intégration de ce couple, M. E..., qui a vécu en Albanie jusqu'à l'âge de trente-quatre ans et y conserve des attaches privées et familiales, n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français attaquée aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que M. E... n'est pas au nombre des étrangers pouvant se voir attribuer de plein droit un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, c'est sans méconnaître ces dispositions que le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, les tribunaux des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
10. Il ressort des pièces du dossier que la fille de M. E..., âgée de trois ans ainsi qu'il vient d'être dit, n'est pas scolarisée et est de même nationalité que ses deux parents. L'arrêté attaqué n'a donc ni pour objet ni pour effet de la priver de la possibilité de suivre une scolarité ou de la séparer de ses parents. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à arguer de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
12. Si M. E... affirme craindre la menace d'une vengeance liée à un crime commis par un membre de sa famille, les pièces qu'il produit, constituées de coupures de presse, d'attestations émanant de l'association des missionnaires de la paix et de la réconciliation d'Albanie ainsi que de la mère et de la soeur du requérant, ne démontrent ni la réalité ni le caractère actuel des risques qu'il affirme encourir en cas de retour en Albanie. Il en va de même du jugement du tribunal du Shkodër du 5 juillet 2012 le condamnant à cinq ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants, qui ne permet pas, en lui-même, de présumer que l'intéressé serait exposé au risque de vengeance que feraient peser sur lui les délinquants qu'il aurait contribué à faire arrêter en s'infiltrant dans un réseau de trafic de stupéfiants pour le compte des services de police. Il s'ensuit que M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué aurait été pris en méconnaissance des dispositions et stipulations précitées.
13. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 29 mai 2019. Sa requête doit donc être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relatives à l'aide juridique s'opposent à ce que la somme réclamée par Me B... sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au ministre de l'intérieur et à Me B....
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme G... H..., présidente assesseure,
- M. F... D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
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N° 19MA04272