Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif enregistrés le 23 mars 2020 et le 10 juillet 2020, M. F..., représenté par Me H..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 mai 2019 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Me H... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé car il ne statue pas sur le moyen tiré de la violation de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la décision de refus de titre de séjour a été signée par une autorité incompétente faute de délégation de signature ;
- il est le père de deux enfants français et subvient à leurs besoins, de telle sorte que le préfet a violé les stipulations du 4° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le préfet a méconnu les dispositions de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;
- la décision de refus de séjour viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été signée par une autorité incompétente faute de délégation de signature ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
La requête de M. F... a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... C...,
- et les observations de Me H..., représentant M. F....
Considérant ce qui suit :
1. Entré pour la première fois en France en 2007 selon ses déclarations, M. F..., né le 6 juillet 1974 et de nationalité algérienne, a demandé le 11 juin 2018 l'octroi d'un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale. Le 6 mai 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté cette demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si les écritures de M. F... devant le tribunal mentionnaient de manière incidente les stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, elles ne peuvent être regardés comme ayant expressément soulevé le moyen tiré de leur violation. Il en résulte que les premiers juges n'avaient pas à répondre à ce moyen et que le moyen d'irrégularité du jugement soulevé sur ce point doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 10 septembre 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 13-2018-223, le préfet des Bouches-du-Rhône a donné délégation à M. B... E..., en sa qualité d'adjoint au chef de bureau de l'éloignement, du contentieux et de l'asile, pour signer les décisions énumérées aux articles 1er et 2 de cet arrêté, au nombre desquelles figurent les " refus de séjour, obligations de quitter le territoire, décisions relatives au délai de départ volontaire et décisions fixant le pays de destination ". Le moyen tiré de l'incompétence dont serait entaché l'acte attaqué manque dès lors en fait et doit être écarté.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les enfants de M. F... n'ont pas la nationalité française. Le moyen tiré de la violation des stipulations du 4° de
l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ne peut donc en tout état de cause être accueilli.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui .".
6. Si M. F... fait valoir qu'il réside en France de manière continue depuis 2007, les pièces qu'il produit pour établir ce fait sont constituées en majeure partie, jusqu'à l'année 2016, de relevés de compte ne mentionnant qu'un faible nombre d'opérations, de documents administratifs n'attestant d'une présence en France que pendant certaines périodes limitées et de diverses pièces de faible valeur probante telles que des factures. Il en résulte que le requérant n'établit pas le caractère continu de son séjour en France avant l'année 2016. Par ailleurs, si l'ancienne épouse de M. F... réside en France en compagnie de leurs deux enfants, âgés de sept et six ans, le requérant se borne à produire, outre quelques factures relatives à des achats supposément destinés à ses enfants mais aux mentions insuffisamment probantes à cet égard, des attestations émanant des directrices des écoles où sont scolarisés ces enfants, d'un de ses voisins et de la directrice du service d'éducation spéciale et de soins à domicile accueillant son fils, pièces qui sont toutes postérieures à la décision et ne permettent pas, eu égard à leurs termes, de considérer que M. F... participait effectivement à l'éducation et à l'entretien de ses enfants à la date de la décision attaquée et maintenait un lien affectif avec eux. Dans ces conditions, M. F..., qui a vécu en Algérie jusqu'à l'âge de trentetrois ans au moins et n'établit pas y être dépourvu de toute attache, n'est pas fondé à soutenir que la décision de refus de titre de séjour aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. / Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la commission mentionnée au titre IV précise les autres modalités d'application du présent article.". Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 312-3 de ce code : " Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret ". En vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article 7 du décret du 28 novembre 2018 : " Les circulaires et instructions signées avant cette date sont réputées abrogées au 1er mai 2019 si elles n'ont pas, à cette dernière date, été publiées sur les supports prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration.".
8. La circulaire ministérielle du 28 novembre 2012 ayant été publiée le 1er avril 2019 sur le site internet prévu par les dispositions de l'article R. 312-8 du code des relations entre le public et l'administration, M. F... peut se prévaloir de ses dispositions selon lesquelles " (...) Lorsqu'un ou plusieurs de leurs enfants sont scolarisés, la circonstance que les deux parents se trouvent en situation irrégulière peut ne pas faire obstacle à leur admission au séjour. / Il conviendra pour apprécier une demande émanant d'un ou des parents d'un enfant scolarisé en France, de prendre en considération les critères cumulatifs suivants : / - une vie familiale caractérisée par une installation durable du demandeur sur le territoire français qui ne pourra qu'exceptionnellement être inférieure à cinq ans ; / - une scolarisation en cours à la date du dépôt de la demande d'admission au séjour d'au moins un des enfants depuis au moins trois ans, y compris en école maternelle (...) vous pouvez en application de votre pouvoir général d'appréciation, décider d'admettre exceptionnellement au séjour ces ressortissants en vous inspirant des critères rappelés dans la présente circulaire. ".
9. Il résulte toutefois de ce que vient d'être dit au point 6, d'une part, que M. F... ne peut être regardé comme présentant une installation durable sur le territoire français et, d'autre part, qu'il n'entretenait que des liens limités avec ses enfants à la date d'intervention de la décision attaquée. Dès lors l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012, qui laissaient au demeurant un large pouvoir d'appréciation au préfet, auraient été méconnues.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 31 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, les tribunaux des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
11. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 6 ci-dessus qu'eu égard au caractère restreint des liens entre le requérant et ses enfants, tels qu'ils ressortent des pièces du dossier, M. F... n'est pas fondé à arguer de la violation de l'article 31 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que M. E... bénéficiait d'une délégation de signature l'autorisant à signer une obligation de quitter le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit donc être écarté.
13. En second lieu, à l'appui des moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, M. F... invoque les mêmes arguments qu'à l'encontre du refus de séjour. Ces moyens doivent donc être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
14. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision d'éloignement attaquée n'est pas entachée des illégalités que le requérant allègue. Dès lors, M. F... n'est pas fondé à invoquer son illégalité par voie d'exception à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui interdisant le retour sur le territoire français.
15. Aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
16. Ainsi qu'il a été ci-dessus, il ressort des pièces du dossier que M. F... résidait en France de manière habituelle depuis quatre ans environ à la date de la décision et n'y a tissé que des liens limités en dehors de ceux qui l'unissent à ses enfants, à l'entretien et à l'éducation desquels il n'établit toutefois pas contribuer de manière effective et importante. Par ailleurs, l'intéressé a été l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 22 janvier 2016 et a été condamné le 27 janvier 2016 par le tribunal correctionnel de Marseille à une peine de six mois d'emprisonnement pour des faits de reconnaissance d'enfant en vue de l'obtention d'un titre de séjour et d'obtention frauduleuse de document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation. Dans ces conditions, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le préfet des Bouches-du-Rhône a fait une inexacte application des dispositions précitées en lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 9 ci-dessus que M. F... n'établit pas qu'il participait de manière suivie et régulière, à la date de la décision attaquée, à l'éducation, à l'entretien et à la vie de ses enfants. Les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent dès lors être écartés.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
19. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. F..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique s'opposent à ce que la somme réclamée par Me H... sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F..., à Me H... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme G... I..., présidente assesseure,
- M. D... C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 novembre 2020.
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N° 20MA01402
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