Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2020, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 juin 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 23 août 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté a été signé par une autorité incompétente ;
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- le préfet a entaché sa décision d'un vice de procédure en s'abstenant de saisir la commission du titre de séjour eu égard à sa présence en France depuis plus de dix ans ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne l'admettant pas au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu les dispositions de l'article L. 313-11-7° code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences du refus de séjour contesté sur sa situation personnelle.
La requête a été communiquée le 23 septembre 2020 au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance en date du 17 avril 2020, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté le recours de Mme D... présenté le 23 octobre 2019 dirigé contre la décision du 6 septembre précédent par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille a rejeté sa demande d'aide juridictionnelle.
Par ordonnance du 4 janvier 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... Massé-Degois, rapporteure,
- et les observations de Me B..., représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante arménienne née le 22 juillet 1965, qui déclare être entrée pour la première fois en France le 14 septembre 2007 et y résider depuis cette date, a sollicité son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale le 23 novembre 2017. Elle relève appel du jugement du 25 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 23 août 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône ayant rejeté sa demande d'admission au séjour et l'obligeant à quitter le territoire dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...). ". L'article L. 313-14 du même code dispose : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...). ".
3. Mme D... soutient qu'elle résidait habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté et que le préfet des Bouches-du-Rhône, en conséquence, se devait de soumettre sa demande pour avis à la commission du titre de séjour. Les premiers juges ont estimé que les pièces produites au soutien de cette argumentation étaient insuffisantes pour démontrer la réalité et la continuité de son séjour sur le territoire national. Toutefois, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, Mme D... établit être entrée en France au cours du mois de septembre 2007 et justifie, par la production de nombreux documents, plus de 200 en l'occurrence, suffisamment probants pour la plupart d'entre eux, résider habituellement à Marseille depuis cette date. Parmi ces documents figurent notamment diverses pièces émanant de la caisse primaire d'assurance maladie, en particulier les relevés détaillés des versements ainsi que des attestations, et des services de l'aide médicale d'Etat couvrant la période de septembre 2007 à août 2018. Figurent également un nombre très important d'ordonnances de médecine de ville, de prescriptions médicales de praticiens exerçant dans le secteur hospitalier et divers documents d'ordre médical faisant état de soins reçus et d'examens dispensés en France et de délivrance de médicaments en pharmacie également en France couvrant la même période, de
même que des attestations de domiciliation administrative émanant de la Croix Rouge Française datée du 13 septembre 2007 et d'hébergement émanant de l'Association pour le Développement des Relations Intercommunautaires Méditerranéennes Habitat pour la période du 19 septembre 2007 au 3 novembre 2010 dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile, un contrat de location pour une durée de trois ans à compter du 1er décembre 2010, des quittances de loyer pour les années 2011 à 2018, des avis d'impositions des années 2009, 2011, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018 ainsi que des factures d'électricité et de gaz. Dès lors, eu égard à la cohérence de l'ensemble du dossier, Mme D... doit être regardée comme résidant depuis plus de dix ans en France à la date de l'arrêté contesté. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le fait valoir l'appelante, en omettant de saisir la commission du titre de séjour avant de prendre son arrêté.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Elle est, par suite, également fondée à demander l'annulation de ce jugement et de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 23 août 2018, en toutes ses dispositions.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Le présent arrêt, par lequel la Cour fait droit aux conclusions à fin d'annulation présentées par Mme D... n'implique pas, eu égard au motif d'annulation ci-dessus énoncé et alors qu'aucun des autres moyens invoqués, notamment au titre de la légalité interne, n'est susceptible d'entraîner la censure des décisions en litige, que l'administration prenne une nouvelle décision dans un sens déterminé. Par suite, les conclusions de la requérante tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour doivent être rejetées. Il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de statuer à nouveau sur la situation de l'intéressée, après consultation de la commission du titre de séjour, cela dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de sa décision, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901813 du tribunal administratif de Marseille du 25 juin 2019 et l'arrêté du 23 août 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme D..., après consultation de la commission du titre de séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente d'une nouvelle décision, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2021, où siégeaient :
- M. Guy Fédou président,
- Mme C... Massé-Degois, présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2021.
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N° 20MA02415
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