Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 décembre 2019, le 4 janvier 2021 et le 24 février 2021, la société Autocars Cortenais, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bastia en ce qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Haute-Corse, à lui verser la somme de 99 296,66 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière des procédures de passation de ces marchés ainsi que la somme de 5 000 euros en réparation des irrégularités commises au cours de ces procédures ;
3°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la collectivité de Corse en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'elle a établi la réalité de son préjudice, qui n'a pas été sérieusement contesté par la collectivité de Corse, de telle sorte que les premiers juges auraient dû condamner celle-ci à l'indemniser.
Par des mémoires en défense enregistrés le 11 décembre 2020 et le 5 février 2021, la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Haute-Corse, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident, d'annuler les articles 1er et 2 du jugement attaqué ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête de la société Autocars Cortenais ou, à défaut, de désigner un expert afin d'évaluer le préjudice réellement subi par la société Autocars Cortenais ;
3°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la société Autocars Cortenais en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le règlement de consultation du marché lui imposait seulement de vérifier que les candidats avaient effectué des démarches en vue d'affecter les véhicules nécessaires à l'exécution du marché le premier jour de l'exécution de celui-ci et que la société Restonica Voyage a fourni la preuve de ces démarches, de telle sorte que la procédure de passation n'est entachée d'aucune irrégularité ;
- la société Autocars Cortenais ne démontre pas la réalité du préjudice qu'elle dit avoir subi.
Par ordonnance du 25 février 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur,
- les conclusions de M. C... Thielé, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société Autocars Cortenais.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux actes d'engagement du 28 octobre 2016, le département de la Haute-Corse a confié à la société Restonica Voyage l'exécution des prestations de transport scolaire des lignes n° 60 (Pietroso-Vezzani-Corte) et n° 603 (Soveria-Omessa-Francardo) pour les années scolaires 2016-2017 à 2021-2022. Le tribunal administratif de Bastia, saisi par la société Autocars Cortenais, candidate évincée, a prononcé la résiliation de ces deux marchés six mois après la notification de son jugement et a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Autocars Cortenais.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la résiliation du marché :
2. Aux termes de l'article 4.1 du règlement de consultation du marché : " Le candidat produira (...) un projet de marché comprenant : / (...) - le descriptif des véhicules mis à disposition / (...) Il appartient au pouvoir adjudicateur de vérifier si les candidats au marché justifient, lors du dépôt de leur offre, qu'ils ont entrepris les démarches suffisantes pour disposer effectivement du matériel nécessaire au commencement de l'exécution du marché et d'éliminer les offres qui ne remplissent pas cette condition. Dans ce cadre : / - concernant le descriptif des véhicules mis à disposition : / Le candidat fournira pour chaque véhicule mis à disposition (et selon les cas), une carte d'immatriculation, un contrat de location ou tout autre moyen de preuve attestant de l'âge du véhicule et sa mise à disposition au premier jour d'exécution du contrat (...) ".
3. Contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Haute-Corse, les dispositions ci-dessus reproduites du règlement de consultation du marché faisaient obligation au pouvoir adjudicateur de s'assurer, non que les candidats avaient simplement engagé des démarches en vue de se procurer les véhicules nécessaires, mais que chacun d'entre eux apportait la preuve qu'il disposerait des véhicules nécessaires au premier jour de l'exécution du contrat. Or, les factures pro forma produites par la société Restonica Voyage, bien que libellées au nom de cette société, ne comportaient aucune mention susceptible d'établir que cette société était assurée de disposer des véhicules à la date à laquelle l'exécution des prestations débuterait. Il en résulte que l'offre de la société Restonica Voyage devait, en application des dispositions ci-dessus, être éliminée. La collectivité de Corse n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la procédure de passation des marchés en cause était, pour ce motif, irrégulière, et ont en conséquence décidé la résiliation de ces contrats. Ses conclusions d'appel incident doivent en conséquence être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de la société Autocars Cortenais :
4. En premier lieu, la société Autocars Cortenais n'est en tout état de cause pas fondée à demander la condamnation de la collectivité de Corse à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice imputable à l'irrégularité de la procédure, ce préjudice n'étant pas distinct de celui découlant de l'éviction irrégulière de la procédure de passation du marché.
5. En second lieu, il résulte de l'instruction que la société Autocars Cortenais s'est bornée, devant les premiers juges, à faire état d'un taux de marge bénéficiaire de 6 % et de la possibilité de réaliser un montant journalier de chiffre d'affaires de 262,80 euros pour le lot n° 3 et de 148 euros pour le lot n° 4, montants qui n'étaient pas susceptibles d'établir le montant de sa marge puisqu'ils correspondaient non à son bénéfice, mais au prix qu'elle entendait facturer au pouvoir adjudicateur. Cette société produit toutefois, devant la Cour, une attestation établie par un expert-comptable certifiant que sa marge avant amortissement des biens affectés au service se serait élevée à 115,19 euros hors taxes par jour en ce qui concerne le lot n° 3 et 38,52 euros hors taxes par jour en ce qui concerne le lot n° 4. Si cette attestation ne permet pas, par ses termes, de déterminer le montant précis de la marge nette qui aurait été réalisée par la requérante à l'occasion de l'exécution de ce marché et donc la consistance de ce préjudice, elle permet en revanche d'établir la réalité du préjudice subi par la société Autocars Cortenais.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Autocars Cortenais est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia en ce qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la collectivité de Corse à l'indemniser de la marge nette perdue du fait de son éviction irrégulière du marché.
7. En l'état de l'instruction, la Cour ne dispose pas des éléments lui permettant de déterminer la marge nette qu'aurait procurée l'exécution du marché à l'entreprise. Il convient, dès lors, avant de statuer sur la requête, d'ordonner une expertise aux fins, pour l'expert, d'éclairer la Cour sur ce point.
D É C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société Autocars Cortenais, procédé à une expertise contradictoire en présence de ladite société et de la collectivité de Corse, avec mission pour l'expert, qui sera désigné par la présidente de la Cour, de :
- prendre connaissance de l'entier dossier ;
- se faire communiquer l'intégralité des pièces de l'offre de la société Autocars Cortenais et les documents de préparation de cette offre ;
- se faire communiquer les pièces comptables permettant de déterminer le niveau des produits et charges habituels de cette entreprise ;
- déterminer, compte tenu des charges fixes et variables que cette société aurait supportées dans l'exécution du marché et, compte tenu des recettes procurées par celui-ci, la marge nette perdue par la société Autocars Cortenais du fait de l'absence d'exécution du marché par ses soins.
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : Le jugement n° 1700055 du tribunal administratif de Bastia du 3 octobre 2019 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions de la collectivité de Corse tendant à l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 3 octobre 2019 sont rejetées.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Autocars Cortenais, à la collectivité de Corse et à la société Restonica Voyage.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2021, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure,
- M. D... Grimaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 mars 2021.
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N° 19MA05384