Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 16 mars 2020, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 6 février 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire lui permettant de travailler dans le délai d'un mois à compter de la date de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la date de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement, qui considère que les documents versés aux débats sont insuffisants pour établir la durée de dix ans de son séjour en France sans identifier les périodes pour lesquelles les pièces justificatives ont été regardées comme peu probantes, est insuffisamment motivé ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français a été prise au terme d'une procédure irrégulière, la commission du titre de séjour n'ayant pas été saisie en méconnaissance des articles L. 313-14 et L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il réside en France depuis plus de dix ans ;
- les pièces versées à l'instance démontrant la réalité de son séjour en France depuis 2009, le préfet et le tribunal ne pouvaient pas considérer qu'il ne satisfaisait pas aux conditions requises pour prétendre à la régularisation de sa situation administrative et qu'il n'entrait dans aucune des catégories de plein droit définies aux articles 6 et 7 bis de l'accord franco-algérien et notamment le premier alinéa de l'article 6-1 ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnait les stipulations de l'article 6 alinéa 1-5 de l'accord franco-algérien ainsi que celle de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation tenant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire, qui se réfère au 3° de l'article L. 511-1 II 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans préciser si sa situation relève du a), du b), du c), du d), du e) ou du f), est insuffisamment motivée en droit ;
- elle est insuffisamment motivée en fait, le préfet n'ayant pas examiné sa situation personnelle au regard de ses attaches familiales en France ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifie d'un passeport en cours de validité et d'une adresse fixe depuis dix ans en France ;
- le refus d'accorder un délai de départ volontaire est illégal, par voie de conséquence de l'inconventionnalité de l'article L. 511-1 II 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de la directive du 16 décembre 2008 n° 2008/115/CE ;
- la décision d'interdiction de retour d'une durée d'un an méconnait l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est disproportionnée au regard de sa situation personnelle.
La requête a été communiquée le 27 mars 2020 au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 27 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... Massé-Degois, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entré pour la première fois en France le 16 novembre 2009, M. B..., ressortissant algérien né en 1983, relève appel du jugement n° 2000421 du 14 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'annulation de la décision du préfet des Bouches du Rhône, prise le 6 février 2020 à la suite de son interpellation par les services de police, lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français et lui interdisant un retour sur le territoire national pendant une durée d'un an.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération Suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...) II. _ L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, (...) ".
3. D'autre part, selon l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. _ L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) ".
4. Enfin, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : 1. Au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant ; (...) ".
5. L'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi ou un accord international prescrivent que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France le 16 novembre 2009, et non " 2019 " comme mentionné à la suite d'une erreur purement matérielle dans l'arrêté préfectoral attaqué, et qu'il justifie, par la production devant la Cour de nombreux documents, 176 en l'occurrence, suffisamment probants pour la plupart d'entre eux, résider habituellement en France depuis cette date et à la même adresse dans le 13ème arrondissement de Marseille et parmi lesquels figurent notamment diverses pièces émanant de la caisse primaire d'assurance maladie ou des services de l'aide médicale d'Etat, un nombre très important d'ordonnances de médecine de ville, de prescriptions médicales et divers documents émanant de praticiens hospitaliers faisant état de soins reçus en France et de délivrance de médicaments en pharmacie également en France, des factures de téléphonie mobile, des factures d'électricité et de gaz, des attestations et des courriers d'une compagnie d'assurances, un certificat de suivi d'atelier d'apprentissage du français et d'échanges socioculturels et une attestation d'une agente relevant du service du " Renseignement du public sur la législation du travail " de la Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l'Emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
7. Par suite, M. B..., qui établit remplir les conditions fixées aux stipulations du 1 de l'article 6 de l'accord franco-algérien citées au point 4 par la diversité et la nature des nombreux documents versés devant la Cour, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 14 février 2020 et de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 6 février 2020 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
9. Il y a lieu, eu égard au motif d'annulation énoncé ci-dessus et en l'absence de tout changement intervenu dans la situation de M. B..., d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2000421 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes du 14 février 2020 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 6 février 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " à M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2021, où siégeaient :
- M. Guy Fédou président,
- Mme D... Massé-Degois, présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2021.
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N° 20MA01685