Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 avril 2018, M.E..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 10 mai 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 400 euros à Me B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il réside en France de manière continue depuis 1991 et l'arrêté est à cet égard entaché d'erreur de fait ;
- le préfet était tenu de soumettre sa demande à la commission du titre de séjour dès lors qu'il réside en France depuis plus de dix ans ;
- en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a fait une inexacte application du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.
M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...Grimaud, rapporteur,
- et les observations de Me C..., substituant Me B..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Entré pour la première fois en France en 1991, M.E..., né le 18 janvier 1970 et de nationalité tunisienne, a demandé, le 10 novembre 2016, un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-14 du même code. Par un arrêté du 10 mai 2017, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté cette demande et ordonné l'éloignement de l'intéressé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, selon l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ".
3. Si M. E...affirme qu'il résidait en France de manière continue depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté, il se borne à produire, en ce qui concerne l'année 2011, des relevés de compte bancaire ne mentionnant aucune opération impliquant sa présence en France, deux lettres de relance l'avertissant du solde débiteur de ce compte, un bordereau de remise de chèques dont rien n'établit le dépôt effectif, ainsi qu'une déclaration d'embauche le concernant, datée du 30 décembre 2011. Ces pièces étant insuffisantes pour établir sa présence en France au cours de cette année, le requérant ne démontre pas que, à l'époque de l'examen de sa demande de titre de séjour, il résidait habituellement en France depuis dix ans. Il en résulte que le préfet n'a commis aucun vice de procédure en ne consultant pas la commission du titre de séjour.
4. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que, M. E...n'établissant pas la continuité de sa présence en France depuis 1991, il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée, qui relève l'absence de continuité de son séjour, est entachée d'erreur de fait.
5. En troisième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose quant à lui : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
6. M.E..., entré en France pour la première fois en 1991 à l'âge de vingt-et-un ans, a été employé en qualité d'ouvrier agricole saisonnier jusqu'en 2000 pour des périodes de quelques mois chaque année. S'il soutient s'être installé définitivement en France en 2000, il ressort des pièces du dossier que sa présence sur le territoire national n'est pas établie entre août 2008 et février 2009. Par ailleurs, s'il a de nouveau travaillé au cours de cette période, il n'a disposé que d'emplois de durée limitée, insuffisants pour révéler une insertion socioprofessionnelle significative. Si ses frères et soeurs résident régulièrement en France, il est célibataire sans enfant et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait noué des liens sociaux, amicaux ou affectifs intenses en France. Par ailleurs, il n'établit ni n'allègue être dépourvu de toute attache en Tunisie. Enfin, il n'est pas démontré que la blessure à la main dont il fait état, même si elle requiert des soins, non plus que son état dépressif commanderaient impérativement son maintien en France. Dans ces conditions, M. E...n'est pas fondé à soutenir que le préfet des Bouches-du-Rhône a porté à son droit à mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels l'arrêté a été pris. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doivent dès lors être écartés, ainsi que, pour les mêmes motifs, celui tiré de l'erreur manifeste commise dans l'appréciation des conséquences de cet arrêté sur la vie personnelle de l'intéressé.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par leur jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 10 mai 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. E... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique s'opposent à ce que la somme réclamée par Me B...sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., à Me B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2018, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme Marie-Pierre Steinmetz-Schies, président assesseur,
- M. D...Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
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N° 18MA01594