Procédures devant la Cour :
I° Sous le n° 18MA01280, par un recours enregistré le 22 mars 2018, la ministre du travail demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 février 2018 ;
2°) de rejeter intégralement la demande de la société Jubil Intérim Béziers présentée devant ce tribunal administratif.
Elle soutient que :
- au vu des constats réalisés sur les risques de chutes de hauteur, les mesures préconisées par l'injonction sont justifiées ;
- l'injonction en cause n'opère pas un transfert de responsabilité de la formation qui serait contraire aux dispositions de l'article L. 4154-2 du code du travail.
La requête a été communiquée à la société Jubil Intérim Béziers, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II° Sous le n° 18MA01627, par une requête enregistrée le 12 avril 2018, la société Jubil Intérim Béziers, représentée par la SELARL Cabinet Vincent le Faucheur, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 février 2018 qui rejette le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) d'annuler dans sa totalité la décision du 10 février 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique et celle explicite du 9 mai 2016 de la ministre chargée du travail rejetant ce même recours.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 10 février 2016 est entachée d'un vice d'incompétence en l'absence de délégation se signature régulièrement publiée ;
- les mesures de prévention, objet de l'injonction qui lui a été notifiée, ne relevaient pas de sa responsabilité mais de celle de l'entreprise dans laquelle les travailleurs temporaires étaient effectivement employés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Jubil Intérim Béziers ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2013-1172 du 18 décembre 2013 portant délégation de signature ;
- l'arrêté du 9 décembre 2010 relatif à l'attribution de ristournes sur la cotisation ou d'avances ou de subventions ou à l'imposition de cotisations supplémentaires en matière d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guidal,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail du Languedoc-Roussillon a adressé le 20 janvier 2016 à la société Jubil Intérim Béziers, entreprise de travail temporaire, une injonction lui prescrivant d'adopter sous deux mois diverses mesures afin de prévenir notamment les risques de chutes de hauteur. Le 26 janvier 2016, cette société a formé auprès du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Languedoc-Roussillon le recours préalable obligatoire prévu par les dispositions du 1° de l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale. Par décision du 10 février 2016, ce dernier a maintenu l'injonction de la caisse. Par décision du 9 mai 2016, la ministre chargée du travail, saisie d'un recours hiérarchique par la même société, a confirmé la décision du 10 février 2016 et a fixé le délai d'exécution de sa décision au 30 juin 2016. Par un jugement du 13 février 2018, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, par son article 1er, annulé la décision du 10 février 2016 en tant seulement qu'elle a adressé à la société Jubil Intérim Béziers une injonction d'élaborer et de mettre en oeuvre une procédure pour s'assurer que tous les intérimaires affectés à des postes à risques particuliers avaient reçu la ou les formations renforcées à la sécurité correspondantes ainsi que, dans cette mesure, celle du 9 mai 2016 de la ministre chargée du travail rejetant le recours hiérarchique formé contre cette décision, et, d'autre part, par son article 2, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société.
2. Sous le n° 18MA01280, la ministre chargée du travail relève appel de ce jugement en tant que par son article 1er il a annulé partiellement les décisions du 10 février 2016 et du 9 mai 2016. Sous le n° 18MA01627, la société Jubil Intérim Béziers relève appel du même jugement en tant que par son article 2 il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête de la société Jubil Intérim Béziers :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. La société Jubil Intérim Béziers soutient que le jugement par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation des décisions en litige aurait été rendu irrégulièrement, dès lors que, pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 10 février 2016, ce jugement se réfère à la publication d'un arrêté de délégation de signature du 25 janvier 2016 au recueil des actes administratifs de la préfecture, alors qu'aucune des parties ne mentionnait cette mesure de publicité dans ses écritures. Toutefois, dès lors que, comme le relève expressément le jugement attaqué, l'arrêté du 25 janvier 2016 avait été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, et eu égard au caractère réglementaire de cet acte, le tribunal administratif n'a pas méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure en se fondant sur l'existence de cette mesure de publication alors même que l'administration n'en faisait pas état dans ses écritures.
En ce qui concerne les conclusions d'annulation dirigées contre les décisions du 10 février 2016 et du 9 mai 2016 :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale : " La caisse régionale peut : / 1° inviter tout employeur à prendre toutes mesures justifiées de prévention, sauf recours de l'employeur à l'autorité compétente de l'Etat qui doit être saisie et doit se prononcer dans les délais qui sont fixés par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article R. 422-5 du même code : " L'autorité compétente pour l'exercice des pouvoirs prévus au 1° du premier alinéa de l'article L. 422-4 est le directeur régional du travail et de l'emploi ".
5. D'autre, part, aux termes de l'article R. 8122-2 du code du travail : " Pour l'exercice des compétences en matière d'actions d'inspection de la législation du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi peut déléguer sa signature au chef du pôle en charge des questions de travail et aux responsables d'unités départementales chargées des politiques du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et de développement des entreprises ". Et selon l'article 1er du décret du 18 décembre 2013 susvisé : " Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article R. 8122-2 du code du travail, dans les matières pour lesquelles un texte législatif ou réglementaire lui confie l'exercice d'une compétence propre, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi peut donner délégation de signature aux chefs de pôle ainsi qu'aux responsables d'unité territoriale et à leurs adjoints ".
6. Par décision du 25 janvier 2016, publiée au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture régionale Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées n° R76-2016-013 du même jour, M. A..., directeur régional adjoint et chef du pôle travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées a reçu du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, délégation à l'effet de signer en son nom notamment les décisions prises sur recours formés contre les injonctions de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail en application des articles L. 422-4 et L. 422-5 du code de la sécurité sociale. Aucune règle ni aucun principe ne subordonne le caractère exécutoire d'un tel acte à sa transmission préalable au préfet du département. Dès lors, M. A... était compétent pour signer la décision en litige du 10 février 2016 qui relève des attributions du directeur régional du travail et de l'emploi en application des dispositions citées ci-dessus du 3 Par suite, le moyen tiré de ce que le signataire de la décision du 10 février 2016 n'aurait pas reçu délégation, manque en fait et doit être écarté.
7. D'une part, aux termes de l'article L. 1251-43 du code du travail de la section 4 intitulée " Contrat de mise à disposition et entreprise de travail temporaire " : " Le contrat de mise à disposition établi pour chaque salarié comporte : / (...) 4° Les caractéristiques particulières du poste de travail à pourvoir et, notamment si celui-ci figure sur la liste des postes présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés prévue à l'article L. 4154-2, la qualification professionnelle exigée, le lieu de la mission et l'horaire ; (...) " . Aux termes de l'article L. 4154-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " (...) les salariés temporaires (...) affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés. / La liste de ces postes de travail est établie par l'employeur, après avis du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. Elle est tenue à la disposition de l'inspecteur du travail ".
8. D'autre part, aux termes de l'article 11 de l'arrêté du 9 décembre 2010 susvisé : " Les mesures de prévention visées à l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale et, dans les conditions fixées par arrêtés ministériels, à l'article L. 422-1 du code de la sécurité sociale relèvent de la procédure d'injonction. / L'injonction est adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, après enquête sur place effectuée par un ingénieur-conseil ou un contrôleur de sécurité. / Elle doit indiquer avec précision le risque exceptionnel concerné, les mesures à prendre par l'employeur, les possibilités techniques de réalisation, fixer le délai d'exécution et mentionner qu'à l'expiration de ce délai l'employeur est passible d'une cotisation supplémentaire en application des dispositions de l'article 8 ci-dessus. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail du Languedoc-Roussillon a adressé le 20 janvier 2016 à la société Jubil Intérim Béziers une injonction dite " mesure 1 " lui prescrivant notamment d'élaborer et de mettre en oeuvre une procédure pour recueillir la liste des postes à risques particuliers de ses entreprises clientes. Si l'article L. 4154-2 du code du travail prévoit que la liste des postes de travail où sont affectés des salariés temporaires et qui présentent des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité est établie par l'entreprise dans laquelle ils sont employés, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser une entreprise de travail temporaire qui met à disposition un salarié de prendre les mesures de prévention visées à l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale. En l'espèce, celle prescrite par l'injonction du 20 janvier 2016 était au nombre de ces mesures. La circonstance que, en application de l'article L. 1251-43 du code du travail, la société fasse figurer sur le contrat de mise à disposition établi pour chaque salarié les caractéristiques particulières du poste de travail à pourvoir lorsque celui-ci figure sur la liste des postes présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés est sans incidence sur la légalité de la mesure prescrite par l'administration. Si la requérante fait valoir qu'elle ne peut exiger de ses entreprises clientes la communication de la totalité des postes à risque en leur sein, la mesure prescrite lui fait seulement obligation, lorsque l'entreprise utilisatrice n'a pas transmis la liste des postes particuliers, de prévoir des mesures organisationnelles à mettre en oeuvre, par exemple relance du client, visite du poste, non délégation de l'intérimaire. Par suite, en rejetant les recours de la société Jubil Intérim Béziers, ni le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ni la ministre chargée du travail, n'ont fait une inexacte application des dispositions précitées du code de la sécurité sociale.
10.Il résulte de ce qui précède que la société Jubil Intérim Béziers n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier, a rejeté sa demande tendant à l'annulation dans sa totalité de la décision du 10 février 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées ainsi que de la décision du 9 mai 2016 de la ministre chargée du travail rejetant son recours hiérarchique.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
Sur le recours de la ministre du travail :
12. Il ressort des pièces du dossier que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail du Languedoc-Roussillon a adressé le 20 janvier 2016 à la société Jubil Intérim Béziers une injonction, dite " mesure 2 " lui prescrivant également d'élaborer et de mettre en oeuvre une procédure pour s'assurer que tous les intérimaires affectés à des postes à risques particuliers avaient reçu la ou les formations renforcées à la sécurité correspondantes incluant, lorsque c'était nécessaire pour les intérimaires affectés à des chantiers de construction de bâtiments, diverses formations destinées notamment à la prévention des risques de chute de hauteur, à l'utilisation d'échafaudages et des plateformes de travail en encorbellement ainsi qu'à la conduite en sécurité des engins de manutention et de levage.
13. Pour estimer que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et la ministre chargée du travail avaient fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale en rejetant les recours de la société Jubil Intérim Béziers contre cette injonction, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que les dispositions de l'article L. 4154-2 du code du travail font peser sur l'entreprise qui emploie des salariés temporaires affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité une obligation de formation renforcée à la sécurité, circonstance dont il a déduit qu'il ne pouvait être enjoint à la l'entreprise de travail temporaire de s'assurer que les intérimaires qu'elle mettait à disposition avaient reçu la ou les formations renforcées à la sécurité. Toutefois, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser une entreprise de travail temporaire qui met à disposition un salarié de prendre les mesures de prévention visées à l'article L. 422-4 du code de la sécurité sociale. En l'espèce, celle prescrite au point précédent par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, qui n'imposait nullement à la société Jubil Intérim Béziers de former elle-même les intérimaires concernés mais seulement de mettre en oeuvre une procédure de vérification de l'existence de ces formations auprès des entreprises utilisatrices de ces intérimaires, était au nombre de ces mesures.
14. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le motif susmentionné pour annuler partiellement la décision du 10 février 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées ainsi que la décision du 9 mai 2016 de la ministre chargée du travail rejetant son recours hiérarchique.
15. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par la société Jubil Intérim Béziers devant le tribunal administratif de Montpellier.
16. Comme il a été dit au point 6, le moyen tiré de ce que le signataire de la décision du 10 février 2016 n'aurait pas reçu délégation, manque en fait et doit être écarté.
17. Il résulte de ce qui précède que la ministre du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé partiellement la décision du 10 février 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées ainsi que, dans cette mesure, sa décision du 9 mai 2016 rejetant le recours hiérarchique de la société Jubil Intérim Béziers contre cette décision.
D É C I D E :
Article 1er : La requête n° 18MA01627 de la société Jubil Intérim Béziers est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 février 2018 est annulé.
Article 3 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Montpellier par la société Jubil Intérim Béziers tendant à l'annulation de la décision du 10 février 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées et de la décision du 9 mai 2016 de la ministre chargée du travail en tant qu'elles maintiennent l'injonction du 20 janvier 2016 dite " mesure 2 " de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail du Languedoc-Roussillon est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Jubil Intérim Béziers et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées et au directeur de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail du Languedoc-Roussillon.
Délibéré après l'audience du 22 février 2019, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 mars 2019.
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N° 18MA01280, 18MA01627
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