Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaires, enregistrés le 30 mars 2018 et le 12 juillet 2018, le département des Alpes-Maritimes, représenté par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 janvier 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Nice ;
3°) de mettre à la charge solidaire de M. et Mme B... la somme globale de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'est pas établi que la composition de la juridiction était la même lors de l'audience et lors de la séance où l'affaire a été délibérée ;
- le mur en cause n'est pas une dépendance du domaine public routier départemental dès lors qu'il a été initialement édifié par des particuliers et dans leur intérêt privé pour assurer le maintien et la clôture des terres privées alors même qu'il assure indirectement le soutènement ou la sécurité de la voie qu'il longe ;
- la théorie de la domanialité publique par accessoire ne saurait recevoir application dès lors que le mur n'est pas sa propriété mais appartient aux épouxB... ;
- le mur en cause n'est pas un ouvrage public par accessoire de la voie publique ;
- ce mur ne présente aucun lien physique ni fonctionnel étroit avec la voie départementale et ne suit pas l'alignement de la route départementale sur toute sa longueur ;
- ce mur n'a pas été édifié dans le but de protéger les usagers du boulevard Alice de Rothschild ;
- il intègre des ouvrages privés tels un portillon d'entrée de la propriété et des plantations privées.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 10 septembre 2018, M. et Mme B..., représentés par Me H..., concluent au rejet de la requête, demandent par la voie de l'appel incident que soit réformé le jugement du 30 janvier 2018 en tant qu'il a alloué la somme de 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance, la somme de 24 548,46 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire et a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice moral et que le département des Alpes-Maritimes soit condamné à leur verser la somme de 15 500 euros au titre du préjudice de jouissance, la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral subi, la somme de 28 838,46 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire ainsi que la somme de 1 104 euros au titre des sondages demandés par l'expert et à leur rembourser les frais d'avocats qu'ils ont réglés dans le cadre de la procédure d'expertise ainsi que les frais qu'ils ont réglés à la société d'ingénierie Sigsol, outre intérêt légaux et demandent enfin que soit mise à la charge solidaire du département des Alpes-Maritimes et de la commune de Grasse la somme globale 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et actualisent leurs prétentions indemnitaires.
Par un mémoire enregistré le 2 octobre 2018, la commune de Grasse a présenté des observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me F..., représentant le département des Alpes-Maritimes, de Me K..., substituant Me H..., représentant M. et Mme B... et de Me A..., représentant la commune de Grasse.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que M. et Mme B... sont propriétaires d'une parcelle supportant un immeuble à usage d'habitation cadastrée section AX n° 40 à Grasse. Cette propriété se situe en contrehaut de la route départementale 111 dans une configuration d'importante déclivité. Un mur borde la voie et longe plusieurs propriétés dont la leur et celle de leurs voisins immédiats, les consortsC..., propriétaires de la parcelle cadastrée section AX n° 39. Dans la nuit du 15 au 16 mars 2011, ce mur s'est effondré au niveau de ces deux parcelles. Au vu d'un rapport d'expertise déposé le 20 mars 2011, le maire de Grasse a pris, le 22 mars 2011, un arrêté de péril imminent définissant les mesures provisoires à prendre d'urgence afin de garantir la sécurité publique menacée par l'état du mur en partie effondré sur la voie publique. A défaut pour les propriétaires riverains de ce mur d'avoir engagé les mesures prévues par cet arrêté, la commune a décidé, pour assurer la sécurité des personnes et des biens, de se substituer à eux pour procéder aux travaux de remise en état de l'ouvrage et a, dans ce cadre, émis plusieurs titres exécutoires à l'encontre des propriétaires riverains de ce mur pour avoir remboursement des sommes qu'elle a engagées. Le département des Alpes-Maritimes relève appel du jugement du 30 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice l'a condamné à payer aux époux B...d'une part la somme de 35 714,66 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2015 au titre du remboursement des sommes acquittées pour la réfection du mur ainsi que de la remise en état du réseau ERDF et en réparation de leur préjudice de jouissance, d'autre part les frais d'avocats qu'ils ont réglés dans le cadre de la procédure d'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Grasse ainsi que les frais qu'ils ont réglés à la société d'ingénierie Sigsol, enfin la somme de 24 548,46 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de grande instance de Grasse.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte des mentions du jugement attaqué que les premiers juges ont délibéré à l'issue de l'audience publique du 9 janvier 2018. Le département des Alpes-Maritimes n'apporte aucun commencement de preuve de nature à établir son allégation selon laquelle la composition de la juridiction n'aurait pas été identique à l'audience et au délibéré. Ce jugement n'est dès lors pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la qualification du mur longeant la RD 111 et bordant la propriété de M. et Mme B... et la responsabilité :
3. En l'absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l'aplomb d'une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s'il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent.
4. Il résulte de l'instruction que la commune de Grasse a conclu au début des années 1920 avec la Société Civile Immobilière et de Reconstruction une convention aux fins d'aménager un lotissement dénommé " domaine de Rothschild " sur des terrains appartenant à la commune. Cette convention, ainsi que le cahier des charges du lotissement, prévoyaient la création par la société contractante de voies d'accès et de desserte, dont le boulevard Alice de Rothschild qui confronte en partie sud la parcelle AX n° 40 propriété de M. et Mme B....
5. Si le département fait valoir que l'article 9 du cahier des charges de ce lotissement imposait aux lotis de clore leur parcelle et que cet article énonçait que la propriété de ces ouvrages relevait des acquéreurs des lots, ces stipulations, qui fixent à 75 centimètres la hauteur des ouvrages à ériger et prévoient qu'ils doivent être surmontés de grilles de fer, ne pouvaient trouver à s'appliquer à la parcelle AX n° 40 eu égard au fait qu'elle présente une forte déclivité qui nécessitait l'édification d'un mur de soutènement de dimension sensiblement plus importante afin de maintenir les terres en surplomb. Il ressort d'ailleurs des énonciations de l'article 2 de ce même cahier des charges que, pour les lots à vendre qui comportent des murs de soutènement, le vendeur, en l'occurrence la Société Civile Immobilière et de Reconstruction " ne sera tenu à aucune garantie envers les acquéreurs en ce qui concerne l'état dans lequel ces constructions ou murs se trouveront au moment de l'entrée en jouissance (...) ".
6. La circonstance invoquée par le département, au demeurant sans plus de précision, selon laquelle ce mur aurait été construit par des personnes privées ne saurait emporter, à elle-seule, titre de propriété sur cet ouvrage. Le fait que le mur litigieux a été bâti dans le style architectural correspondant au cahier des charges du " domaine de Rothschild " et commun aux autres murs situés à l'intérieur des parcelles privatives n'est pas davantage de nature à établir que cet ouvrage serait la propriété de M. et Mme B.... L'acte de vente du lot n° 47 du 28 janvier 1926 produit au dossier est muet s'agissant de la propriété de ce mur.
7. Enfin, dans le rapport définitif qu'il a rendu le 8 juin 2016, l'expert judiciaire Vernet expose que le mur en litige est un " ouvrage d'infrastructure routière " eu égard aux caractéristiques de la voie, qui a été créé en " déblai-remblai ", l'expert estimant que ce mur était indispensable à la stabilisation des remblais côté aval et à la stabilisation du talus décaissé côté amont.
8. Dans ces conditions, aucun titre n'attribuant la propriété du mur en cause à M. et Mme B... ni à un tiers et ce mur surplombant la voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux provenant de la parcelle AX n° 40, cet ouvrage, au moins dans sa partie suivant le tracé de la voie départementale et présentant un lien physique étroit avec cette voie, doit être regardé comme un accessoire de cette voie, alors même qu'il a aussi pour fonction de maintenir les terres de cette parcelle qui la borde et de la clore et qu'il intègre des ouvrages privés tels un portillon d'entrée et des plantations privées.
9. Il résulte de l'instruction que les dommages subis par le mur en litige au droit de la parcelle AX n° 40 sont survenus dans la partie de l'ouvrage surplombant immédiatement la route départementale 111, laquelle appartient au département des Alpes-Maritimes depuis 1958 après avoir été remis à la commune de Grasse par la Société Civile Immobilière et de Reconstruction en application de la convention d'aménagement précitée. Il suit de cela que l'entretien du mur en cause et donc la réparation des dommages subis par M. et Mme B... du fait de l'éboulement de ce mur incombent au département des Alpes-Maritimes.
10. Il résulte de ce qui précède, que le département des Alpes-Maritimes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamné à indemniser M. et Mme B... des divers frais engagés et préjudices subis du fait de cet éboulement.
En ce qui concerne les conclusions incidentes de M. et Mme B... :
11. Ainsi qu'il a été dit au point 9 ci-dessus, l'entretien du mur en cause et donc la réparation des dommages subis par M. et Mme B... du fait de l'éboulement de ce mur incombent au département des Alpes-Maritimes.
S'agissant des frais de l'expertise judiciaire :
12. Il y a lieu, au vu des justificatifs produits par M. et Mme B..., particulièrement l'ordonnance de taxation définitive du 5 septembre 2016, de porter le montant de l'indemnisation de ce chef à la somme de 28 838,46 euros au lieu de 24 548,46 euros.
S'agissant des frais de sondages demandés par l'expert :
13. Il y a lieu, au vu du justificatif produit par les appelants, de condamner le département des Alpes-Maritimes à verser une somme de 1 104 euros à titre de remboursement des frais de sondages demandés par l'expert.
S'agissant des frais d'avocat réglés dans le cadre de la procédure d'expertise ainsi que les frais réglés à la société d'ingénierie Sigsol :
14. Il y a lieu, au vu des justificatifs produits, de fixer le montant de l'indemnisation de ce chef à la somme de 11 328,51 euros assortie des intérêts légaux.
S'agissant du préjudice de jouissance :
15. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant le montant de l'indemnisation de ce chef à la somme de 8 000 euros au lieu de 5 000 euros.
S'agissant du préjudice moral :
16. Si M. et Mme B... font valoir qu'ils ont dû faire face, durant plusieurs années, à l'obstination de la commune de Grasse à mettre à leur charge des sommes particulièrement importantes correspondant aux travaux de réfection du mur en cause puis à la résistance du département des Alpes-Maritimes pour admettre sa responsabilité s'agissant de l'entretien de ce mur et ont dû engager plusieurs actions judiciaires pour faire reconnaître leurs droits, l'essentiel de leurs récriminations concerne le comportement de la commune, dont le département des Alpes-Maritimes ne saurait être tenu pour responsable. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par les appelants à ce titre.
Sur les frais liés au litige :
17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme B..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département des Alpes-Maritimes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du département des Alpes-Maritimes une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du département des Alpes-Maritimes est rejetée.
Article 2 : La somme totale que le département des Alpes-Maritimes a été condamné à verser à M. et Mme B... par le jugement du tribunal administratif de Nice du 30 janvier 2018 est portée à 79 985,63 euros.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 30 janvier 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions incidentes de M. et Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le département des Alpes-Maritimes versera à M. et Mme B... une somme globale de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au département des Alpes-Maritimes, à M. J... B... et Mme I... G...épouseB....
Copie en sera adressé à la commune de Grasse.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative,
- Mme E..., première conseillère,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 avril 2019.
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N° 18MA01446
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