Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 mai 2018, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 février 2018 du préfet des Pyrénées-Orientales ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que son audition a été très sommaire et qu'il a donc été privé du droit d'être entendu avant l'adoption de la mesure ;
- l'arrêté querellé est insuffisamment motivé ;
- il a été privé du droit d'être entendu avant l'adoption de la mesure ;
- il a transféré le centre de ses intérêts privés en France ;
- le préfet s'est estimé en situation de compétence liée au regard des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile ;
- l'arrêté contesté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2018, le préfet des Pyrénées-Orientales, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coutier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité albanaise, relève appel du jugement du 18 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 février 2018 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier produites en première instance par M. C... que, pour demander l'annulation de l'arrêté du 23 février 2018, il a notamment fait valoir que son audition a été très sommaire et qu'il a donc été privé du droit d'être entendu avant l'adoption de la mesure. Le magistrat désigné n'a ni visé ni répondu à ce moyen, qui n'était pas inopérant. M. C... est dès lors fondé à soutenir que le jugement attaqué, qui est par ce motif entaché d'irrégularité doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Montpellier.
4. Il ressort des pièces du dossier que le signataire de l'arrêté contesté, M. Ludovic Pacaud, secrétaire général de la préfecture des Pyrénées-Orientales, bénéficiait d'une délégation de signature consentie par arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales en date du 23 janvier 2017, à l'effet de signer " tous actes, arrêtés, décisions, circulaires, rapports, mémoires, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département des Pyrénées-Orientales " à l'exception d'une part des réquisitions de la force armée, d'autre part des arrêtés portant élévation de conflit. M. B... était ainsi compétent pour signer cet arrêté, qui relève de la police des étrangers.
5. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ". Aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
6. Le préfet mentionne, dans l'arrêté contesté, les textes applicables à la situation de M. C..., la date et les conditions dans lesquelles celui-ci indique être entré en France, le fait qu'il a sollicité le bénéfice de l'asile, le sens des réponses qui ont été apportées à cette demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, enfin l'examen qu'il a fait de l'ensemble de la situation personnelle et familiale de l'intéressé. L'autorité préfectorale n'est pas tenue de préciser de manière exhaustive le détail de l'ensemble des éléments considérés. Ainsi, cet arrêté est suffisamment motivé au regard des exigences de motivation prévues par les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été reçu avec son épouse le 12 août 2016 au guichet unique de la préfecture des Pyrénées-Orientales où leur a été remis une attestation de demande d'asile " procédure accélérée ". Il ressort du compte rendu d'audition de l'intéressé établi par l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que celui-ci a fait état, lors de l'entretien qui s'est tenu le 6 janvier 2017 et qui a duré près d'une heure et trente minutes, des raisons qui l'ont conduit à quitter l'Albanie avec son épouse et leur enfant, et de ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine. M. C... n'apporte aucun élément dans la présente instance de nature à établir qu'il aurait été empêché de produire les éléments complémentaires dont il disposait avant l'édiction de l'arrêté querellé. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce qu'il a été privé du droit d'être entendu avant que soit prise cette mesure.
8. La circonstance selon laquelle le tampon apposé sur la copie de l'arrêté querellé serait illisible n'est pas de nature à affecter sa légalité. Il en est de même s'agissant du fait que le nom et la qualité de " l'agent notifiant " ne seraient pas mentionnés et que son tampon serait illisible.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a déclaré être entré en France le 31 juillet 2016 avec son épouse et leur enfant. Sa demande de bénéfice de l'asile a été rejetée par décision du 27 juin 2017 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Son recours contre cette décision a été rejeté par décision du 20 novembre 2017 de la Cour nationale du droit d'asile. Alors même que l'enfant est scolarisé et qu'il effectuerait des actions de bénévolat au sein d'une association, ces circonstances ne suffisent pas à le faire regarder comme ayant établi le centre de ses intérêts en France où il résidait depuis moins de deux ans à la date de l'arrêté contesté. Il n'est ainsi pas fondé à soutenir que cet arrêté, au regard des buts poursuivis par l'administration, aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Par suite, cet arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
11. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet, en prononçant la décision querellée, se serait estimé en situation de compétence liée au regard des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile le concernant.
13. M. C... renouvelle dans la présente instance le récit qu'il a livré devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides selon lequel, s'étant rendu en Turquie en compagnie de deux cousins qui lui avaient présenté une offre de travail dans une usine métallurgique, il se serait enfui après que les personnes sur place auraient entrepris de les recruter pour partir combattre en Syrie et aurait subi des menaces à son retour en Albanie. Toutefois, l'intéressé n'établit pas dans la présente instance la réalité des risques qu'il allègue encourir avec son épouse et leur enfant en cas de retour dans son pays d'origine dont au demeurant ni l'Office français de protection des réfugiés, ni la Cour nationale du droit d'asile n'ont reconnu l'existence. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 février 2018 du préfet des Pyrénées-Orientales doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 avril 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative,
- Mme D..., première conseillère,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 avril 2019.
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N° 18MA02378
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