Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 23 juillet 2018 et le 14 février 2019, Mme D..., représentée par Me Candon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 juin 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 20 février 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour et à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la commission du titre de séjour n'a pas été saisie en violation de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'elle justifie résider en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté en litige ;
- cet arrêté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle justifie de motifs exceptionnels et humanitaires d'admission au séjour ;
- le délai de départ volontaire de trente jours est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est irrecevable dès lors que seuls des moyens de légalité interne ont été soulevés en première instance ;
- les autres moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... ;
- et les observations de Me A... substituant Me Candon représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante russe, née le 27 avril 1964, déclare être entrée en France le 21 mai 2007, via la Belgique. Elle a sollicité le 11 juin 2007, son admission au séjour dans le cadre des dispositions de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Sa prise en charge au titre de l'asile relevant des autorités belges, elle a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 29 août 2007. A la suite de son mariage avec un ressortissant belge le 5 janvier 2008, elle a présenté une demande de titre de séjour en qualité de membre de famille de citoyen européen le 4 mars 2008, qui a été rejetée le 6 avril 2009, compte tenu de la rupture de la vie commune du couple. Par un jugement du 22 septembre 2009, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision. Suite au réexamen de sa demande, par arrêté du 29 décembre 2009, le préfet des Bouches-du-Rhône a de nouveau opposé à l'encontre de l'intéressée un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire, confirmé par le tribunal administratif de Marseille. Le 19 juin 2017, Mme D... a alors demandé son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Mme D... relève appel du jugement du 27 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 février 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 313-14 du même code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. /(...) ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme D... a soulevé dans sa requête présentée devant le tribunal administratif, le moyen tiré du vice de procédure tenant à l'absence de saisine de la commission du titre de séjour. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet des Bouches-du-Rhône à ce moyen de légalité externe n'est pas fondée et doit être écartée.
4. D'autre part, Mme D..., qui soutient être entrée en France le 21 mai 2007, via la Belgique, se prévaut de sa résidence habituelle sur le territoire français depuis cette date, soit depuis une durée de plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté. Elle produit en appel de très nombreuses pièces complémentaires qui, de par leur caractère probant, personnel et diversifié, permettent désormais d'établir sa présence continue en France à tout le moins depuis le 14 février 2008, les documents produits au titre de l'année 2007 étant insuffisants pour établir sa présence habituelle au cours de celle-ci. Ainsi, Mme D... justifiait à la date de la décision de refus de la carte de séjour dont elle sollicitait la délivrance, une résidence habituelle sur le territoire français depuis plus de dix ans. Dès lors, le préfet des Bouches-du-Rhône était tenu de soumettre pour avis sa demande à la commission du titre de séjour. Il s'ensuit que la requérante est fondée à soutenir que l'arrêté contesté est entaché d'un vice de procédure.
5. Les autres moyens de la requête ne sont pas de nature à justifier l'annulation de la décision en litige.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et à demander l'annulation de ce jugement ainsi que de l'arrêté contesté.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ". L'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
8. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté en litige retenu au point 4, le présent arrêt implique seulement que l'autorité administrative se prononce à nouveau sur la situation de Mme D... dans les conditions prévues aux articles L. 312-1 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lui délivre jusqu'à la décision à intervenir une autorisation provisoire de séjour. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de statuer sur la demande d'admission au séjour de Mme D..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
10. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Candon, avocat de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Candon de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 27 juin 2018 du tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du 20 février 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de statuer sur la demande d'admission au séjour de Mme D... dans les conditions prévues aux articles L. 312-1 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente de la décision à intervenir une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Candon la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Candon renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D..., au ministre de l'intérieur et à Me Candon.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019, où siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme C..., première conseillère,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 avril 2019.
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N° 18MA03521
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