Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2018, sous le n° 18MA05239, le préfet de l'Hérault demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier du 2 novembre 2018 en tant qu'il a annulé l'arrêté du 29 octobre 2018 par lequel il a prononcé le transfert de M. B... aux autorités italiennes responsable de sa demande d'asile ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'Italie présentait des défaillances systémiques dans l'accueil et la prise en charge des demandeurs d'asile ;
- de telles défaillances ne sont pas établies par M. B... ;
- les décisions contestées sont fondées dès lors que M. B... a déposé une demande d'asile en Italie et les autorités italiennes ont accepté de le reprendre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2019, M. B... représenté par Me C... conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de l'Hérault ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de l'Hérault relève appel du jugement du 2 novembre 2018 en tant que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 29 octobre 2018 par lequel le préfet de l'Hérault a prononcé le transfert de M. B... aux autorités italiennes responsables de sa demande d'asile.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013: " (...) 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
3. M. B..., né le 17 mai 1996, de nationalité nigériane, est entré en France le 9 juillet 2018 et a déposé une demande d'asile le 19 juillet 2018. Le préfet de l'Hérault a consulté le fichier Eurodac qui a révélé que l'intéressé avait déposé une demande d'asile en Italie. Les autorités italiennes ont implicitement accepté la demande de transfert. Par les arrêtés contestés, le préfet de l'Hérault a décidé du transfert de M. B... vers l'Italie et a prononcé à son encontre une mesure d'assignation à résidence. En première instance, M. B... a invoqué des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie du fait de l'afflux massif de ces demandeurs dans ce pays. Toutefois, les divers documents généraux produits par M. B... à l'appui de ses affirmations tels que des rapports de différentes organisations humanitaires ne sont pas suffisamment personnalisés pour établir que les autorités italiennes ne seraient pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et qu'il courrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en l'absence d'existence avérée de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, au demeurant Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le préfet de l'Hérault est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour ce motif, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision de transfert aux autorités italiennes de M. B....
4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.
5. Par arrêté n° 2018-I-1094 du 3 octobre 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de l'Hérault a accordé une délégation de signature à Mme A..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, " toute décision ayant trait à une mesure d'éloignement concernant les étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire français et les décisions en matière (...) d'assignation à résidence ". En vertu d'une telle délégation de signature, l'arrêté en litige a pu être régulièrement signé, pour le préfet, par Mme A....
6. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ". Et aux termes de l'article 5 de ce règlement : " Entretien individuel : / 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
7. En vertu des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Hérault était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. B... et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Par suite, les services de la préfecture de l'Hérault et en particulier les agents recevant les étrangers au guichet des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu par ces dispositions. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été reçu en entretien par un agent de la préfecture de l'Hérault le 19 juillet 2018. Le procès-verbal d'entretien, sur lequel est apposé le cachet de la préfecture, mentionne que celui-ci a été mené par un agent de la préfecture, qui a d'ailleurs signé le document, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national au sens et pour l'application des dispositions précitées. Si M. B... soutient que l'identité et la qualité de cet agent devaient être mentionnées, le règlement européen du 26 juin 2013 précité et les dispositions nationales, législatives et réglementaires, qui le mettent en application, régissent de manière complète la procédure de transfert d'un demandeur d'asile vers l'État responsable de sa demande. Il ne résulte ainsi d'aucune de ces dispositions que l'identité et la qualité exacte de l'agent chargé de mener l'entretien prévu à l'article 5 de ce règlement devaient être mentionnées. En outre, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions n'en garantissant pas la confidentialité, ni qu'il n'aurait pas revêtu un caractère personnel. Il s'ensuit que les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 doivent être écartés.
8. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: /a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre; /b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. ".
9. Comme dit au point 3, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que la consultation du fichier Eurodac a indiqué que M. B... avait sollicité l'asile auprès des autorités italiennes le 11 juillet 2016 préalablement au dépôt de sa demande en France. Par ailleurs, la demande de prise en charge du 30 août 2018 du préfet de l'Hérault a été implicitement acceptée par les autorités italiennes le 14 septembre 2018. Dans ces conditions, le préfet de l'Hérault n'a pas commis d'erreur de droit en considérant que M. B... entrait dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article 18-1 b du règlement du 26 juin 2013.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Hérault est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 29 octobre 2018 par lequel il a prononcé le transfert de M. B... aux autorités italiennes responsables de sa demande d'asile.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 2 novembre 2018 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montpellier, en tant qu'il a annulé l'arrêté du 29 octobre 2018 portant transfert de M. B... aux autorités italiennes, est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. E... B..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019, où siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme D..., première conseillère,
- Mme F..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 26 avril 2019.
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N° 18MA05239
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