Par un jugement n° 1805707 du 28 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 23 novembre 2018 du préfet des Pyrénées-Orientales.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2018, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier du 28 novembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que le transfert de M. A... à destination de l'Italie relevait d'une procédure de " reprise en charge " alors qu'il faisait seulement l'objet d'une procédure de " prise en charge " ;
- dans cette mesure, la décision de transfert a été prise régulièrement dans le délai de six mois qui courait à compter de l'accord implicite des autorités italiennes née du silence gardé par ces autorités pendant deux mois sur la demande de " prise en charge " ;
- les modalités de l'entretien individuel ont été respectées ;
- le moyen titré des risques auxquels l'intéressé serait exposé en cas de retour au Tchad est inopérant et en tout état de cause infondé ;
- il pouvait être éloigné sans délai de départ volontaire ;
- il pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence en raison du risque de fuite.
La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement UE n ° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guidal a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité tchadienne, qui déclare être entré sur le territoire français le 17 mars 2018, a présenté une demande d'asile aux autorités françaises. La consultation du fichier " Eurodac " ayant permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités italiennes le 18 janvier 2018, une demande de prise en charge a été adressée à ces autorités le 3 mai 2018. Une décision implicite d'acceptation par les autorités italiennes est née du silence gardé par celles-ci sur cette demande. Par un arrêté du 23 novembre 2018, le préfet des Pyrénées-Orientales a décidé le transfert de M. A... vers l'Italie. Saisi par ce dernier sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté au motif que le préfet avait mal apprécié la situation de M. A... dans la mesure où l'intéressé avait présenté une demande de protection internationale en Italie, circonstance dont il a déduit que la demande adressée par le préfet aux autorités italiennes devait être regardée comme une demande de reprise en charge de l'intéressé sur laquelle le silence gardé par les autorités italiennes dans le délai " de quinze jours " fixé par l'article 25, paragraphe 2, du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 valait accord implicite. Il a, en conséquence, estimé que l'arrêté de transfert, qui était intervenu plus de six mois après cet accord implicite alors que la France était devenue responsable de l'examen de la demande d'asile, était illégal et l'a annulé par un jugement du 28 novembre 2018 dont le préfet des Pyrénées-Orientales relève appel.
2. D'une part, le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". L'article 22 du même règlement précise que : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter la réception de la requête. (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée (...)". En cas d'acceptation de l'Etat membre requis, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
3. D'autre part, le paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 prévoit que " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ".
4. Enfin, en application du paragraphe 4 de l'article 24 du règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013, les demandeurs d'une protection internationale visés à l'article 9 paragraphe 1 dudit règlement qui font l'objet d'un relevé d'empreintes digitales, sont enregistrés dans le système central Eurodac sous " la catégorie 1 ", alors que les ressortissants de pays tiers ou apatride interpellés à l'occasion du franchissement irrégulier d'une frontière extérieure terrestre, maritime ou aérienne en provenance d'un pays tiers, visées à l'article 14, paragraphe 1 du même règlement qui font l'objet d'un relevé d'empreintes digitales, sont enregistrés dans ce système sous " la catégorie 2 ". Selon les dispositions de ce même article " le numéro de référence commence par la lettre ou les lettres d'identification prévues dans la norme visée à l'annexe I, qui désigne l'État membre qui a transmis les données. La lettre ou les lettres d'identification sont suivies du code indiquant la catégorie de personnes ou de demandes ".
5. Si, selon les énonciations de l'arrêté en litige, M. A... aurait été identifié par les autorités italiennes en " catégorie 1 " en qualité de demandeur d'une protection internationale, il ressort des pièces du dossier et notamment du courrier des services du ministère de l'intérieur du 11 avril 2018, communiquant au préfet des Pyrénées-Orientales le résultat positif des recherches effectuées dans le fichier Eurodac ainsi que du constat de l'accord implicite et de confirmation de la reconnaissance de responsabilité des autorités italiennes, que les empreintes digitales de M. D... A...ont été relevées en Italie le 18 janvier 2018 sous le numéro de référence IT 2 PA019YS, soit sous " la catégorie 2 " en tant que ressortissant de pays tiers interpellés à l'occasion du franchissement irrégulier d'une frontière en provenance d'un pays tiers. Si l'intéressé soutient avoir déposé une demande d'asile en Italie, cette allégation n'est assortie d'aucun commencement de preuve et n'est pas corroborée par les informations le concernant figurant dans le fichier Eurodac où il n'est pas identifié comme demandeur d'une protection internationale. Il relevait, dès lors, d'une procédure de prise en charge effectuée selon les règles définies aux articles 21 et 22 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et non d'une procédure de reprise en charge régie par les dispositions des article 25 et suivants du même règlement. Ainsi, une décision implicite d'acceptation n'est née du silence gardé par les autorités italiennes sur la demande de prise en charge qui leur a été adressée le 3 mai 2018 qu'à l'issue du délai de deux mois prévu à l'article 22, paragraphe 7, du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, soit le 3 juillet 2018, et non pas à l'issue du délai de deux semaines fixé par l'article 25, paragraphe 2 du même règlement. Il en résulte qu'à la date de l'arrêté en litige, le 23 novembre 2018, le délai de six mois prévu à l'article 29, paragraphe 1, du règlement, pour effectuer le transfert du demandeur vers l'Italie, qui avait commencé à courir à compter de la décision implicite d'acceptation des autorités italiennes, n'était pas expiré.
6. Par suite, le préfet des Pyrénées-Orientales est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier s'est fondé, pour annuler l'arrêté en litige, sur le moyen tiré de ce que la décision de transfert de M. A... était intervenue après l'expiration du délai de six mois prévu à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que la France était devenue, en conséquence, responsable du traitement de sa demande d'asile.
7. Toutefois, il appartient à la Cour, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier.
8. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié le 11 avril 2018 d'un entretien individuel avec un agent de la préfecture de l'Hérault. Il a été assisté à cette occasion par un interprète en langue arabe, qu'il a déclarée parler lire et écrire. Il a été amené à fournir divers renseignements sur sa situation individuelle, notamment, sur les conditions dans lesquelles il a séjourné dans d'autres Etats membres de l'Union européenne avant son entrée en France. S'il soutient que le compte rendu d'entretien est trop sommaire faute d'indiquer ses dates d'entrée en France et en Italie et de comporter des indications sur le traumatisme qu'il aurait été susceptible de subir en Lybie, il n'est pas allégué que le requérant aurait fait part à l'agent de la préfecture des circonstances de son séjour dans ce pays ni des traitements auxquels il y aurait été exposé. Dans ces conditions, et alors que l'entretien individuel doit seulement donner lieu à un résumé contenant les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien, les circonstances invoquées ne suffisent pas à établir que cet entretien ne se serait pas déroulé dans des conditions conformes à son objet, lequel est de faciliter la détermination de l'Etat membre responsable du traitement de la demande d'asile de M. A.... Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Pyrénées-Orientales est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 23 novembre 2018 et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une attestation de demandeur d'asile. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme que réclame L'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1805707 du 28 novembre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'Etat présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Perpignan.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019, où siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme C..., première conseillère.
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 avril 2019.
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N° 18MA05510
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