Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés le 20 février, le 23 décembre 2019 et le 11 novembre 2020, la SCEA Château de Caladroy, représentée par Me C..., dans le dernier état de ses écritures, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2018 ;
2°) de condamner la société RTE à lui verser la somme de 51 830 euros en réparation des dommages commis et de son préjudice esthétique, abondée de l'intérêt légal capitalisé ;
3°) de mettre à la charge de la société RTE la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ce litige relève de la compétence du juge administratif ;
- les premiers juges ont statué ultra-petita dès lors que sa demande ne portait que sur les désordres causés du fait des travaux relatifs au pylône n° 26 et non au pylône n° 24 ;
- la société prestataire de RTE s'est introduite sur sa parcelle et a procédé à des travaux relatifs au pylône n° 26 sans son autorisation ;
- les premiers juges ont décidé de manière erronée que la piste qui a été empruntée par EEE constitue un chemin communal alors qu'elle lui appartient sur toute sa longueur ;
- le pylône n° 26 n'est pas implanté dans sa propriété ;
- elle justifie d'un préjudice anormal et spécial en lien avec l'exécution de travaux publics ;
- elle doit être indemnisée des frais de remise en état de l'élargissement inopportun du chemin d'accès au pylône n° 26 pour un montant de 36 510 euros, outre les frais d'huissier de justice de 320 euros nécessités pour établir un constat des dégâts ;
- les travaux ont saccagé l'image du domaine et elle justifie subir un préjudice à ce titre de 15 000 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 septembre et le 27 décembre 2019, la société RTE, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la SCEA château de Caladoy la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de l'appelante sont infondés.
Par un mémoire enregistré le 25 novembre 2019, la société Entreprise d'Electricité et d'Equipement, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la SCE château de Caladoy la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de l'appelante sont infondés.
Une ordonnance du 8 janvier 2020 a fixé la clôture de l'instruction au 27 janvier 2020 à 12 heures.
Un mémoire enregistré le 26 janvier 2020 pour la société EEE n'a pas été communiqué.
Les parties ont été informées le 6 novembre 2020, en application de l'articles R. 611-7, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de ce qu'il résulte des dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 que les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaitre des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées par cette loi au profit de concessionnaires de distribution d'énergie. Les dommages dont fait état la SCEA Château de Caladroy relèvent de cette catégorie. Par suite, seule la juridiction judiciaire peut en connaitre. Cette communication du 6 novembre 2020 complète et remplace le même moyen d'ordre public adressé aux parties le 4 novembre mais qui visait de manière erronée la loi du 15 juin 1996.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et de Me C..., représentant la société civile d'exploitation agricole Château de Caladroy, et de Me D..., substituant Me E..., représentant la société Réseau de Transport d'Electricité.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile d'exploitation agricole (SCEA) Château de Caladroy exploite sur le territoire de la commune de Belesta (Pyrénées-Orientales) un domaine viticole de près de
550 hectares dont elle a fait l'acquisition en 1999. Ce domaine est traversé par plusieurs lignes de transport électrique dépendant du réseau public national de transport d'électricité, notamment la ligne double circuit de 400 000 volts Baixas-Gaudière, que supportent plusieurs pylônes. La société Réseau de Transport d'Electricité (RTE), par l'intermédiaire de son cocontractant, la société Entreprise d'Electricité et d'Equipement (EEE), a procédé à des travaux d'entretien de cette ligne à haute-tension. Pour accéder au pylône n° 26 située sur la propriété d'un tiers, la société RTE et son sous-traitant, la société EEE, ont élargi un chemin d'accès situé sur la propriété de la SCEA Château de Caladroy. Après avoir fait constater l'existence de dommages affectant son domaine du fait de l'exécution de ces travaux, selon un procès-verbal de constat d'huissier du 16 mai 2012, la SCEA Château de Caladroy qui estime que les sociétés RTE et EEE ont pénétré sur sa propriété sans y être autorisées a vainement tenté d'obtenir une réparation de ses préjudices auprès d'elles. La SCEA Château de Caladroy a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner RTE à lui payer la somme de 51 830 euros en réparation des préjudices résultant des travaux d'entretien de la ligne de transport d'électricité reliant Baixas à Gaudière effectués par EEE. La SCEA Château de Caladroy relève appel du jugement n° 1605591 du 20 décembre 2018, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros à verser à la société RTE et à la société EEE, chacune, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte du premier paragraphe de la requête introductive d'instance de la SCEA château de Caladroy devant le tribunal que sa demande tendait uniquement à obtenir la condamnation de la société RTE au paiement d'une somme de 51 830 euros correspondant aux préjudices subis lors de travaux d'aménagement de la piste d'accès au pylône n° 26 de la ligne de transport d'électricité reliant Baixas à Gaudière. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a statué sur la responsabilité de la société RTE en ce qui concerne le pylône n° 24. Le tribunal administratif s'est ainsi mépris sur la portée de la demande dont il était saisi en statuant au-delà des conclusions de la requérante, et son jugement, entaché d'irrégularité, doit, dès lors, être annulé dans cette mesure.
3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de se prononcer par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres conclusions de la requête.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la compétence de la juridiction administrative :
4. Il résulte des dispositions de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, reprises aujourd'hui à l'article L. 323-7 du code de l'énergie, et qui doivent être interprétées strictement, que les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées par ladite loi au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien, ou l'élagage des arbres trop proches du conducteur aérien. En revanche, les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages ressortissent à la compétence des juridictions administratives.
5. Les conclusions de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Château de Caladroy tendent à la réparation des dommages causés par les conditions qu'elle estime anormales dans lesquelles, sur sa propriété, il a été procédé sur une longueur d'environ 500 m au reprofilage d'une piste et au débroussaillage de ses bas-côtés. Ces dommages doivent être regardés, compte tenu de ce que ces travaux réalisés en vue de l'entretien de la ligne sont en fait restés inachevés et sont devenus dépourvus d'objet, comme des dommages qui ont un caractère accidentel et sont étrangers au champ d'application des dispositions mentionnées au point précédent. La juridiction administrative est dès lors, seule compétente pour connaître de l'action engagée par la société requérante.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les travaux publics peuvent causer aux tiers. Il appartient alors aux demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage d'apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices.
7. Il est constant que la propriété de la SCEA Château de Caladroy est grevée de servitudes d'appui, de passage et d'ébranchage qui ont été instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie par l'article 12, alinéa 3, de la loi du 15 juin 1906. Les travaux en cause, prévus pour permettre le meilleur accès des engins de chantier au pylône n° 26 ont été exécutés en janvier 2012 sur cette propriété. La société EEE est intervenue, pour le compte de la société RTE, sur le chemin d'accès à ce pylône, qui est une piste DFCI, en procédant à un débroussaillage des accotements sur une largeur d'environ 1,50 mètres de chaque côté, et sur une longueur de 500 mètres. Si les travaux litigieux ont été diligentés au départ en vue de l'entretien du pylône n° 26, situé en-dehors de la propriété de la société requérante, ils n'ont pas été poursuivis, et n'entrent donc pas dans le champ des servitudes imposées par la loi précitée du 15 juin 1906. Il s'ensuit que la SCEA Château de Caladroy est fondée à engager la responsabilité de RTE au titre des préjudices subis en raison de ces travaux.
8. En premier lieu, la SCEA Château de Caladroy demande le remboursement des travaux de remise en état des lieux pour une somme de 36 150 euros hors taxes, qu'elle déclare avoir réalisés au moyen de ses personnels et matériels. Elle fait état de dommages au chemin, l'arrachage de ceps de vigne, l'abattage d'arbres, des travaux de débroussaillage, et l'absence d'évacuation de déchets végétaux. Pour justifier les dommages dont elle se plaint, elle produit un procès-verbal du 16 mai 2012 dressé par un huissier de justice qui constate des travaux de débroussaillage et des coupes de végétaux, réalisé quatre mois après les travaux litigieux et qui porte notamment " sur le chemin de vignes à l'endroit du pylône n° 24 ", dont il n'est pas contesté qu'il se situe à une grande distance du pylône n° 26. Ainsi, la société doit être regardée comme ayant chiffré son préjudice par référence aux travaux de viabilisation du chemin d'accès au pylône n° 24 qu'elle a elle-même effectués au printemps 2012, en accord préalable et en contrepartie d'une rémunération versée par RTE. Dans les circonstances de l'espèce, en indiquant, sans autre précision justificative que les témoignages de ses personnels, que les réparations dont elle se prévaut correspondent à un montant H.T de 36 510 euros, par référence au procès-verbal du 16 mai 2012, la SCEA Château de Caladroy n'est pas fondée à demander l'indemnisation de son préjudice matériel.
9. En deuxième lieu, eu égard à ce qu'il vient d'être dit, il n'y a pas lieu de condamner la société RTE au paiement de la somme de 320 euros qui correspond à la rémunération de l'huissier qui a établi le procès-verbal cité au point 8.
10. En troisième lieu, la SCEA Château de Caladroy demande la réparation d'un préjudice d'image estimé à la somme de 15 000 euros, au motif que les travaux réalisés sur la piste ont dégradé l'environnement et l'accès à son site de 550 hectares dans lequel elle accueille le public, notamment pour des manifestations ou pour la présentation de ses produits.
Les travaux réalisés par un gyrobroyeur sur les deux accotements du chemin sur une largeur de 1,50 mètres et sur un linéaire de 500 mètres ont nécessairement détérioré l'environnement esthétique de l'exploitation, et il en a résulté une atteinte à l'image du domaine viticole résultant elle-même d'une atteinte à la propriété, dont la réparation sera justement estimée à la somme de 2 500 euros.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'appelante est fondée, dans cette mesure, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires.
Sur l'appel en garantie :
12. Il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de la commande réalisée par la société RTE, la société EEE a pris elle-même l'initiative des travaux en cause, sans l'accord de la SCEA Château de Caladroy, avant de les arrêter. Par suite, elle doit être condamnée à garantir la société RTE de la condamnation prononcée contre elle.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative :
13. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCEA Château de Caladroy, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que RTE et EEE demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de RTE une somme de 2 500 euros à verser à la SCEA Château de Caladroy, au titre des frais non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1605591 du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires relatives aux travaux effectués au titre du pylône n° 24.
Article 2 : La société Réseau de Transport d'Electricité versera la somme de 2 500 euros à la SCEA Château de Caladroy en réparation de son préjudice d'image.
Article 3 : La société Entreprise d'Electricité et d'Equipement est condamnée à garantir la société RTE de la condamnation prononcée à l'article 2.
Article 4 : Le jugement n° 1605591 du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La société Réseau de Transport d'Electricité versera à la société civile d'exploitation agricole Château de Caladroy la somme de 2 500 euros, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile d'exploitation agricole Château de Caladroy, à la société Réseau de Transport d'Electricité et à la société Entreprise d'Electricité et d'Equipement.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
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N° 19MA00836