Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 18 juin et 30 août 2019, M. K... B... J..., représenté par la SCP de Nervo et D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) d'annuler la décision du 27 avril 2017 ;
3°) d'annuler le titre exécutoire du 19 mai 2017 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre ce titre exécutoire, née le 6 septembre 2017 ;
4°) de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 82 596,86 euros ;
5°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour ne pas comporter la signature du magistrat ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la décision du 27 avril 2017 ne lui faisait pas grief ;
- la décision du 27 avril 2017 a été signée par une autorité incompétente, M. C..., directeur général des services du département ;
- une décision de mise à la retraite pour invalidité ne peut être prise rétroactivement ;
- le tribunal a rejeté à tort ses conclusions indemnitaires dès lors qu'il avait introduit une réclamation contentieuse devant l'administration le 25 février 2019 et qu'une décision implicite de celle-ci est née en cours d'instance ;
- le titre exécutoire du 19 mai 2017 a été signé par une autorité incompétente ; il porte la mention incorrecte de retraite au lieu de traitement ;
- dès lors qu'il était maintenu en activité en position " accident de service " le département de la Corse du Sud ne pouvait lui réclamer les sommes perçues à titre de traitement au motif de sa mise à la retraite rétroactive ;
- l'article 37 -1 de la loi du 12 avril 2000 ne peut valablement lui être opposé dès lors qu'il n'a bénéficié d'aucun indu ;
- les rémunérations qu'il a perçues constituent des décisions créatrices de droit qui ne peuvent être rapportées que dans un délai de quatre mois ;
- les premiers juges n'ont pas statué sur le moyen tiré de ce que la collectivité de Corse ne pouvait pas lui réclamer un " trop perçu de retraite " en lieu et place de salaires pour la période du 4 mars 2016 au 31 mai 2017.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 juillet et 4 août 2020, la collectivité de Corse, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'appelant de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les conclusions indemnitaires sont irrecevables, et pour le surplus que les moyens soulevés par M. B... J... ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 6 août 2020 a clos l'instruction au 7 septembre 2020 à 12 heures.
Un mémoire présenté le 7 septembre 2020 pour M. B... J... n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2000-321 du 122 avril 2000 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. B... J..., et de Me I..., substituant Me G..., pour la collectivité de Corse.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... J... fait appel du jugement n° 1701060 du 18 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête tendant d'une part, à l'annulation de l'attestation établie le 27 avril 2017 à la demande de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales par M. H... C..., directeur général des services du département de la Corse-du-Sud, ainsi que de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé à l'encontre de cette attestation, née le 5 septembre 2017, ainsi que d'autre part, à l'annulation du titre exécutoire du 19 mai 2017 établi à son encontre pour paiement d'un trop perçu de salaires, ainsi que de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre ce titre exécutoire, née le 6 septembre 2017, et enfin à la condamnation de la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Corse-du-Sud, à lui verser la somme de 82 596,86 euros en réparation des préjudices subis.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la page 9 de la requête introductive de première instance de M. B... J..., que l'intéressé a soulevé le moyen tiré de ce que la collectivité de Corse ne pouvait pas lui réclamer un " trop perçu de retraite " en lieu et place de salaires pour la période du 4 mars 2016 au 31 mai 2017. Il ressort de l'examen du jugement attaqué que les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen.
3. Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens tenant à la régularité du jugement, il y a lieu pour la Cour, d'annuler le jugement attaqué entaché d'irrégularité pour avoir omis de répondre à l'un des moyens soulevés, d'évoquer et de statuer sur la demande de M. B... J... présentée devant le tribunal administratif de Bastia.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre l'attestation du 27 avril 2017 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette attestation :
4. M. B... J..., né le 3 mars 1951, a rétroactivement été admis à faire valoir ses droits à la retraite au 4 mars 1951 par une décision du 28 mars 2017 du président du conseil départemental de Corse-du-Sud. Il est constant que M. B... J... a continué à être rémunéré en position d'activité à compter du 4 mars 2016. L'attestation établie le 27 avril 2017 par le président du conseil départemental de la Corse-du-Sud selon laquelle " suite à la mise en retraite pour invalidité de M. B... J..., à compter du 4 mars 2016, les sommes versées à l'intéressé pour la période du 4 mars 2016 au 30 avril 2017 restent dues " se borne à exposer, à titre informatif, la situation administrative de M. B... J... à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Cette attestation qui ne constitue pas une décision finale qui serait l'aboutissement d'une procédure, est dépourvue de caractère décisoire et ne fait pas grief à l'intéressé. Elle est, pour ce motif, insusceptible de recours pour excès de pouvoir. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions de M. B... J... tendant à l'annulation de l'attestation du 27 avril 2017 et de la décision rejetant le recours gracieux qu'il avait formé contre celle-ci.
Sur les conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 19 mai 2017 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre ce titre exécutoire :
5. En premier lieu, aux termes du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " Quelle que soit sa forme, une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable. L'envoi sous pli simple ou par voie électronique au redevable de cette ampliation à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître à la collectivité territoriale, à l'établissement public local ou au comptable public compétent vaut notification de ladite ampliation. (...) En application de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours (...) ".
6. D'une part, il résulte de l'instruction que le titre exécutoire litigieux a été signé par Mme F... E..., directrice des ressources humaines et des relations sociales, qui bénéficiait d'une délégation de signature en vertu d'un arrêté du 8 juillet 2016 du président du conseil départemental de la Corse-du-Sud, régulièrement publié, l'autorisant notamment à signer l'engagement comptable des dépenses et des recettes, ainsi que tous les états concernant les traitements et la rémunération du personnel. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
7. D'autre part, le titre de recette qui met à la charge de M. B... J... la somme litigieuse de 82 596,86 euros comporte les éléments de droit et de fait qui le fonde. Son destinataire peut ainsi discuter les bases de la liquidation de sa dette, sans que la mention " trop perçu de retraite " sur le titre litigieux puisse l'induire en erreur sur la nature de la somme réclamée. Par suite, à supposer qu'il le soutienne, M. B... J... n'est pas fondé à soutenir que le titre de perception litigieux est insuffisamment motivé et à demander son annulation.
8. Par ailleurs, si le requérant a entendu faire valoir que la collectivité de Corse n'était pas compétente pour lui réclamer un indu de trop perçu de retraite, il ressort très clairement du titre exécutoire attaqué, que celui-ci ne porte en réalité que sur des salaires perçus par l'intéressé versés par la collectivité alors que M. B... J... aurait dû se trouver à compter du 4 mars 2016 à la retraite. Par conséquent, cette erreur dans la désignation des sommes mentionnées par le titre de recette est sans influence sur sa légalité.
9. En second lieu, aux termes de l'article 2 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Les fonctionnaires mentionnés à l'article 1er peuvent prétendre à pension au titre du présent décret dans les conditions définies aux articles 25 et 26 après avoir été radiés des cadres soit d'office, soit sur leur demande. Ces fonctionnaires doivent être admis d'office à la retraite dès qu'ils atteignent la limite d'âge qui leur est applicable, sous réserve de l'application des articles 1er-1 à 1er-3 de la loi du 13 septembre 1984 susvisée et sans préjudice des dispositions de l'article 10 du présent décret relatives au maintien temporaire en fonctions. L'admission à la retraite est prononcée, après avis de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, par l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination ".
10. Les décisions administratives ne pouvant légalement disposer que pour l'avenir, l'administration ne peut, par dérogation à cette règle, prendre des mesures à portée rétroactive que pour assurer la continuité de la carrière d'un agent public ou procéder à la régularisation de sa situation.
11. D'une part, à la date à laquelle a été pris l'arrêté du 28 mars 2017, prononçant la mise à la retraite de M. B... J... à compter du 4 mars 2016, l'intervention d'une décision rétroactive était nécessaire pour placer l'intéressé dans une situation régulière en raison de la survenance, au 3 mars 2016, de la date anniversaire de ses 65 ans et alors qu'il n'a pas fait valoir un droit à recul de limite d'âge. D'autre part, la circonstance que les arrêtés du 22 juillet 2016, du 29 décembre 2016 et du 14 avril 2017, par lesquels le président du conseil départemental a maintenu au-delà du 4 mars 2016 M. B... J... en position de congé pour accident de service dans l'attente de l'instruction de son dossier pour invalidité, n'aient pas été abrogés, retirés ou annulés, n'autorisait pas l'administration à ne pas prononcer sa mise à la retraite pour invalidité à compter du 4 mars 2016, dès lors que B... J... était atteint par la limite d'âge de son emploi, le 3 mars 2016. Dans ces conditions, l'arrêté du 28 mars 2017 qui porte régularisation de la situation administrative de l'intéressé n'est pas entaché d'excès de pouvoir. Par suite, M. B... J..., qui ne pouvait pas poursuivre son activité au-delà du 4 mars 2016, n'est pas fondé à soutenir que le titre exécutoire du 19 mai 2017 qui lui réclame le paiement d'un indu de 82 596,86 euros correspondant aux sommes perçues à compter du 4 mars 2016 a été pris sur le fondement d'une décision de mise à la retraite pour invalidité entachée de rétroactivité illégale, et à en demander l'annulation.
12. En troisième lieu, l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, dispose que : " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. / Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement ". Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement.
13. Sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. Une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage En revanche, n'ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement. Pour l'application de ces règles, doit être assimilée à une décision explicite accordant un avantage financier celle qui, sans avoir été formalisée, est révélée par des agissements ultérieurs ayant pour objet d'en assurer l'exécution. L'existence d'une décision de cette nature peut par exemple, en fonction des circonstances de chaque espèce, être manifestée par le versement à l'intéressé des sommes correspondantes, telles qu'elles apparaissent sur son bulletin de paye. Ces règles ne font obstacle ni à la possibilité, pour l'administration, de demander à tout moment le reversement des sommes attribuées par suite d'une erreur dans la procédure de liquidation ou de paiement ou d'un retard dans l'exécution d'une décision de l'ordonnateur, ni à celle de supprimer pour l'avenir un avantage dont le maintien est subordonné à une condition dès lors que celle-ci n'est plus remplie.
14. Si le requérant produit les arrêtés du 22 juillet 2016, du 29 décembre 2016 et du 14 avril 2017, par lesquels le président du conseil départemental l'a maintenu au-delà du 4 mars 2016 en position d'activité, ces décisions ne sauraient avoir créé des droits au profit de M. B... J..., dès lors qu'il est constant que la mise en paiement au profit du requérant, à partir du 4 mars 2016, des rémunérations litigieuses, résulte d'une erreur de liquidation de sa situation administrative, au motif qu'il devait nécessairement être placé en position de retraite à cette date. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir par ce moyen que la somme en litige, qui lui a été réclamée par décision du 19 mai 2017 notifiée le 24 avril 2017, dans un délai de deux ans à compter du 4 mars 2016, ne pouvait lui être légalement réclamée.
Sur les conclusions indemnitaires :
15. Le présent arrêt qui rejette les conclusions d'annulation de M. B... J... n'implique pas que la collectivité de Corse soit condamnée à
réparer les préjudices dont se prévaut l'intéressé à raison de la seule illégalité des décisions attaquées. En outre, si l'intéressé fait état dans sa réclamation du 25 février 2019, des dommages et préjudices physiques et psychosociaux sur sa santé et sa vie sociale comme familiale durant
sept ans d'attente d'obtention de ses droits à la retraite pour invalidité, il n'en justifie pas. Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir de la collectivité de Corse, les conclusions indemnitaires de M. B... J... ne peuvent qu'être rejetées.
16. Il résulte de ce qui précède que M. B... J... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la collectivité de Corse, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... J... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, M. B... J... versera une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la collectivité de Corse et non compris dans les dépens
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1701060 du 18 avril 2019 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... J... devant le tribunal administratif de Bastia ainsi que le surplus de sa requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : M. B... J... versera 2 000 euros à la collectivité de Corse en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... B... J... et à la collectivité de Corse.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques de la Corse et du département de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
N° 19MA02802 2